Périsse le principe de loyauté plutôt que le droit à la preuve !
Désormais, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
 
                            C’est le conflit entre deux colosses (aux pieds d’argile) du droit de la preuve qu’a arbitré l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 22 décembre 2023 : d’un côté, le droit à la preuve, de l’autre, le principe de loyauté dans l’administration de la preuve.
Les deux affaires étaient, du moins en apparence, peu différentes : dans la première (n° 20-20.648), un employeur avait, devant les juges du fond, tenté de justifier le licenciement d’un de ses salariés en produisant des transcriptions d’enregistrements clandestins qui, sans réelle surprise, avaient été déclarées irrecevables par la Cour d’appel d’Orléans ; dans la seconde (n° 21-11.330), un employeur avait licencié un salarié en se fondant sur les propos que ce dernier avait tenu sur son compte Facebook et qui lui avaient été rapportés par un autre salarié utilisant son poste informatique et, là encore, la Cour d’appel de Paris avait écarté la preuve offerte par l’employeur en soulignant que celui-ci l’avait obtenue de manière déloyale et illicite.
Dans les deux cas, se dessinait ainsi en toile de fond un conflit entre le droit à la preuve et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, ce qui a conduit la chambre sociale à renvoyer devant l’assemblée plénière l’examen des deux pourvois dirigés contre ces arrêts.
La Cour de cassation n’a cependant pas statué de la même manière sur les pourvois qui étaient ainsi formés. Si, dans la première affaire, elle a tranché le conflit opposant le droit à la preuve et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve (n° 20-20.648), il n’en a pas été de même dans la seconde (n° 21-11.330) : elle y a en effet jugé que la conversation tenue par le salarié, qui était privée et n’avait pas vocation à être rendue publique, ne constituait pas un manquement du salarié à ses obligations découlant du contrat de travail (v. déjà en ce sens, Soc. 4 oct. 2023, n° 21-25.421 P, Dalloz actualité, 13 oct. 2023, obs. A. Nivert ; D. 2023. 1751  ; RDT 2023. 694, chron. Oriane Guillemot
 ; RDT 2023. 694, chron. Oriane Guillemot  ; 27 mars 2012, n° 10-19.915 P, Dalloz actualité, 23 avr. 2012, obs. J. Siro ; D. 2012. 1065, et les obs.
 ; 27 mars 2012, n° 10-19.915 P, Dalloz actualité, 23 avr. 2012, obs. J. Siro ; D. 2012. 1065, et les obs.  ; ibid. 2013. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta
 ; ibid. 2013. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; Dr. soc. 2012. 525, obs. J. Mouly
 ; Dr. soc. 2012. 525, obs. J. Mouly  ; JT 2012, n° 145, p. 12, obs. L.T.
 ; JT 2012, n° 145, p. 12, obs. L.T.  ; 3 mai 2011, n° 09-67.464 P, D. 2011. 1357
 ; 3 mai 2011, n° 09-67.464 P, D. 2011. 1357  ; ibid. 1568, point de vue G. Loiseau
 ; ibid. 1568, point de vue G. Loiseau  ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta
 ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta  ). Eu égard à ce motif, tiré du droit substantiel du travail, le conflit entre le droit à la preuve et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve a été neutralisé : peu importe, en effet, que la preuve produite méconnaisse ou non ce principe puisqu’elle portait sur un fait qui ne pouvait fonder le licenciement ; en portant un regard probatoire sur cette solution, on dirait volontiers du fait offert en preuve qu’il n’était pas pertinent. Sans doute l’assemblée plénière aurait-elle pu statuer sur la recevabilité de l’offre de preuve avant de statuer sur le bien-fondé du licenciement (comp., Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058 P, Dalloz actualité, 21 oct. 2020, obs. M. Peyronnet ; D. 2020. 2383
). Eu égard à ce motif, tiré du droit substantiel du travail, le conflit entre le droit à la preuve et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve a été neutralisé : peu importe, en effet, que la preuve produite méconnaisse ou non ce principe puisqu’elle portait sur un fait qui ne pouvait fonder le licenciement ; en portant un regard probatoire sur cette solution, on dirait volontiers du fait offert en preuve qu’il n’était pas pertinent. Sans doute l’assemblée plénière aurait-elle pu statuer sur la recevabilité de l’offre de preuve avant de statuer sur le bien-fondé du licenciement (comp., Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058 P, Dalloz actualité, 21 oct. 2020, obs. M. Peyronnet ; D. 2020. 2383  , note C. Golhen
, note C. Golhen  ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
 ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane  ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin
 ; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin  ; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam
 ; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam  ; RDT 2020. 753, obs. T. Kahn dit Cohen
 ; RDT 2020. 753, obs. T. Kahn dit Cohen  ; ibid. 764, obs. C. Lhomond
 ; ibid. 764, obs. C. Lhomond  ; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli
 ; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli  ; Légipresse 2020. 528 et les obs.
 ; Légipresse 2020. 528 et les obs.  ; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau
 ; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau  ; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol
 ; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol  ), mais cela n’était pas absolument nécessaire pour rejeter le pourvoi.
), mais cela n’était pas absolument nécessaire pour rejeter le pourvoi.
