Péremption d’instance et procédure orale sans représentation obligatoire en appel
L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 11 septembre 2025 poursuit l’affinement du régime de la péremption, destinée à sanctionner l’inertie des parties lorsque celles-ci conservent la direction de l’instance.
Appliquant le revirement de jurisprudence du 7 mars 2024 – formulé en procédure d’appel écrite avec représentation obligatoire –, les magistrats du quai de l’Horloge, sur le fondement des articles 932, 936 et 937 du code de procédure civile, jugent qu’en procédure orale, une fois la déclaration d’appel déposée, la direction de l’affaire échappe aux parties. Il appartient alors au greffe de convoquer les parties à une audience et les parties n’ont aucune obligation d’échanger des écrits ni de demander une fixation de l’affaire. Dans ce cadre, la péremption ne peut donc leur être opposée.
Encore une. Encore une décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation relative à la péremption d’instance. La sanction procédurale ne cesse d’être précisée par la jurisprudence. Aux termes de l’article 386 du code de procédure civile, l’instance est périmée lorsqu’aucune diligence n’est accomplie par les parties pendant deux ans. L’enjeu réside donc dans la détermination des actes ou diligences susceptibles d’interrompre ce délai, ainsi que dans la question de savoir si ces diligences relèvent de l’initiative des parties ou si, au contraire, la conduite de la procédure leur échappe, les en dispensant. Le présent arrêt, publié au Bulletin, apporte une précision importante concernant les procédures d’appel sans représentation obligatoire – donc en procédure orale.
L’affaire
Reprenons les faits de l’affaire. Le 2 octobre 2017, un salarié fut victime d’un accident du travail, pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie d’Eure-et-Loir au titre de la législation relative aux risques professionnels. La société employeur contesta la prise en charge devant la commission de recours amiable de la caisse le 23 février 2018. Sans réponse de la commission, le 14 novembre 2018, la société demanda l’infirmation de la décision implicite de rejet au Tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen. Le 22 mai 2020, les juges du fond déclarèrent inopposable à l’employeur la prise en charge de l’accident. Par voie de conséquence, la caisse primaire interjeta appel le 13 juillet 2020.
La caisse primaire déposa ses conclusions le 4 novembre 2022, mais ne sollicita point la fixation de l’affaire. La cour d’appel a rappelé qu’antérieurement, l’article R. 142-22 du code de la sécurité sociale prévoyait un régime dérogatoire en matière de péremption : celle-ci n’était encourue que si le juge avait expressément mis à la charge des parties des diligences. Toutefois, cette disposition ayant été abrogée, il convenait de revenir au droit commun de la péremption d’instance. En application de l’article 386 du code de procédure civile, l’instance se périme si aucune diligence n’est accomplie par les parties pendant deux ans. Or, en l’espèce, aucune diligence n’avait été effectuée dans ce délai. La cour d’appel constata donc la péremption de l’instance. Elle précisa qu’en procédure d’appel sans représentation obligatoire, même si les parties n’ont pas l’obligation de conclure, elles doivent, à tout le moins, manifester leur intention de poursuivre l’instance en sollicitant la fixation de l’affaire, peu important les chances de succès d’une telle demande. La caisse primaire a formé un pourvoi en cassation.
Devant les magistrats du quai de l’Horloge, la caisse soutenait que dans le cadre d’une procédure d’appel sans représentation obligatoire, la conduite de la procédure échappe nécessairement aux parties. De fait, elles ne peuvent en accélérer le cours. En effet, c’est le greffe qui a la direction de la procédure, puisqu’il convoque l’intimé, lui adresse une copie de la déclaration d’appel formée par l’appelant, l’informe d’une convocation ultérieure, puis le convoque à l’audience. La caisse reprochait ainsi à la cour d’appel d’avoir violé les articles 386 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Au visa des articles 386, 446-1, 932, 936 et 937 du code de procédure civile, la Cour de cassation casse et annule la décision attaquée. Contrairement aux juges du fond, les magistrats du quai de l’Horloge rappellent que si, en principe, l’instance se périme lorsqu’aucune diligence n’est accomplie par les parties pendant deux ans, il en va différemment dans le cadre d’une procédure orale sans représentation obligatoire. En effet, l’appel y est formé par une déclaration remise ou adressée au greffe de la cour ; une fois celle-ci effectuée, il appartient au greffe d’en aviser l’intimé, de l’informer d’une convocation ultérieure, puis d’adresser une convocation qui vaut citation. Or, en procédure orale, les parties présentent leurs prétentions et moyens à l’audience et peuvent, si elles le souhaitent, se référer à leurs écritures. Hors les cas où le juge organise les échanges en application de l’article 446-2 du code de procédure civile, elles n’ont donc aucune obligation d’échanger des écritures préalablement à l’audience.
