Petit à petit, la procédure d’appel s’adoucit

Encourt la cassation l’arrêt qui constate l’absence d’effet dévolutif de l’appel alors que l’appelant, dans sa déclaration d’appel, avait limité l’objet de celui-ci aux chefs du jugement qu’il avait expressément énumérés et qui avaient rejeté un certain nombre de prétentions formées par lui devant la juridiction de première instance.

Il est des arrêts dont l’apport ne se laisse pas immédiatement saisir. Le présent arrêt est de ceux-là. Certes, il se fond harmonieusement dans la tendance récente à l’adoucissement du formalisme propre à la déclaration d’appel, en particulier s’agissant de l’énonciation des chefs de jugement critiqués. Toutefois, sa portée précise n’est pas évidente à identifier en première lecture, laquelle laisse à penser que la deuxième chambre civile validerait désormais une déclaration d’appel au moyen de laquelle l’appelant se contenterait de reprendre les demandes rejetées en première instance sans viser le moindre chef de jugement dont l’infirmation serait poursuivie. On le dira derechef : tel n’est pas l’apport de cet arrêt. Pour le réaliser et en prendre la juste mesure, il faut se plonger dans les particularités procédurales de l’espèce.

Au fond, l’affaire est complexe mais peut être aisément résumée sur le plan procédural : deux parties en première instance ont formé diverses demandes, lesquelles ont été rejetées au moyen d’un chef de débouté unique (« débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires »). C’est classique et licite, tant qu’il apparaît que le juge a vraiment examiné, par ses motifs, les demandes rejetées, ce qui ne fait pas difficulté ici.

Les parties succombantes relèvent appel et se trouvent alors face à un dilemme classique au moment de formaliser leur déclaration d’appel : soit elles critiquent expressément ce chef de débouté global, qu’elles reproduisent alors uniquement dans leur acte d’appel ; soit elles critiquent ce chef de débouté global en y ajoutant les demandes rejetées, pour plus de clarté ; soit elles reprennent le détail des demandes rejetées sans reprendre, formellement, le chef de débouté global. Les parties et leur conseil optent pour ce dernier procédé. Très concrètement, les appelants critiquent dans leur déclaration d’appel le rejet des demandes qu’ils déclinent méthodiquement (rejet de telle demande, rejet de telle autre demande, etc.). Mais il est constant qu’ils ne font référence à aucun chef du jugement critiqué, à proprement parler ; ils n’en reprennent aucun mot pour mot et en tout cas pas le chef de débouté global qui leur nuit.

Sans surprise, la Cour d’appel de Paris s’en empare et énonce que l’énumération « qui se contente de viser les demandes rejetées, sans faire référence à un des chefs du dispositif du jugement attaqué, ne saurait satisfaire aux exigences de l’article 562 du code de procédure civile » (Paris, 15 sept. 2022, n° 20/04764). En conséquence, « l’effet dévolutif n’opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration d’appel n’aurait pas été sollicitée par l’intimé ».

Pourvoi est formé et c’est sur moyen relevé d’office que la cassation est prononcée : « En statuant ainsi, alors que l’appelant, dans sa déclaration d’appel, avait limité l’objet de celui-ci aux chefs du jugement qu’il avait expressément énumérés et qui avaient rejeté un certain nombre de prétentions formées par lui devant le tribunal de commerce, la cour d’appel a violé » les articles 562 et 901, 4°, du code de procédure civile.

Évidemment, l’arrêt contraste avec la jurisprudence classique, particulièrement rigoureuse, dont pouvait se recommander la décision déférée. Il s’inscrit néanmoins fort bien dans la tendance moderne à l’adoucissement de cette jurisprudence, dont il constitue même un nouveau jalon.

Jurisprudence classique

La jurisprudence classique est aujourd’hui bien connue, s’agissant tant de la charge procédurale qu’elle impose lors de la formalisation de la déclaration d’appel que de la sanction associée.