Même si ce second arrêt n’est pas dénué de tout intérêt, seul le premier, dont les motifs sont reproduits ci-dessus, fera l’objet du présent commentaire. Car il tranche, vraisemblablement de manière définitive, le conflit opposant le droit à la preuve et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve.
Les forces en présence
Les forces en présence paraissaient assez considérables.
▶ D’un côté, on retrouvait le droit à la preuve.
Il est généralement admis à son propos qu’il recouvre deux séries de prérogatives dont sont investis les justiciables : le droit de produire des preuves, d’une part, et le droit d’en obtenir grâce aux mesures d’instruction et de production forcée de pièces ordonnées par le juge, d’autre part (v. not., G. Goubeaux, Le droit à la preuve, in C. Perelman et P. Foriers [dir.], La preuve en droit, Bruylant, 1981, p. 277, spéc. nos 3 s. ; v. égal., G. Lardeux, Le droit à la preuve : tentative de systématisation, RTD civ. 2017. 1, spéc. p. 2 s.  ; A. Bergeaud, Le droit à la preuve, préf. J.-C. Saint-Pau, LGDJ, 2010, p. 184 s.).
 ; A. Bergeaud, Le droit à la preuve, préf. J.-C. Saint-Pau, LGDJ, 2010, p. 184 s.).
Mais il reste bien difficile d’identifier qui, en vertu de ce droit, serait débiteur d’une quelconque obligation ; s’il est toujours possible de faire valoir qu’un droit subjectif n’a pas toujours de débiteur ou encore qu’existeraient des droits subjectifs processuels dont l’une des originalités tiendrait justement à l’absence de tout débiteur (v. à propos du droit d’agir, L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, n° 317 ; v. égal., A. Bergeaud, préc., p. 135 s.), il est aussi permis de considérer qu’il s’agit là d’un artifice car on peine à identifier l’utilité d’un droit subjectif qui n’offrirait ni une prérogative à l’égard d’une chose ni une prérogative autorisant à exiger d’autrui qu’il effectue une prestation.
Quoiqu’il en soit, ces deux dimensions du droit à la preuve ont été consacrées par la Cour de cassation : après avoir reconnu, dans un arrêt fondateur du 5 avril 2012, l’existence d’un droit à la preuve pour permettre à une partie de produire des éléments de preuve qu’elle détenait (Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177 P, Dalloz actualité, 23 avr. 2012, obs. J. Marrocchella ; D. 2012. 1596  , note G. Lardeux
, note G. Lardeux  ; ibid. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon
 ; ibid. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon  ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero
 ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero  ; ibid. 457, obs. E. Dreyer
 ; ibid. 457, obs. E. Dreyer  ; RTD civ. 2012. 506, obs. J. Hauser
 ; RTD civ. 2012. 506, obs. J. Hauser  ; v. égal., Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058 P, Dalloz actualité, 21 oct. 2020, obs. M. Peyronnet ; D. 2020. 2383
 ; v. égal., Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058 P, Dalloz actualité, 21 oct. 2020, obs. M. Peyronnet ; D. 2020. 2383  , note C. Golhen
, note C. Golhen  ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
 ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane  ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin
 ; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin  ; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam
 ; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam  ; RDT 2020. 753, obs. T. Kahn dit Cohen
 ; RDT 2020. 753, obs. T. Kahn dit Cohen  ; ibid. 764, obs. C. Lhomond
 ; ibid. 764, obs. C. Lhomond  ; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli
 ; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli  ; Légipresse 2020. 528 et les obs.
 ; Légipresse 2020. 528 et les obs.  ; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau
 ; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau  ; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol
 ; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol  ; JCP 2020. 1226, note G. Loiseau ; Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-22.183 P, Dalloz actualité, 25 juill. 2017, obs. A. Portmann ; D. 2017. 1479
 ; JCP 2020. 1226, note G. Loiseau ; Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-22.183 P, Dalloz actualité, 25 juill. 2017, obs. A. Portmann ; D. 2017. 1479  ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ; D. avocats 2017. 321, obs. F. Naftalski et M. Mohajri
 ; D. avocats 2017. 321, obs. F. Naftalski et M. Mohajri  ; Soc. 9 nov. 2016, n° 15-10.203 P, Dalloz actualité, 25 nov. 2016, obs. M. Roussel ; D. 2017. 37, obs. N. explicative de la Cour de cassation
 ; Soc. 9 nov. 2016, n° 15-10.203 P, Dalloz actualité, 25 nov. 2016, obs. M. Roussel ; D. 2017. 37, obs. N. explicative de la Cour de cassation  , note G. Lardeux
, note G. Lardeux  ; ibid. 2018. 259, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2018. 259, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ; Just. & cass. 2017. 170, rapp. A. David
 ; Just. & cass. 2017. 170, rapp. A. David  ; ibid. 188, avis H. Liffran
 ; ibid. 188, avis H. Liffran  ; Dr. soc. 2017. 89, obs. J. Mouly
 ; Dr. soc. 2017. 89, obs. J. Mouly  ; RDT 2017. 134, obs. B. Géniaut
 ; RDT 2017. 134, obs. B. Géniaut  ; RTD civ. 2017. 96, obs. J. Hauser
 ; RTD civ. 2017. 96, obs. J. Hauser  ; Civ. 1re, 25 févr. 2016, n° 15-12.403 P, Dalloz actualité, 14 mars 2016, obs. N .Kilgus ; D. 2016. 884