En conséquence, la Cour de cassation estime que la procédure échappe aux parties, qui n’ont pas à accomplir de diligences en vue de l’audience à laquelle elles seront convoquées, que ce soit une demande de fixation ou un échange de conclusion. La péremption d’instance ne saurait dès lors leur être opposée. La Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Caen.
Affinement du régime de la péremption
Voici un arrêt de plus qui participe à l’affinement du régime de la péremption par la Cour de cassation, laquelle tend à faire évoluer cette sanction d’une conception rigoureuse vers une application davantage nuancée. La péremption sanctionne l’inertie des parties dans la conduite du procès, puisqu’en l’absence de diligence interruptive accomplie dans le délai requis – deux ans –, l’instance s’éteint. Les conséquences de la sanction ne sont pas les mêmes en fonction de la juridiction concernée. En première instance, la péremption met fin à l’instance, le demandeur conserve la faculté d’introduire une nouvelle action tant que la prescription n’est pas acquise (C. pr. civ., art. 389). En revanche, en appel, la péremption emporte extinction du droit d’agir, la décision de première instance acquiert force de chose jugée (C. pr. civ., art. 390).
Si la notion de diligence interruptive a été redéfinie par la Cour de cassation comme « l’initiative d’une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l’instance » (Civ. 2e, 27 mars 2025, n° 22-20.067 et n° 22-15.464, Dalloz actualité, 15 avr. 2025, obs. R. Raine ; D. 2025. 631
; AJ fam. 2025. 195, obs. F. Eudier
; RTD com. 2025. 308, obs. D. Mouralis
; Dr. fam. 2025. Comm. 112, obs. V. Egéa ; JCP 2025. Act. 777, note N. Fricéro ; Procédures 2025. Comm. 108, note R. Laffly ; Loyers et Copropriété 2025. Comm. 84), encore faut-il en déterminer le champ d’application. Comme le relevait déjà Roger Perrot, « il n’y a lieu de s’interroger sur la portée interruptive de certains actes que si la péremption est elle-même applicable » (R. Perrot, Péremption d’instance : fixation d’une date d’audience [sa portée], RTD civ. 1996. 703
). Autrement dit, la véritable question est de savoir à partir de quel moment la procédure échappe aux parties, celles-ci n’ayant plus à accomplir de diligences et n’étant, dès lors, plus exposées à la sanction de la péremption. Dans l’arrêt commenté, telle était la question posée à la Cour de cassation.
Les magistrats du quai de l’Horloge avaient déjà eu l’occasion de répondre à cette interrogation en opérant une distinction selon que l’audience a effectivement été fixée (Civ. 2e, 16 déc. 2016, n° 15-26.083, Dalloz actualité, 10 janv. 2017, obs. F. Mélin ; D. 2017. 141
, note C. Bléry
; ibid. 422, obs. N. Fricero
; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero
; JCP 2017. 106, note D. Cholet ; 30 janv. 2020, n° 18-25.012, Dalloz actualité, 10 mars 2020, obs. M. Kebir ; D. 2020. 289
; RTD civ 2020. 697, obs. N. Cayrol
; JCP 2020. Doctr. 708, obs. L. Veyre) ou qu’elle avait seulement été annoncée comme devant être fixée (Civ. 2e, 16 déc. 2016, n° 15-27.917, Dalloz actualité, 5 janv. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 141
, note C. Bléry
; ibid. 422, obs. N. Fricero
; ibid. 605, chron. E. de Leiris, N. Palle, G. Hénon, N. Touati et O. Becuwe
; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero
; JCP 2017. Act. 106, note D. Cholet ; Cass., avis, 9 janv. 2017, n° 16-70.011, D. 2018. 692, obs. N. Fricero
).
