Personne étrangère placée sous curatelle et rétention administrative

Dans un arrêt rendu le 15 novembre 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle que dès lors qu’un étranger placé en rétention fait l’objet d’une mesure de protection juridique, l’autorité administrative qui en a connaissance doit informer la personne chargée de la mesure afin que l’étranger puisse exercer ses droits.

L’intersection entre le droit des majeurs vulnérables et le droit des étrangers peut se révéler bien dangereuse en droit privé.  Il arrive, en effet, que des mesures de protection soient ouvertes concernant des personnes étrangères qui, quelques temps plus tard, font l’objet d’une rétention administrative. Se pose alors la question de l’information du curateur ou du tuteur le cas échéant. L’arrêt rendu le 15 novembre 2023 par la première chambre civile de la Cour de cassation permet une précision importante qui suscite des comparaisons utiles avec le contentieux des hospitalisations sous contrainte où des interrogations similaires existent.

Les faits ayant donné lieu au pourvoi reposent sur le placement, le 20 janvier 2020, en curatelle renforcée d’une personne de nationalité étrangère pour une durée de 60 mois. Or, celle-ci fait l’objet par la suite d’un arrêté ministériel d’expulsion. Par conséquent, l’étranger est placé en rétention administrative le 19 octobre 2021. Le juge des libertés et de la détention est saisi par l’intéressé d’une contestation de son placement en rétention par application de l’article L. 741-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le préfet saisit également le juge des libertés et de la détention d’une prolongation de la mesure de rétention sur le fondement de l’article L. 742-1 du même instrument. En cause d’appel, l’ordonnance rendue par la premier président rejette la requête en contestation de la décision de placement en rétention aux motifs qu’aucun texte n’impose à l’Administration ou au procureur d’aviser le curateur de l’étranger de son placement en rétention. La personne étrangère placée en rétention se pourvoit en cassation en estimant qu’une telle information du curateur résulte nécessairement de la combinaison des articles applicables du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile avec l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’arrêt rendu par la première chambre civile le 15 novembre 2023 aboutit à une cassation de l’ordonnance, solution faisant triompher une certaine vision de l’information que doit recevoir la personne étrangère au sens des textes applicables.

Une solution garante des droits et libertés de la personne en situation de rétention

La première chambre civile opère une cassation au visa des articles 467, alinéa 3, et 468, alinéa 3, du code civil et des articles L. 741-9 et L. 741-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ces textes lui permettent de préciser « qu’il incombe à l’autorité administrative, dès lors qu’elle dispose d’éléments laissant apparaître que l’étranger placé en rétention fait l’objet d’une mesure de protection juridique, telle qu’une curatelle, d’informer du placement la personne chargée de cette mesure, afin que l’étranger puisse exercer ses droits et, le cas échéant, contester la décision de placement » (pt 5 de l’arrêt commenté, nous soulignons). On connaît la sévérité, notamment, de la Cour européenne des droits de l’homme quant aux restrictions de liberté et donc aux difficultés suscitées par la rétention administrative des étrangers en droit français. Quand la personne étrangère est placée sous une mesure de protection, la personne chargée de la mesure doit pouvoir être informée par l’Administration pour que le majeur vulnérable puisse utiliser les voies de recours à sa disposition sans quoi les droits fondamentaux dont il bénéficie ne seraient qu’illusoires et théoriques. On pourra objecter que le code ne délivre, assez mystérieusement, pas cette précision pourtant utile, lacune qu’il conviendrait très certainement de corriger lors d’une réforme législative.

Il faut remarquer la prudence de la motivation employée puisque le segment « dès lors qu’elle dispose des éléments laissant apparaître que l’étranger placé en rétention fait l’objet d’une mesure de protection juridique » (nous soulignons) vient très clairement permettre à l’Administration de se targuer de l’absence de connaissance d’une telle mesure. En pratique, ceci peut arriver très fréquemment eu égard à la complexité des opérations dans des délais très brefs. Il faut donc accueillir avec la plus grande bienveillance cette incise de la première chambre civile qui évite des annulations en cascade de procédures où l’Administration ne dispose d’aucun élément concernant un placement sous une mesure de protection.

Le droit des hospitalisations sous contrainte apporte un éclairage intéressant à l’arrêt étudié.

Un facteur de comparaison : les hospitalisations sans consentement

Il n’est pas rare de pouvoir utilement comparer le droit de la rétention administrative des étrangers avec le contrôle des hospitalisations sans consentement et ce en raison du rôle clef que joue le juge des libertés et de la détention dans ces deux types de procédure. On se rappelle, à ce titre, que le croisement entre les hospitalisations sous contrainte et le droit des majeurs vulnérables est riche en enseignements. Par exemple, le majeur vulnérable sous curatelle faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement peut remettre en question la mesure sans l’assistance de son curateur (Civ. 1re, 5 juill. 2023, n° 23-10.096 FS-B, Dalloz actualité, 12 juill. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1498 , note J.-J. Lemouland et G. Raoul-Cormeil  ; AJ fam. 2023. 466, obs. V. Montourcy  ; RTD civ. 2023. 599, obs. A.-M. Leroyer ). Mais on connaît également la sévérité de la première chambre civile sur l’information de la personne chargée de la mesure que ce soit en matière de tutelle et de convocation à l’audience (Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 16-24.869 F-P+B, Dalloz actualité, 3 nov. 2017, obs. N. Peterka ; D. 2017. 2102  ; ibid. 2018. 1458, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro  ; AJ fam. 2017. 593, obs. V. Montourcy ) ou en matière de curatelle (Civ. 1re, 16 mars 2016, n° 15-13.745 F-P+B, Dalloz actualité, 4 avr. 2016, obs. R. Mésa ; D. 2016. 708  ; AJ fam. 2016. 267, obs. T. Verheyde  ; RTD civ. 2016. 322, obs. J. Hauser ).

Toutefois, la comparaison permet également de mettre en lumière les différences qui existent entre le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile d’une part et le code de la santé publique d’autre part. Dans ce dernier instrument, l’article R. 3211-13, 2°, prévoit, en effet, la convocation de « la personne chargée de la mesure de protection juridique relative à la personne (ndlr : placée en hospitalisation sous contrainte) ». Le droit des étrangers ne pouvait donc pas véritablement faire l’objet d’une jurisprudence radicalement différente dans laquelle la personne étrangère ne devrait pas voir son curateur informé. La première chambre civile opte, par conséquent, pour une uniformisation fort intéressante du contentieux des libertés et de la détention conforme à l’idée que l’on peut se faire d’une bonne information de la personne privée de liberté temporairement.

L’arrêt du 15 novembre 2023 permet ainsi d’assurer une information cohérente du majeur sous curatelle placé en rétention administrative. Si l’Administration dispose d’éléments laissant apparaître cette mesure, elle doit absolument informer la personne chargée de la mission de protection. Sans quoi, la procédure peut devenir irrégulière et prêter le flanc à la critique. Tout ceci laisse à penser qu’une précision supplémentaire dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne serait pas de trop concernant l’information du curateur…

 

© Lefebvre Dalloz