 ; Civ. 1re, 25 févr. 2016, n° 15-12.403 P, Dalloz actualité, 14 mars 2016, obs. N .Kilgus ; D. 2016. 884  , note J.-C. Saint-Pau
, note J.-C. Saint-Pau  ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ; AJ pénal 2016. 326, obs. D. Aubert
 ; AJ pénal 2016. 326, obs. D. Aubert  ; RTD civ. 2016. 320, obs. J. Hauser
 ; RTD civ. 2016. 320, obs. J. Hauser  ; ibid. 371, obs. H. Barbier
 ; ibid. 371, obs. H. Barbier  ), elle l’a étendu aux mesures d’instruction et de production forcée de pièces ordonnées par le juge, notamment sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (Civ. 1re, 6 déc. 2023, n° 22-19.285 P, Dalloz actualité, 12 déc. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2197
), elle l’a étendu aux mesures d’instruction et de production forcée de pièces ordonnées par le juge, notamment sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (Civ. 1re, 6 déc. 2023, n° 22-19.285 P, Dalloz actualité, 12 déc. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2197  ; Com. 28 juin 2023, n° 22-11.752 P, Dalloz actualité, 7 juill. 2023, obs. F. Expert ; Soc. 8 mars 2023, n° 21-12.492 P, D. 2023. 505
 ; Com. 28 juin 2023, n° 22-11.752 P, Dalloz actualité, 7 juill. 2023, obs. F. Expert ; Soc. 8 mars 2023, n° 21-12.492 P, D. 2023. 505  ; ibid. 1443, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
 ; ibid. 1443, obs. S. Vernac et Y. Ferkane  ; Dalloz IP/IT 2023. 660, obs. G. Haas et C. Paillet
 ; Dalloz IP/IT 2023. 660, obs. G. Haas et C. Paillet  ; RTD civ. 2023. 444, obs. J. Klein
 ; RTD civ. 2023. 444, obs. J. Klein  ; Civ. 2e, 24 mars 2022, n° 20-21.925 P, Dalloz actualité, 21 avr. 2022, obs. N. Hoffschir ; Rev. prat. rec. 2022. 6, chron. C. Simon
 ; Civ. 2e, 24 mars 2022, n° 20-21.925 P, Dalloz actualité, 21 avr. 2022, obs. N. Hoffschir ; Rev. prat. rec. 2022. 6, chron. C. Simon  ; RTD civ. 2022. 971, obs. N. Cayrol
 ; RTD civ. 2022. 971, obs. N. Cayrol  ; 20 juin 2021, n° 20-13.198, inédit ; Com. 15 mai 2019, n° 18-10.491 P, Dalloz actualité, 17 juin 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019. 1595
 ; 20 juin 2021, n° 20-13.198, inédit ; Com. 15 mai 2019, n° 18-10.491 P, Dalloz actualité, 17 juin 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019. 1595  , note H. Michelin-Brachet
, note H. Michelin-Brachet  ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet
 ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet  ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ).
).
Mais ce colosse du droit à la preuve a des pieds d’argiles. Car il est possible de douter de son utilité : il n’a naturellement pas fallu attendre la consécration du droit à la preuve pour que les justiciables disposent et usent de prérogatives destinées à produire ou à obtenir des éléments de preuve. C’est pourquoi, en dépit des apparences, le droit positif n’a sans doute guère été altéré par sa consécration (v. en ce sens, E. Jeuland, La Cour de cassation réduit le contrôle de proportionnalité en matière de droit à la preuve, SSL 18 janv. 2021, p. 10).
Même le fondement de ce droit « nouveau » n’apporte peut-être pas grand-chose. À la suite d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 10 oct.  2006, L.L. c/ France, préc.) – arrêt dont la portée demeure encore discutée (v. not., X. Lagarde, Le droit à la preuve, D. 2023. 1526  ) – la Cour de cassation a déduit l’existence du droit à la preuve du droit à un procès équitable, découlant de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (v. les arrêts cités supra). Il n’est cependant pas certain que ce fondement apporte grand-chose sauf, encore que cela soit difficilement perceptible, lorsque le juge opère un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et un droit concurrent (F. Jollec et E. de Leiris, obs. ss. Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-14.309 P et 10 juin 2021, n° 20-11.987 P, D. 2021. 1194
) – la Cour de cassation a déduit l’existence du droit à la preuve du droit à un procès équitable, découlant de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (v. les arrêts cités supra). Il n’est cependant pas certain que ce fondement apporte grand-chose sauf, encore que cela soit difficilement perceptible, lorsque le juge opère un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et un droit concurrent (F. Jollec et E. de Leiris, obs. ss. Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-14.309 P et 10 juin 2021, n° 20-11.987 P, D. 2021. 1194  ; ibid. 1795, spéc. n° 4, chron. G. Guého, O. Talabardon, F. Jollec, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier
 ; ibid. 1795, spéc. n° 4, chron. G. Guého, O. Talabardon, F. Jollec, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier  ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ; ibid. 625, obs. N. Fricero
 ; ibid. 625, obs. N. Fricero  ; RTD civ. 2021. 647, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2021. 647, obs. H. Barbier  ). Car certains droits consacrés par la Convention européenne souffrent des dérogations qui ne trouvent pas nécessairement leur source dans la nécessité de respecter d’autres droits fondamentaux : ainsi, s’agissant du droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des correspondances, qui constitue le concurrent le plus direct du droit à la preuve, une ingérence d’une autorité publique n’est pas contraire à la Convention dès lors qu’elle est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui (Conv. EDH, art. 8, § 2).
