Petits problèmes procéduraux en matière de partages judiciaires

Dans un arrêt rendu le 23 mai 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation opère quelques rappels sur le placement sous tutelle d’une partie pendant le délibéré d’appel tout en revenant sur le formalisme propre de l’assignation introductive de l’article 1360 du code de procédure civile en matière de partages judiciaires.

Les partages judiciaires sont une figure originale en matière de procédure civile. Ils sont, en effet, balancés entre les règles communes du procès civil et, dans le même temps, dépendantes d’un corps de dispositions spécifiques contenues aux articles 1360 et suivants du code de procédure civile (v. sur la question du partage judiciaire, F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil – Les successions, les libéralités, Dalloz, coll. « Précis », 2024, p. 1071, n° 1136). En résulte un contentieux dans lequel l’âpreté procédurale vient rencontrer la technicité du fond du droit. L’arrêt rendu le 23 mai 2024 permet de particulièrement bien s’en rendre compte en mêlant à la fois des questions de droit commun en matière de délibéré d’appel mais également des thématiques directement liées aux partages judiciaires et plus précisément aux exigences concernant l’assignation introductive.

Il faut reprendre les faits pour comprend tout l’enjeu du problème. Une personne décède le 1er août 2011. Le défunt laisse à sa survivance ses trois enfants, nés d’unions différentes. Le de cujus était propriétaire indivis d’un bien avec sa première épouse, de laquelle il était divorcé, au jour du décès. C’est dans ce contexte que l’une des héritières a assigné les indivisaires – à savoir ses deux frères cohéritiers – et la première épouse dont la communauté n’avait donc pas été partagée. En cause d’appel, un contentieux se noue autour de la recevabilité de l’assignation introductive sur le fondement de l’article 1360 du code de procédure civile. Les juges du fond considèrent, par arrêt du 8 mars 2022 (et cette date sera importante pour la suite), que l’assignation présente des diligences en vue de parvenir à un partage amiable en visant notamment une lettre adressée par le conseil de la demanderesse au notaire chargé de la succession.

Mais c’était sans compter sur un petit imprévu. La première épouse du défunt est, en effet, placée sous tutelle le 17 février 2022. L’un des enfants issus de la première union est désigné en qualité de tuteur aux biens de sa mère tandis qu’un tiers est désigné tuteur à sa personne. Nous l’aurons compris à la relecture des deux dates précédemment citées : la tutelle a été ordonnée pendant le délibéré d’appel et aucune réouverture des débats n’a été ordonnée, et ce afin que le tuteur puisse intervenir à l’instance. C’est le premier grief qui est reproché par le pourvoi en cassation. Le second concerne la motivation choisie concernant le respect des formalités de l’article 1360 du code de procédure civile.

Les différents moyens auront des résultats inégaux. Le premier n’aboutira pas à une cassation tandis que le second sera, au contraire, couronné de succès. Étudions pourquoi la décision du 23 mai 2024 rendue par la première chambre civile de la cour de cassation permet un beau mouvement de balancier entre droit commun du procès et droit spécial des partages judiciaires.

La mise sous tutelle d’une partie en cours de délibéré

Le premier moyen était, tout entier, orienté vers l’annulation de l’arrêt frappé du pourvoi faute d’avoir rouvert les débats à la suite du jugement du 17 février 2022 plaçant la première épouse sous tutelle. Voici qui est bien sévère comme argumentation des différents demandeurs au pourvoi car il résulte des faits que la cour d’appel n’avait pas nécessairement été mise au courant. On lit, en effet, qu’il n’était pas « soutenu que Mme [M], qui était représentée par un avocat, en ait informé cette juridiction et ait sollicité la réouverture des débats » (pt n° 8, nous soulignons). En d’autres termes, les juges du fond n’avaient peut-être même pas connaissance de cette mesure de protection judiciaire. Comment, dès lors, reprocher quoi que ce soit à la juridiction d’appel ?

L’avocat du majeur vulnérable aurait dû, en tout état de cause en informer immédiatement la cour. L’argumentation qui vise à obtenir l’annulation de l’arrêt devant la Cour de cassation paraît donc nécessairement mal fondée. On peut toutefois se demander si l’affirmation que l’on peut lire dans l’arrêt, selon laquelle la personne protégée au 17 février 2022 « disposait de sa pleine capacité juridique à la date des derniers actes de la procédure (…) » (pt n° 9, nous soulignons) est nécessairement exacte. Les actes de procédure ont certainement été rédigés à un moment où la mesure de protection n’était, certes, pas encore actée. Dès lors, ils doivent être considérés valables. Resterait, toutefois, un raisonnement fondé sur l’article 464 du code civil et sa fameuse période dite suspecte mais on connaît les difficultés d’interprétation du texte (P. Murat, Retour sur quelques difficultés d’interprétation de l’article 464 du code civil, Defrénois 2017, p. 879 s., spéc. I, A). Il n’est pas du tout certain, bien au contraire, que celui-ci joue pour les actes de procédure (v. pour les actes concernés, Rép. civ., v° Majeur protégé, par F. Marchadier, spéc. n° 278).