En droit positif, il résulte des articles 562 et 901 du code de procédure civile, tels qu’interprétés en jurisprudence, que l’appelant doit, dans sa déclaration d’appel, viser les chefs du jugement critiqués. L’article 901, 7°, tel qu’issu du décret du 29 décembre 2023 est plus clair encore : l’appelant doit indiquer « les chefs du dispositif du jugement expressément critiqués ». Ordinairement, on en déduit que l’appelant doit reprendre, de façon servile, et donc généralement par voie de copier-coller, les chefs du jugement dont il poursuit la réformation – à moins qu’il poursuive l’annulation du jugement. Quant à la sanction en cas de manquement, elle est double : la nullité pour vice de forme sur le fondement de l’article 114 du code de procédure civile et le redoutable défaut d’effet dévolutif sur le fondement combiné des articles 562 et 901 du même code (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol ).

Cette jurisprudence classique embarrasse souvent la pratique lorsqu’il s’agit, comme au présent cas, de relever appel d’un chef de jugement balai portant débouté général et rejetant « toutes prétentions autres, plus amples et contraires » ; chef de jugement qui fait généralement suite à d’autres plus précis, voire chirurgicaux, portant sur des demandes bien identifiées. Il est à noter que l’appel d’un jugement arborant pour seul chef de dispositif un débouté général pose classiquement des difficultés similaires, même si une récente jurisprudence, sur laquelle nous reviendrons, a grandement simplifié les choses.

En pratique, l’hésitation est là : à suivre les textes et la jurisprudence, il faudrait se contenter de reprendre ce chef de débouté global dans la déclaration d’appel ; mais, en pratique toujours, ce n’est pas satisfaisant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est intellectuellement frustrant car l’appelant qui procède ainsi n’a pas véritablement l’impression de bien renseigner le juge d’appel sur ce qu’il attend très concrètement de lui en termes de réformation. Ensuite et c’est lié, cela peut déranger l’appelant car le chef de débouté global opère généralement rejet de part et d’autre. Autrement dit, ce chef de débouté rejette certaines demandes de l’appelant mais aussi, en règle générale, certaines demandes formulées par les autres parties. Or, il va de soi que l’appelant ne souhaite la réformation de ce chef de débouté global qu’en tant qu’il rejette certaines de ses demandes formulées en première instance : il ne souhaite pas un instant la réformation de ce chef en tant qu’il rejette les demandes adverses et autres. Certes, on dira que l’appel est à la hauteur de la succombance et que, en droit, il est douteux que, sur le seul appel principal d’une partie, le juge d’appel réforme à son détriment un chef de jugement qu’elle critique mais qui lui bénéficie par ailleurs. Toutefois, en pratique, nul ne veut s’aventurer dans ces subtilités ; c’est pourquoi il est tout à fait commun de ne pas se contenter de demander l’infirmation d’un chef de débouté global.

Une bonne pratique généralement observée consiste, dans un premier temps, à faire référence expresse à ce chef de débouté global, en hommage au droit positif, puis à préciser, dans un deuxième temps, la mesure de la réformation demandée, ce qui revient à indiquer en quoi ce chef de débouté doit être partiellement infirmé. Très concrètement, l’appelant précisera dans ce second temps les demandes rejetées en première instance qu’il voudrait voir prospérer en appel sur la réformation du chef de débouté global.

Qu’on s’entende : il ne s’agit pas de dire que la déclaration d’appel est le lieu de formulation des prétentions au fond, car ce n’est pas le cas ; il s’agit seulement pour l’appelant de préciser, pour la parfaite information du juge d’appel et pour une délimitation aussi précise que possible de l’effet dévolutif, la mesure de la réformation poursuivie du chef de débouté global – ce qui passe par l’énumération méthodique des demandes rejetées en première instance par ledit chef.

À notre sens, c’est là une bonne pratique, même si, en droit, sans doute peut-on se contenter de solliciter la réformation du chef de débouté global. En revanche, une moins bonne pratique, qu’on voit parfois mobilisée, consiste à escamoter la référence au chef de débouté global pour aller directement à l’énumération des demandes rejetées en première instance. C’est ce qu’ont fait les appelants en l’espèce. En quoi ils ont été sanctionnés à hauteur d’appel.

De prime abord et en s’en tenant au droit positif classique, la solution adoptée par la Cour d’appel de Paris semble régulière, car il est constant que l’appelant n’a fait référence à aucun chef du jugement critiqué de façon explicite et directe : il s’est contenté d’énumérer les demandes rejetées en première instance (rejet de telle demande, rejet de telle autre demande, etc.). Pourtant, si l’on prend quelque recul pour ajuster la focale, il apparaît que l’appelant ne s’est pas contenté d’énumérer les demandes rejetées. Il a plutôt énuméré les différents rejets de ses demandes impliqués par leur débouté groupé, ce qui n’est pas tout à fait pareil. C’est précisément ce qui conduit à la cassation, dans un contexte jurisprudentiel favorable d’assouplissement du formalisme de la déclaration d’appel.