). Car certains droits consacrés par la Convention européenne souffrent des dérogations qui ne trouvent pas nécessairement leur source dans la nécessité de respecter d’autres droits fondamentaux : ainsi, s’agissant du droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des correspondances, qui constitue le concurrent le plus direct du droit à la preuve, une ingérence d’une autorité publique n’est pas contraire à la Convention dès lors qu’elle est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la protection des droits et libertés d’autrui (Conv. EDH, art. 8, § 2).
▶ D’un autre côté, il y avait le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, solennellement consacré à peu près en même temps que le droit à la preuve par l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass., ass. plén., 7 janv. 2011, nos 09-14.316 et 09-14.667 P, D. 2011. 562, obs. E. Chevrier  , note F. Fourment
, note F. Fourment  ; ibid. 618, chron. V. Vigneau
 ; ibid. 618, chron. V. Vigneau  ; ibid. 2891, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin
 ; ibid. 2891, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin  ; RTD civ. 2011. 127, obs. B. Fages
 ; RTD civ. 2011. 127, obs. B. Fages  ; ibid. 383, obs. P. Théry
 ; ibid. 383, obs. P. Théry  ; RTD eur. 2012. 526, obs. F. Zampini
 ; RTD eur. 2012. 526, obs. F. Zampini  ), même si ce principe est bien plus ancien et était déjà contenu en germe dans la jurisprudence de la fin du XIXe siècle (v. la fameuse dite « des décorations », Cass., ch. réun., 31 janv. 1888, S. 1889. 1. 241, obs. J.-E. L.). En tant que principe, il constitue une composante du droit objectif ; mais, parce qu’il s’agit d’un principe, il n’est porté par aucune source écrite (v. sur ce point, P. Morvan, Le principe de droit privé, préf. J.-L. Sourioux, Panthéon-Assas, 1999, spéc. nos 57-58 et 435 s.). Les contours du principe de loyauté dans l’administration de la preuve demeurent cependant assez vagues car la déloyauté constitue une notion qui mérite une interprétation : il n’est dès lors pas exclu que l’application de ce principe réponde à des préoccupations politiques et au souhait de protéger certaines catégories d’intérêts déterminés : ceux des salariés vis-à-vis des employeurs notamment (M.-E. Boursier, Le principe de loyauté en droit processuel, préf. S. Guinchard, Dalloz, 2003, nos 349-352).
), même si ce principe est bien plus ancien et était déjà contenu en germe dans la jurisprudence de la fin du XIXe siècle (v. la fameuse dite « des décorations », Cass., ch. réun., 31 janv. 1888, S. 1889. 1. 241, obs. J.-E. L.). En tant que principe, il constitue une composante du droit objectif ; mais, parce qu’il s’agit d’un principe, il n’est porté par aucune source écrite (v. sur ce point, P. Morvan, Le principe de droit privé, préf. J.-L. Sourioux, Panthéon-Assas, 1999, spéc. nos 57-58 et 435 s.). Les contours du principe de loyauté dans l’administration de la preuve demeurent cependant assez vagues car la déloyauté constitue une notion qui mérite une interprétation : il n’est dès lors pas exclu que l’application de ce principe réponde à des préoccupations politiques et au souhait de protéger certaines catégories d’intérêts déterminés : ceux des salariés vis-à-vis des employeurs notamment (M.-E. Boursier, Le principe de loyauté en droit processuel, préf. S. Guinchard, Dalloz, 2003, nos 349-352). 
Le conflit qu’a ainsi dû trancher la Cour de cassation opposait un droit subjectif assis sur des fondements incertains à une norme relevant du droit objectif « à géométrie variable » (G. Loiseau, note préc., citée par H. Fulchiron, rapp. aff. n° 21-11.330), il ne s’agissait ainsi ni d’une confrontation entre deux normes de droit objectif ni d’une confrontation entre deux droits subjectifs.
Le dénouement du combat
L’assemblée plénière de la Cour de cassation a ainsi estimé que désormais « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ». C’est là la clé de l’arrêt, les autres motifs ne servant, pour l’essentiel, qu’à mieux justifier sa construction.
Il est permis de former quatre séries d’observations à l’égard de ces motifs.