Lorsque l’affaire a été fixée, la Cour de cassation juge que la procédure échappe aux parties, lesquelles n’ont alors plus aucune diligence à accomplir. Précisions importantes toutefois. D’une part, en cas de procédure à bref délai, la fixation à bref délai ne dispense pas les parties d’accomplir des diligences, la Cour ayant considéré que l’affaire n’était pas pour autant en état d’être jugée (Civ. 2e, 2 déc. 2021, n° 20-18.122, Dalloz actualité, 5 janv. 2022, obs. N. Hoffschir ; D. 2021. 2239
; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero
; JCP 2021. Act. 1350 ; Gaz. Pal. 2022, n° 14, p. 39, obs. M. Guez). D’autre part, si le juge radie l’affaire fixée en cas de défaut de diligences des parties, un nouveau délai de péremption court à compter de la radiation (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-25.012, préc.).
À l’inverse, lorsque l’affaire était seulement dite « à fixer », la Cour considérait qu’il incombait aux parties de solliciter la fixation de l’affaire – acte qualifié de diligence interruptive – afin d’éviter la sanction de la péremption. Cette jurisprudence, critiquée par une partie de la doctrine qui n’y voyait que « bavardages » ou « gesticulations formelles » (R. Perrot, art. préc.), a néanmoins été maintenue.
Le revirement et ses suites
Par un revirement attendu, la Cour de cassation a précisé que, dans le cadre d’une procédure d’appel écrite avec représentation obligatoire, dès lors que les parties ont conclu dans le délai imparti et conformément au principe de concentration des prétentions (C. pr. civ., art. 915-2, anc. art. 910-4), il appartient au conseiller de la mise en état d’assurer la fixation et la clôture de l’affaire. Les parties se trouvent ainsi déchargées de toute obligation procédurale. La direction de l’instance ne leur appartenant plus, la péremption ne peut leur être opposée (Civ. 2e, 7 mars 2024, n° 21-23.230, n° 21-19.475, n° 21-19.761 et n° 21-20.719, Dalloz actualité, 20 mars 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 860
, note M. Plissonnier
; ibid. 2128, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et M. Labaune-Kiss
; AJ fam. 2024. 183, obs. F. Eudier
; RDT 2024. 277, chron. S. Mraouahi
; RTD civ. 2024. 490, obs. N. Cayrol
; Procédures 2024. Comm. 110, note R. Laffly ; JCP 2024. Act. 484, obs. F. Roger ; ibid. Doctr. 673, obs. L. Veyre ; Dr. fam. 2024. Comm. 80, obs. V. Egéa ; Gaz. Pal. 2024, n° 13, p. 46, note S. Amrani-Mekki ; ibid., n° 22, p. 40, note N. Hoffschir). En effet, au regard de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, il n’est plus possible dans ce cas d’imposer aux parties des charges procédurales (C. Chainais, L. Mayer, S. Guinchard et F. Ferrand, Procédure civile, 37e éd., Dalloz, 2024, spéc. p. 434, n° 508).
Le domaine d’application de ce revirement demeurait circonscrit à la procédure d’appel ordinaire avec représentation obligatoire. Restait alors en suspens la question de son extension à d’autres hypothèses, en particulier à la première instance et à l’appel dans le cadre d’une procédure orale sans représentation obligatoire. Or, dans cette dernière configuration, la difficulté est manifeste : comment caractériser une diligence interruptive – qui par définition est un écrit – dans une procédure dont le principe est l’oralité ? (M. Plissonnier, Pas de péremption d’instance sans direction de la procédure, Dalloz actualité, 6 nov. 2024). À ce titre, la Cour de cassation exigeait jusqu’alors des parties qu’elles sollicitent la fixation de l’affaire (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 19-21.401, Dalloz actualité, 27 avr. 2021, obs. C. Bléry ; Gaz. Pal. 20 juill. 2021, n° 27, p. 51, note H. Herman ; JCP S 2021. 1137, note C.-F. Pradel, P. Pradel-Boureux et V. Pradel). Or, au regard de l’encombrement des juridictions, cette fixation pouvait se révéler vaine (N. Jacob, La péremption au sein du contentieux de la sécurité sociale, entre espoir et incertitudes, RDSS 2025. 170
).
