Périmètre d’appréciation du respect de l’obligation de reclassement : pas de limitation à un même secteur d’activité

Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Le périmètre à prendre en considération pour l’exécution de l’obligation de reclassement se comprend de l’ensemble des entreprises du groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, peu important qu’elles appartiennent ou non à un même secteur d’activité.

L’obligation de reclassement est un enjeu majeur pour l’employeur qui s’engage dans une procédure de licenciement économique, puisque celle-ci va conditionner la licéité du licenciement lui-même. Il faut en effet à ce titre rappeler que la preuve de l’exécution de l’obligation de reclassement incombe à l’employeur, bien qu’il appartienne au juge, en cas de contestation sur l’existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties (Soc. 31 mars 2021, n° 19-17.300 P, RJS 6/2021. 308). Mais encore faut-il définir avec justesse le périmètre dans lequel s’apprécie cette obligation. S’il est désormais écrit dans le code du travail que les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national (C. trav., art. L. 1233-3), cette dernière précision concernant le secteur d’activité commun n’est pas reprise par l’article suivant traitant de l’obligation de reclassement. Doit-on considérer que le périmètre de l’obligation de reclassement doit être limité par le secteur d’activité de l’employeur ? C’est à cette question que la chambre sociale de la Cour de cassation répond par la négative dans son arrêt du 8 novembre 2023.

En l’espèce, une personne occupant les fonctions de magasinier vendeur s’est vue licenciée pour motif économique par la société de distribution qui l’employait. L’intéressé saisit les juridictions prud’homales afin de contester la licéité de son licenciement.

Les juges du fond considérèrent toutefois son licenciement comme reposant sur une cause réelle et sérieuse, ce qui conduit l’intéressé à former un pourvoi en cassation. Ces derniers avaient en effet réduit le périmètre de recherche de reclassement en excluant les sociétés du groupe qui n’appartenaient pas au même secteur d’activité que l’employeur.

La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi, va, au visa de l’article L. 1233-4, alinéa 1er, du code du travail, invalider le raisonnement et casser l’arrêt d’appel.

L’indifférence du secteur d’activité en matière de reclassement affirmé

L’article L. 1233-4 du code du travail prévoit en effet que le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Le périmètre à prendre en considération pour l’exécution de l’obligation de reclassement se comprend de l’ensemble des entreprises du groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. L’affirmation est aujourd’hui classique en jurisprudence, en particulier s’agissant du périmètre d’appréciation de la cause économique (v. Soc. 25 juin 1992, n° 90-41.244 P, D. 1992. 209  ; Dr. soc. 1992. 710 et les obs.  ; ibid. 826, concl. R. Kessous  ; ibid. 1993. 272, note Q. Urban  ; 5 avr. 1995, n° 93-42.690 P, GADT, 4éd., n° 114 ; D. 1995. 503 , note M. Keller  ; ibid. 367, obs. I. de Launay-Gallot  ; Dr. soc. 1995. 482, note P. Waquet  ; ibid. 489, note G. Lyon-Caen  ; ou encore, pour l’obligation de reclassement, 27 oct. 1998, n° 96-40.626 P, RJS 1998. 890, n° 1456). Elle est ici rappelée avec force par la chambre sociale, qui va y ajouter une importante précision en considérant qu’il est peu important que les entreprises appartiennent ou non à un même secteur d’activité.

Ce faisant la chambre sociale adopte une interprétation souple du périmètre de reclassement, et conduit donc à élargir potentiellement le périmètre de recherche d’un employeur qui, au sein d’un groupe comportant plusieurs secteurs d’activités, verrait certaines autres sociétés répondre aux critères de permutabilité, fussent-elles sur un autre secteur.

La solution n’allait pas de soi, en ce qu’il pouvait être légitimement attendu un alignement sur le périmètre d’appréciation de la cause économique stricto sensu, dont il faut rappeler que l’article L. 1233-3 du code du travail borne le contours – en présence d’un groupe – au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national.

Cette dissymétrie peut de prime abord paraître regrettable et venir inutilement complexifier le droit du licenciement économique. Elle trouve toutefois une rationalité et une cohérence au regard des objectifs que s’assignent chacun des deux articles du code. L’article L. 1233-3 appelle une appréciation de la cause économique sur la base d’un secteur d’activité qui peut revêtir, en la matière, une certaine homogénéité dans la stratégie commerciale du groupe. Lorsqu’il s’agit d’envisager le reclassement d’un salarié une fois la cause économique objective avérée, il n’est plus question d’apprécier les conditions du marché, mais de sonder de façon prosaïque les possibilités dont le groupe dispose pour préserver au maximum l’emploi. Sous cet angle, il apparaît légitime de considérer, en l’absence de texte y contraignant, que l’obligation de reclassement s’applique dans un périmètre où la permutation peut être réalisée pour tout ou partie du personnel.

Aussi l’éminente juridiction fait-elle ainsi une interprétation stricte du texte, lequel prévoit que l’obligation de reclassement de l’intéressé ne vise que « les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ».

Sous cet angle, les juges du fond qui avaient considéré le licenciement licite en restreignant le périmètre de l’obligation de reclassement en évacuant les sociétés du groupe qui n’avait pas le même secteur d’activité ne pouvaient qu’encourir la censure.

La solution est ainsi clairement posée, le secteur d’activité ne pouvant être un critère d’appréciation ou une limite à l’appréciation du groupe de permutabilité dans lequel le reclassement doit être recherché. Cette solution maintient ainsi une exigence relativement forte sur l’employeur qui, dès lors qu’une autre entité quelconque du groupe remplit la condition de permutabilité, devra être en mesure de justifier qu’aucun emploi relevant de la même catégorie que celui que le salarié occupe et qu’aucun emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente n’y est disponible ou le cas échéant que le salarié les a toutes refusées.

 

© Lefebvre Dalloz