▶ En premier lieu, on ne peut qu’admettre que cet arrêt constitue bel et bien un revirement de jurisprudence. En droit judiciaire privé, l’élément de preuve recueilli au moyen d’un enregistrement clandestin est classiquement considéré comme déloyal et, comme tel, doit être déclaré irrecevable par le juge saisi (Cass., ass. plén., 7 janv. 2011, préc. ; v. égal., Civ. 2e, 9 janv. 2014, n° 12-17.875, inédit ; Com. 13 oct. 2009, n° 08-19.525, inédit ; Civ. 2e, 7 oct. 2004, n° 03-12.653 P, D. 2005. 122  , note P. Bonfils
, note P. Bonfils  ; ibid. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot
 ; ibid. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot  ; AJ pénal 2005. 30, obs. C. S. Enderlin
 ; AJ pénal 2005. 30, obs. C. S. Enderlin  ; RTD civ. 2005. 135, obs. J. Mestre et B. Fages
 ; RTD civ. 2005. 135, obs. J. Mestre et B. Fages  ). Sans paraître remettre en cause la déloyauté d’un tel procédé, l’assemblée plénière modère la sanction qui y est attachée : l’élément de preuve obtenu au moyen d’un stratagème peut être admis en justice dès lors que le juge estime que celui-ci ne porte pas une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Il est ainsi désormais possible d’affirmer que, en matière civile, l’élément de preuve recueilli de manière déloyale n’est pas nécessairement irrecevable.
). Sans paraître remettre en cause la déloyauté d’un tel procédé, l’assemblée plénière modère la sanction qui y est attachée : l’élément de preuve obtenu au moyen d’un stratagème peut être admis en justice dès lors que le juge estime que celui-ci ne porte pas une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Il est ainsi désormais possible d’affirmer que, en matière civile, l’élément de preuve recueilli de manière déloyale n’est pas nécessairement irrecevable.
▶ L’office du juge confronté à un élément de preuve illicite ou déloyale paraît dual. Il doit rechercher s’il est porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble en mettant en balance le droit à la preuve, d’un côté, et les droits antinomiques en présence, de l’autre. La formule démontre une nouvelle fois que le droit à la preuve constitue une composante ou un prolongement du droit à un procès équitable. Mais il faut encore l’approfondir : lorsqu’un élément de preuve est obtenu de manière déloyale, le juge doit toujours apprécier si la procédure revêt un caractère équitable dans son ensemble et ce, à l’égard tant de l’auteur de la production litigieuse que de celui auquel elle est opposée.
À l’égard de l’auteur de la production litigieuse, le juge ne peut déclarer irrecevable l’élément de preuve sans, au préalable, s’être assuré du caractère équitable de la procédure : il lui appartient ainsi de s’assurer que le plaideur a bénéficié d’une possibilité raisonnable de faire valoir ses droits et que les restrictions apportées à l’admissibilité des modes de preuve ne conduisent pas à faire peser sur lui une charge disproportionnée (comp., CEDH 31 mai 2016, Tence c/ Slovenia, n° 37242/14, §§ 35-38, Dalloz actualité, 1er juin 2016, obs. A. Portmann). C’est dans le prolongement de cette idée que s’inscrit la Cour de cassation lorsqu’elle souligne que le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ne doit pas conduire à priver une partie de toute possibilité de rapporter la preuve qui lui incombe.
En revanche, le juge ne peut déclarer recevable un élément de preuve recueilli de manière déloyale sans veiller à ce que les droits de la défense de l’ensemble des parties aient bien été respectés, ce qui implique, notamment, que toutes aient bien pu discuter de l’élément litigieux : la Cour européenne des droits de l’homme l’a énoncé de manière formelle dans l’arrêt López Ribalda (CEDH 17 oct. 2019, López Ribalda et autres c/ Espagne, nos 1874/13 et 8567/13, § 150, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen  ; D. 2019. 2039, et les obs.
 ; D. 2019. 2039, et les obs.  ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ; AJ pénal 2019. 604, obs. P. Buffon
 ; AJ pénal 2019. 604, obs. P. Buffon  ; Dr. soc. 2021. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly
 ; Dr. soc. 2021. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly  ; RDT 2020. 122, obs. B. Dabosville
 ; RDT 2020. 122, obs. B. Dabosville  ; Légipresse 2020. 64, étude G. Loiseau
 ; Légipresse 2020. 64, étude G. Loiseau  ; RTD civ. 2019. 815, obs. J.-P. Marguénaud
 ; RTD civ. 2019. 815, obs. J.-P. Marguénaud  ), qui, sur ce point, n’a fait que transposer à la matière civile, des principes énoncés dans le champ pénal (v. par ex., CEDH 25 nov. 2021, Sassi et Benchellali c/ France, nos 10917/15 et 10941/15, § 86, Dalloz actualité, 3 déc. 2021, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2021. 600 et les obs.
), qui, sur ce point, n’a fait que transposer à la matière civile, des principes énoncés dans le champ pénal (v. par ex., CEDH 25 nov. 2021, Sassi et Benchellali c/ France, nos 10917/15 et 10941/15, § 86, Dalloz actualité, 3 déc. 2021, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2021. 600 et les obs.  ; 11 juill. 2006, Jalloh c/ Allemagne, n° 54810/00, § 95, AJDA 2006. 1709, chron. J.-F. Flauss
 ; 11 juill. 2006, Jalloh c/ Allemagne, n° 54810/00, § 95, AJDA 2006. 1709, chron. J.-F. Flauss  ). Ce second aspect ne doit pas être négligé, même s’il n’est pas mentionné dans l’arrêt commenté.
). Ce second aspect ne doit pas être négligé, même s’il n’est pas mentionné dans l’arrêt commenté.