Par deux arrêts, la Cour de cassation a étendu son revirement (Civ. 2e, 10 oct. 2024, n° 22-12.882 et n° 22-20.384, Dalloz actualité, 6 nov. 2024, obs. M. Plissonnier ; D. 2024. 1781
; ibid. 2025. 652, chron. C. Bohnert, C. Cardini, S. Ittah, C. Brouzes, C. Dudit et M. Labaune
; RDSS 2025. 170, note Nolwenn Jacob
; Procédures 2024. Comm. 270, obs. S. Amrani-Mekki ; Gaz. Pal. 2025, n° 2, p. 69, note A. Victoroff ; Bull. Joly Trav. 2025, n° 1, p. 74, note D. Asquinazi-Bailleux). Toutefois, le périmètre de ces décisions doit être précisé : l’une concernait une procédure de taxation d’honoraires et l’autre une procédure devant la Cour nationale de l’incapacité – contentieux technique de la sécurité sociale – qui est une juridiction qui a été supprimée.
En faisant application de sa jurisprudence du 7 mars 2024, la Cour de cassation a considéré que, dans le cadre d’une procédure orale devant la Cour nationale de l’incapacité, et sous l’angle de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, les parties ne pouvaient être sanctionnées par la péremption si aucune diligence ne leur avait été imposée par la justice. En effet, sauf lorsqu’un calendrier de procédure avait été fixé sur le fondement de l’article 446-2 du code de procédure civile (D. 2025. 652, obs. C. Dudit
), la direction de l’affaire échappe aux parties. Il appartient dès lors au secrétariat de les convoquer à l’audience, de sorte qu’on ne peut exiger d’elles qu’elles sollicitent une fixation. Cette jurisprudence a d’ailleurs été confirmée (Civ. 2e, 9 janv. 2025, n° 22-19.501, D. 2025. 652, chron. C. Bohnert, C. Cardini, S. Ittah, C. Brouzes, C. Dudit et M. Labaune
; JCP S 2025, n° 6, 1043, obs. T. Tauran ; Gaz. Pal. 2025, n° 14, p. 54, obs. A. Victoroff).
Par un autre arrêt, la Cour de cassation a également précisé que, dans le cadre du contentieux général de la sécurité sociale, il existe un régime protecteur en matière de péremption en première instance, puisque celle-ci n’est opposable aux parties que si le juge leur a expressément imposé l’accomplissement de diligences (CSS, art. R. 142-10-10). En revanche, une telle protection ne s’applique pas en appel, lequel demeure soumis au régime commun de la péremption d’instance (Civ. 2e, 24 oct. 2024, n° 22-10.733, RDSS 2025. 170, note N. Jacob
). Pour autant, aucune décision ne prenait position de manière générale dans le cadre d’une procédure orale sans représentation obligatoire.
Pouvait-on étendre cette solution à la procédure orale en appel ? La réponse est apportée par l’arrêt commenté, lequel se fonde sur les textes de la procédure d’appel ordinaire (C. pr. civ., art. 932, 936 et 937) et non sur des dispositions particulières – alors même qu’il s’agissait d’un contentieux de sécurité sociale. Désormais, dès lors que la direction de l’affaire échappe aux parties, celles-ci doivent simplement attendre leur convocation à l’audience, laquelle intervient après les formalités accomplies par l’appelant. Il existe une exception. Il s’agit de l’hypothèse où le juge use de l’article 446-2 du code de procédure civile afin d’organiser les échanges entre les parties (dans son ancienne version pour l’arrêt commenté, mais la même analyse est transposable à la version actuelle issue du décret « Magicobus II »). En pratique, les parties peuvent donc attendre leur convocation à l’audience, l’échange de mémoires étant facultatif, sans avoir à solliciter de la justice une fixation de l’affaire. La solution apparaît logique. Il convient de préciser que la Cour de cassation n’a pas mentionné comme fondement à sa décision, l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. In fine, en appel, la procédure orale sans représentation obligatoire est dorénavant sur un pied d’égalité avec la procédure écrite avec représentation obligatoire.
Civ. 2e, 11 sept. 2025, F-B, n° 23-14.491
par Kévin Castanier, Maître de conférences à l’Université de Rouen (CUREJ UR 4703 – Membre associé de l’IODE UMR CNRS 6262)
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