Tendance moderne

Revenons sur ce contexte jurisprudentiel d’assouplissement, qui a certainement facilité le choix d’une cassation. En 2020, la Cour de cassation a inauguré sa jurisprudence fondée sur les articles 562 et 901 du code de procédure civile selon laquelle la déclaration d’appel qui manque d’indiquer les chefs de jugement critiqués est dépourvue d’effet dévolutif. Elle a certes fait moult applications mécaniques de ce principe, mais elle l’a aussi limité et adouci par la suite.

Tout d’abord, elle a limité la règle à la procédure d’appel avec représentation obligatoire (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-13.662, Dalloz actualité, 5 oct. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1680 ; ibid. 1795, chron. G. Guého, O. Talabardon, F. Jollec, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2021. 516, obs. F. Eudier ; RTD civ. 2022. 445, obs. N. Cayrol ; 29 sept. 2022, n° 21-23.456, Dalloz actualité, 19 oct. 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 1756 ; AJ fam. 2022. 550, obs. F. Eudier ; 12 déc. 2024, n° 22-17.581, Dalloz actualité, 16 janv. 2025, obs. M. Barba ; v. aujourd’hui, C. pr. civ., art. 933, 6°). Puis, plus récemment, elle a assoupli la règle dans son propre champ d’application. Par un arrêt inédit ensuite confirmé par deux arrêts publiés, la Cour de cassation a concédé qu’était bien pourvu d’effet dévolutif un acte d’appel manquant d’indiquer les chefs du jugement critiqué lorsque le jugement déféré n’en arbore qu’un seul (Civ. 2e, 16 janv. 2025, n° 22-22.878 ; 10 juill. 2025, nos 22-23.553 et 23-11.348, Dalloz actualité, 15 sept. 2025, obs. M. Barba ; D. 2025. 1302 ). En outre, elle a jugé qu’opérait dévolution une déclaration d’appel n’indiquant le champ de l’infirmation que par déduction – l’appelant avait indiqué les chefs dont la confirmation était requise avant de préciser qu’il poursuivait l’infirmation « pour le surplus » (Civ. 2e, 27 mars 2025, n° 22-21.602, Dalloz actualité, 10 avr. 2025, obs. M. Barba ; AJ fam. 2025. 251, obs. F. Eudier ). Assurément, la tendance est donc à l’adoucissement du formalisme de la déclaration d’appel, en tout cas relativement à l’énonciation des chefs du jugement critiqués. C’est dans ce contexte favorable que le pourvoi se présente, à propos d’une décision stricte, quoique classique, qui prive d’effet dévolutif une déclaration d’appel (i) ne faisant référence expresse et directe à aucun chef du jugement critiqué mais (ii) indiquant par le menu les demandes rejetées par le jugement.

À notre sens, la cassation était inévitable à supposer que fût relevé d’office le moyen pris de la violation des articles 562 et 901 du code de procédure civile. Outre la tendance jurisprudentielle, la raison principale est là : il est certes constant que l’appelant n’a pas repris identiquement un chef du jugement critiqué, c’est-à-dire le chef de débouté global ; mais il est aussi constant qu’il ne s’est pas contenté de formuler directement ses demandes dans sa déclaration d’appel car il a bien indiqué qu’il critiquait le rejet des demandes formulées en première instance, qu’il déclinait méthodiquement. Dit autrement, il a bien critiqué, quoiqu’indirectement, un chef du jugement dont appel, i.e. le chef de débouté global.

Les adeptes du formalisme et du légalisme pourront s’en émouvoir. Pourtant, il n’y a pas lieu de s’en alarmer un instant. On l’expliquera juridiquement avant de l’illustrer par la mathématique.