▶ L’assemblée plénière de la Cour de cassation s’est en effet bornée à préciser comment, lorsque cela leur est demandé (et uniquement en ce cas, v. en ce sens, G. Loiseau, préc., n° 8), les juges du fond doivent apprécier le caractère équitable de la procédure dans son ensemble avant de déclarer irrecevable un élément de preuve recueilli de manière déloyale. Alors même que le conflit opposait le droit à la preuve et une norme relevant du droit objectif, l’assemblée plénière a procédé à une « subjectivisation » de celui-ci ; en somme elle paraît avoir appréhendé le conflit comme s’il opposait deux droits subjectifs susceptibles de se heurter. Cela est manifeste lorsqu’elle préconise de mettre en balance le droit à la preuve et les « droits antinomiques en présence » (les caractères en italique sont ajoutés) ou lorsqu’elle souligne que le droit à la preuve peut justifier « la production d’éléments portant atteintes à d’autres droits » (les caractères en italique sont ajoutés). Le communiqué diffusé par la Cour de cassation s’inscrit dans le prolongement de cette appréhension du problème en soulignant que le revirement de jurisprudence « répond à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse » (les caractères en italique sont ajoutés).
Même s’il n’est naturellement pas exclu qu’un principe donne naissance à un droit subjectif (P. Morvan, préc., n° 58), on a cependant du mal à dessiner les contours d’un droit à la loyauté de la preuve qui découlerait du principe de loyauté dans l’administration de la preuve : le principe de loyauté dans l’administration de la preuve apparaît comme une norme de droit objectif qui ne fait qu’encadrer, voire limiter l’exercice du droit à la preuve sans elle-même créer un nouveau droit subjectif au profit des adversaires. Lorsque la recevabilité d’une preuve recueillie de manière déloyale est en jeu, on comprend dès lors assez mal l’invitation adressée aux juges du fond de concilier le droit à la preuve avec d’autres droits.
Même si ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation procède à une « subjectivisation » (Soc. 25 nov. 2020, n° 17-19.523 P, D. 2021. 117  , note G. Loiseau
, note G. Loiseau  ; ibid. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
 ; ibid. 1152, obs. S. Vernac et Y. Ferkane  ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2022. 431, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ; Dr. soc. 2021. 21, étude N. Trassoudaine-Verger
 ; Dr. soc. 2021. 21, étude N. Trassoudaine-Verger  ; ibid. 170, étude R. Salomon
 ; ibid. 170, étude R. Salomon  ; ibid. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly
 ; ibid. 503, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly  ; RDT 2021. 199, obs. S. Mraouahi
 ; RDT 2021. 199, obs. S. Mraouahi  ; Dalloz IP/IT 2020. 655, obs. C. Crichton
 ; Dalloz IP/IT 2020. 655, obs. C. Crichton  ; ibid. 2021. 356, obs. G. Péronne
 ; ibid. 2021. 356, obs. G. Péronne  ; Légipresse 2021. 8 et les obs.
 ; Légipresse 2021. 8 et les obs.  ; RTD civ. 2021. 413, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2021. 413, obs. H. Barbier  ), cette voie n’en demeure pas moins critiquable (v. V. Fourment, Le contrôle de proportionnalité à la Cour de cassation. L’office du juge à l’épreuve de la mise en balance et du contrôle de conventionnalité, thèse, 2022, nos 286 s.). D’une part, car le conflit qui oppose deux droits subjectifs garantis par la Convention européenne ne doit pas nécessairement être résolu de la même manière que celui qui oppose un droit garanti par la Convention à une norme de droit interne. D’autre part, car la formule employée par la Cour de cassation devient difficile à interpréter.
), cette voie n’en demeure pas moins critiquable (v. V. Fourment, Le contrôle de proportionnalité à la Cour de cassation. L’office du juge à l’épreuve de la mise en balance et du contrôle de conventionnalité, thèse, 2022, nos 286 s.). D’une part, car le conflit qui oppose deux droits subjectifs garantis par la Convention européenne ne doit pas nécessairement être résolu de la même manière que celui qui oppose un droit garanti par la Convention à une norme de droit interne. D’autre part, car la formule employée par la Cour de cassation devient difficile à interpréter.
▶ Dès lors comment comprendre la formule de l’assemblée plénière ? Il est vraisemblable que l’assemblée plénière de la Cour de cassation invite le juge à une opération assez simple s’il estime que la preuve est illicite ou déloyale : après avoir constaté l’illicéité de la preuve ou la déloyauté auxquelles il a été recouru lors de son obtention, il doit toujours rechercher si la production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et, le cas échéant, procéder à une mise en balance entre, d’un côté, le droit à la preuve et, de l’autre, les autres intérêts en présence.
Lorsque le juge recherche si la production d’un élément de preuve est indispensable à l’exercice du droit à la preuve, il doit, selon nous, procéder à un double contrôle.
Déjà, comme cela est fréquemment souligné, il lui appartient naturellement de rechercher si la preuve pourrait être rapportée autrement que par l’élément litigieux : si les autres éléments du dossier suffisent à emporter sa conviction, il faut considérer que la production de la preuve n’est pas indispensable (v. en ce sens, G. Loiseau, Le droit de la preuve illicite, JCP S 2023. 1095, spéc. n° 8). Cela revient finalement à admettre que la preuve illicite ou déloyale est recevable dès lors qu’elle est pertinente puisque, sans elle, la conviction du juge ne serait pas établie (v. sur cet aspect de la notion de pertinence, J. Chevallier, Le contrôle de la Cour de cassation sur la pertinence de l’offre de preuve, D. 1956. Chron. IX, p. 37 s., spéc. p. 39) : en somme, cela revient à cantonner le jeu de la déloyauté aux seules preuves dénuées de pertinence et il est naturellement possible de regretter que le juge à apprécie la crédibilité de la preuve avant de statuer sur sa recevabilité… Mais, pour que la preuve soit considérée comme indispensable, le juge doit, selon nous, procéder à un second contrôle : il lui appartient en effet de rechercher que la preuve produite constitue l’unique élément de preuve que le justiciable a pu recueillir ; en somme, à l’image de la carence dans l’administration de la preuve (C. pr. civ., art. 146), on ne doit pas pouvoir reprocher au justiciable de ne pas avoir constitué d’autres éléments de preuve. Le juge est alors amené à porter son attention sur le passé pour rechercher s’il était loisible au particulier de se ménager d’autres éléments de preuve (v. en ce sens, G. Lardeux, préc., p. 4-7). Ce second contrôle est nécessaire si on souhaite éviter de remettre en cause l’ensemble des dispositions qui réglementent la recevabilité des éléments de preuve : sans celui-ci, en effet, un particulier pourrait, au nom de son droit à la preuve, demander à ce que n’importe laquelle des restrictions légales ne joue pas dès lors qu’il ne dispose d’aucun élément de preuve pour prouver son droit si ce n’est celui qu’il a constitué en méconnaissance des dispositions de la loi.
Si la preuve est indispensable à l’exercice du droit à la preuve, le juge ne peut cependant la déclarer recevable qu’après avoir mis en balance celui-ci avec les droits antinomiques en présence : il peut s’agit du droit au respect dû à la vie privée, mais aussi, selon nous – et même si cela peut toujours être débattu au regard de la formule employée par la Cour de cassation –, du respect de la dignité et de la crédibilité de la justice. Même s’il ne s’agit pas de droits subjectifs à proprement parler, toute autre interprétation conduirait à faire toujours prévaloir le droit à la preuve sur le principe de loyauté dans l’administration de la preuve dès lors qu’il n’en résulte aucune atteinte aux droits des parties adverses, ce qui condamnerait pour une large part le principe de loyauté.
Finalement, la Cour de cassation concilie le droit à la preuve et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, conciliation qui avait été annoncée par une partie de la doctrine (G. Lardeux, préc., spéc. p. 15-16).
Les raisons du revirement
Outre l’autorité des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme, dont l’interprétation peut être discutée (v. not., X. Lagarde, préc.), le revirement opéré dans l’arrêt commenté est assis sur un certain nombre de justifications que la Cour de cassation a pris le soin de mentionner et dont il convient de dire un mot.
▶ En premier lieu, l’assemblée plénière a mis en avant le risque de contournement de l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenues de manière déloyale par le recours au juge répressif. Il est vrai que, sans condamner l’application du principe de loyauté dans l’administration de la preuve en matière pénale, la chambre criminelle cantonne son champ d’application et refuse qu’il produise un quelconque effet à l’égard des particuliers : tantôt elle le justifie en soulignant qu’« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale » (Crim. 11 juill. 2023, n° 23-82.682, inédit, AJ pénal 2023. 465, obs. C. Le Corre  ; 1er déc. 2020, n° 20-82.078 P, Dalloz actualité, 11 déc. 2020, obs. S. Hasnaoui-Dufrenne ; D. 2021. 774
 ; 1er déc. 2020, n° 20-82.078 P, Dalloz actualité, 11 déc. 2020, obs. S. Hasnaoui-Dufrenne ; D. 2021. 774  , note L. Saenko
, note L. Saenko  ; ibid. 379, chron. M. Fouquet, A.-L. Méano, A.-S. de Lamarzelle, C. Carbonaro et L. Ascensi
 ; ibid. 379, chron. M. Fouquet, A.-L. Méano, A.-S. de Lamarzelle, C. Carbonaro et L. Ascensi  ; ibid. 1564, obs. J.-B. Perrier
 ; ibid. 1564, obs. J.-B. Perrier  ; AJ pénal 2021. 102, obs. C. Ambroise-Castérot
 ; AJ pénal 2021. 102, obs. C. Ambroise-Castérot  ; Légipresse 2020. 654 et les obs.