Sur un plan strictement juridique, un chef de débouté global n’est rien d’autre qu’un chef de débouté agrégé, c’est-à-dire un chef de jugement qui réunit en son sein plusieurs chefs de débouté (rejet de telle demande, rejet de telle autre demande, etc.). C’est une commodité rédactionnelle pour l’élaboration du jugement, puisqu’il serait particulièrement fastidieux de faire correspondre à chaque demande rejetée un chef isolé de rejet. Mais, intellectuellement, il reste que le chef de débouté global recèle plusieurs décisions, plusieurs rejets. Dès lors, lorsque l’appelant critique, dans sa déclaration d’appel, les rejets de ses demandes formées en première instance, opérés au moyen du chef de débouté unique, il est assurément en train de critiquer, et expressément, ce chef de jugement. Il fait même mieux en vérité, car l’appel est à la hauteur de la succombance : il ne critique ce chef de jugement global qu’en tant qu’il lui nuit, ce qui le conduit à distinguer en son sein les rejets qui lui font grief. Il préfère à l’emporte-pièce du chef de débouté global la dentelle procédurale détaillée dans son étoffe.

C’est pourquoi la deuxième chambre civile ne se contredit pas lorsqu’elle relève que l’appelant « dans sa déclaration d’appel, avait limité l’objet de celui-ci aux chefs du jugement qu’il avait expressément énumérés et qui avaient rejeté un certain nombre de prétentions formées par lui devant le tribunal de commerce » (§ 11). Non seulement cette décision s’inscrit-elle donc dans la tendance jurisprudentielle à l’assouplissement ; mais elle nous semble surtout juridiquement et techniquement exacte.

Disons-le à présent mathématiquement, ce qui achèvera de convaincre du bon sens de la solution. Posons que R est un chef de rejet d’un jugement, cependant que a, b, c, etc. correspondent à des prétentions des parties. Alors : R (a, b, c, …) = Ra, Rb, Rc,… Autrement dit, le rejet par un seul chef de toutes les prétentions a, b, c… égale leur rejet individuel par divers chefs juxtaposés. À gauche de l’identité, on trouve un chef de rejet global, sous forme factorisée ; à droite, on trouve des chefs de rejet précis, sous forme distribuée. Mais, quelle que soit la forme adoptée, l’égalité demeure – c’est l’essentiel. Dès lors, mathématiquement comme juridiquement, critiquer un chef de rejet global en le visant sous forme concentrée (rejet de toutes demandes autres, plus amples ou contraires) ou le critiquer en le reformulant sous forme déconcentrée (rejet de telle demande, rejet de telle autre demande, etc.) revient exactement au même – compte tenu par ailleurs de la règle qui indexe le droit d’appel sur la succombance.

Le présent arrêt est donc d’excellente facture juridique et mathématique : il n’indique aucunement qu’il est désormais possible, voire souhaitable, de faire figurer dans sa déclaration d’appel des prétentions au fond ; il indique simplement qu’il est possible de critiquer un chef de rejet global par l’énumération des chefs de rejet plus précis qu’il renferme. Concrètement, on ne doute pas que les conseillers s’y retrouveront au moment de statuer.

Cet arrêt signe-t-il, rapproché des autres récents, la renaissance de l’appel général (v. déjà, M. Barba, Vers la résurrection de l’appel total ?, Dalloz actualité, 15 sept. 2025 ; Vers la résurrection de l’appel général ?, Dalloz actualité, 10 avr. 2025) ? Il fait peu de doutes que la Cour s’en rapproche, mais le pas n’est pas franchi. Les lecteurs de la Lettre de la deuxième chambre civile savent d’ailleurs que celle-ci n’est pas près de le franchir contrairement à ce que sa jurisprudence contemporaine peut laisser penser. Ainsi peut-on lire dans la Lettre de septembre 2025, et en caractère gras, que « les deux arrêts du 10 juillet 2025 ne remettent pas en cause le principe selon lequel l’effet dévolutif n’opère pas lorsque la déclaration d’appel mentionne que l’appel est total ou qu’il est général ». Qu’on se le tienne donc pour dit : le revirement n’est pas à l’ordre du jour.

En lieu et place du revirement, et certainement en guise de voie médiane, la deuxième chambre civile s’engage, voire s’enfonce, dans la voie de l’assouplissement : le principe demeure, mais appliqué avec discernement et sous la toise générale du bon sens. C’est là un équilibre intéressant à rechercher et à construire, loin des jeux de bascule trop abrupts. Il reste à voir où ce chemin jurisprudentiel mènera. 

 

Civ. 2e, 2 oct. 2025, F-B, n° 22-23.161

par Maxime Barba, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, Codirecteur de l’IEJ de Grenoble

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