 ; Légipresse 2020. 654 et les obs.  ; RSC 2021. 117, obs. P.-J. Delage
 ; RSC 2021. 117, obs. P.-J. Delage  ; 9 mars 2010, n° 08-88.501, inédit ; 7 déc. 2011, n° 11-80.224, inédit ; 6 avr. 1994, n° 93-82.717 P, D. 1994. 155
 ; 9 mars 2010, n° 08-88.501, inédit ; 7 déc. 2011, n° 11-80.224, inédit ; 6 avr. 1994, n° 93-82.717 P, D. 1994. 155  ; RSC 1994. 776, obs. G. Giudicelli-Delage
 ; RSC 1994. 776, obs. G. Giudicelli-Delage  ) ; tantôt elle fonde cette limitation en soulignant que les éléments de preuve produits par les particuliers ne constituent pas des actes susceptibles d’annulation (Crim. 31 janv. 2012, n° 11-85.464 P, Dalloz actualité, 7 févr. 2012, obs. M. Léna ; D. 2012. 440, obs. M. Lena
) ; tantôt elle fonde cette limitation en soulignant que les éléments de preuve produits par les particuliers ne constituent pas des actes susceptibles d’annulation (Crim. 31 janv. 2012, n° 11-85.464 P, Dalloz actualité, 7 févr. 2012, obs. M. Léna ; D. 2012. 440, obs. M. Lena  ; ibid. 914
 ; ibid. 914  , note F. Fourment
, note F. Fourment  ; ibid. 2118, obs. J. Pradel
 ; ibid. 2118, obs. J. Pradel  ; AJ pénal 2012. 224
 ; AJ pénal 2012. 224  , note E. Daoud et P.-P. Boutron-Marmion
, note E. Daoud et P.-P. Boutron-Marmion  ; RSC 2012. 401, obs. X. Salvat
 ; RSC 2012. 401, obs. X. Salvat  ; 23 juill. 1992, n° 92-82.721 P, D. 1993. 206
 ; 23 juill. 1992, n° 92-82.721 P, D. 1993. 206  , obs. J. Pradel
, obs. J. Pradel  ; RTD civ. 1993. 101, obs. J. Hauser
 ; RTD civ. 1993. 101, obs. J. Hauser  ). Aucune de ces raisons n’est véritablement convaincante : le propre d’un principe est de produire des effets en marge des dispositions textuelles (v. supra) et aucune raison sérieuse ne justifie de limiter son application aux particuliers (S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 16e éd., LexisNexis, 2023, n° 588). Il faut en réalité sans doute voir dans cette jurisprudence une volonté « politique » de la chambre criminelle de ne pas priver les juridictions répressives des éléments de preuve qu’ont pu réunir les particuliers.
). Aucune de ces raisons n’est véritablement convaincante : le propre d’un principe est de produire des effets en marge des dispositions textuelles (v. supra) et aucune raison sérieuse ne justifie de limiter son application aux particuliers (S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 16e éd., LexisNexis, 2023, n° 588). Il faut en réalité sans doute voir dans cette jurisprudence une volonté « politique » de la chambre criminelle de ne pas priver les juridictions répressives des éléments de preuve qu’ont pu réunir les particuliers.
Même critiquable, cette jurisprudence a pour conséquence de permettre à la personne qui exerce une action civile devant le juge répressif plutôt que devant le juge civil de contourner les effets du principe de loyauté dans l’administration de la preuve. L’arrêt commenté permet, comme cela est souligné dans celui-ci, de rapprocher les jurisprudences des chambres civiles et criminelle de la Cour de cassation puisque, après les juridictions pénales, les effets du principe de loyauté dans l’administration de la preuve sont à leur tour limités devant les juridictions civiles (v. supra). Le rapprochement ne devrait cependant pas conduire à une confusion des solutions dès lors que l’on admet encore que le principe de loyauté dans l’administration de la preuve joue encore en matière civile à l’égard des particuliers. En revanche, devant les juridictions répressives, la solution retenue par l’assemblée plénière, ne devrait pas s’appliquer dès lors qu’est visé le seul article 9 du code de procédure civile dans l’arrêt commenté.
▶ En second lieu, l’assemblée plénière justifie son revirement au regard de la difficulté qui existe de dissocier la preuve illicite et la preuve déloyale. Cette seconde raison, purement pratique, n’est pas parfaitement convaincante. Sans doute existe-t-il des cas où l’obtention d’un élément de preuve peut tout à la fois être le fruit d’un stratagème et, par conséquent, heurter le principe de loyauté dans l’administration de la preuve et être illicite car elle porte atteinte au droit subjectif d’une partie. Mais il faut admettre que ces exigences ne se situent pas sur le « même plan » (v. par ex., P. Adam, note ss. Soc. 10 nov. 2021, n° 20-12.263 P, D. 2021. 2093  ; Dr. soc. 2022. 81, obs. P. Adam
 ; Dr. soc. 2022. 81, obs. P. Adam  ; Dalloz IP/IT 2022. 157, obs. E. Daoud et I. Bello
 ; Dalloz IP/IT 2022. 157, obs. E. Daoud et I. Bello  ) : « le principe de loyauté dans l’administration de la preuve est une question qui se pose en amont » (M. Mekki, Preuve et vérité en France, in La preuve. Travaux de l’association Henri Capitant – Journée Pays-Bas/Belgique, Bruylant, 2015, p. 813 et s., n° 41).
) : « le principe de loyauté dans l’administration de la preuve est une question qui se pose en amont » (M. Mekki, Preuve et vérité en France, in La preuve. Travaux de l’association Henri Capitant – Journée Pays-Bas/Belgique, Bruylant, 2015, p. 813 et s., n° 41).
Finalement, cet arrêt laisse une impression mitigée. Car pour résoudre le conflit opposant le droit à la preuve et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’assemblée plénière a appréhendé ce dernier comme un droit subjectif. La portée de règles relevant du droit objectif est ainsi modelée par le droit à la preuve : il n’est pourtant pas évident qu’il était nécessaire, pour respecter les termes de la Convention européenne, de mener ainsi un contrôle de proportionnalité in concreto passant une subjectivisation du conflit…
© Lefebvre Dalloz