On retrouve avec cette jurisprudence une position que nous avons commenté il y a quelques années dans ces colonnes à l’été 2020 (Civ. 1re, 24 juin 2020, n° 19-16.337 F-P+B, Dalloz actualité, 23 juill. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 1404 ; ibid. 2021. 1257, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro ; AJ fam. 2020. 538, obs. V. Montourcy ). Cette décision avait pu préciser que la règle issue de l’article 468, alinéa 3, du code civil selon laquelle l’assistance du curateur est nécessaire pour introduire l’action en justice ou pour y défendre ne s’applique pas à une mise en curatelle pendant le délibéré devant la cour d’appel.

L’originalité de la solution rendue le 23 mai 2024 réside donc, assez certainement, dans son application à la tutelle. On ne peut que s’en réjouir car il serait particulièrement inique de prononcer l’annulation d’un arrêt en reprochant à une cour d’appel, non informée d’une mesure de protection judiciaire, de ne pas avoir rouvert les débats. Tout au plus peut-on regretter, de manière générale, qu’aucun système global et informatisé ne soit prévu pour que, lorsqu’une personne est placée sous une mesure de protection, les procédures dans lesquelles elle est partie aient connaissance de ce fait nouveau nécessitant des réactions procédurales rapides.

Si le premier moyen n’est pas fondé, le second l’est davantage. Nous allons étudier dans quelle mesure c’est donc le droit spécial qui est le point de bascule de la décision.

Les formalités de l’article 1360 du code de procédure civile

La première chambre civile prononce une cassation pour défaut de base légale pour le second moyen, et ce sur le fondement de l’article 1360 du code de procédure civile. Revenons-en au principe : en matière de partages judiciaires, l’assignation introductive obéit à un formalisme exigeant et rigoureux. Le demandeur à l’action doit, en effet, à la fois fournir un descriptif sommaire du patrimoine à partager, préciser ses intentions quant à la répartition des biens et justifier des diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable. C’est sur ce tout dernier point que la discussion se porte devant la Cour de cassation. Le demandeur au pourvoi avançait que cette justification des diligences amiables manquait dans l’assignation introductive. La sanction est redoutable car si l’article 1360 du code de procédure civile n’est pas respecté, c’est l’irrecevabilité qui est encourue (Civ. 1re 28 janv. 2015, n° 13-50.049, Dalloz actualité, 9 févr. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 263 ; ibid. 511, chron. I. Guyon-Renard ; AJ fam. 2015. 166, obs. J. Casey : « Mais attendu, d’une part, que l’omission, dans l’assignation en partage, de tout ou partie des mentions prévues à l’article 1360 du code de procédure civile, est sanctionnée par une fin de non-recevoir », nous soulignons).

Mais, il faut bien le dire, la première chambre civile n’a jamais été très claire sur ce qu’il fallait précisément entendre par de telles diligences. Est en cause l’expression choisie par l’article 1360 (à savoir les « diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable ») qui peut renvoyer à des réalités finalement assez différentes et façonnées par une certaine appréciation des juges du fond. Les arrêts rendus sur la question sont épars et ne font pas apparaître de véritable ligne directrice, ce qui reste un facteur de difficulté pour les plaideurs. Quelques constantes ont pu être dégagées toutefois par la Cour de cassation. Le défaut de base légale opéré dans l’arrêt étudié aujourd’hui a pour principal mérite de disqualifier une situation en pointant ce qu’il ne faut, donc, pas faire.

Les juges du fond avaient accepté de voir remplie la condition des diligences amiables en se fondant sur « une lettre adressée le 28 octobre 2013 par son avocate (ndlr, de la demanderesse) au notaire faisant état de ce que Mme M… serait d’accord pour quitter l’appartement et le vendre » (nous soulignons). La première chambre civile considère qu’une telle lettre ne peut pas caractériser, à elle seule, l’existence de diligences en vue de parvenir à un partage amiable (pt n° 14). L’orientation ne saurait pas vraiment être remise en question : comment une seule correspondance pourrait signer des diligences dont l’expression est, par ailleurs, libellée au pluriel dans le texte de l’article 1360 ? L’argument grammatical n’est pas forcément le plus déterminant, nous en conviendrons volontiers. Ce qui l’est, au contraire, reste le caractère qualitatif des démarches entreprises.

Si le plaideur rate le coche au moment de l’assignation elle-même, il est possible de régulariser ledit manque tant que la cause a disparu au moment où le juge statue, en produisant les démarches qui ont été effectuées en amont de l’assignation (Civ. 1re, 28 janv. 2015, n° 13-50.049, préc.). En l’espèce, la difficulté portait non seulement sur l’aspect quantitatif – il n’y avait qu’une seule correspondance – mais également sur l’aspect qualitatif car le courrier s’adressait au notaire et non aux coindivisaires. Cet aspect révélait ainsi que la pièce produite n’était pas vraiment une diligence amiable mais plutôt une discussion avec l’officier public ministériel sur la position de la première épouse encore en indivision avec le de cujus à son décès. La solution aurait été différente si, avec cette correspondance, étaient produits des courriers adressés directement aux indivisaires, ou à leurs conseils, et témoignant d’une volonté de discussion pour parvenir à la sortie de l’indivision.

L’originalité du cas d’espèce se traduit également par une absence de renvoi après cassation. La Cour statue dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice pour éviter une perte de temps supplémentaire. L’assignation est, à ce titre, purement et simplement jugée irrecevable. En d’autres termes, les plaideurs ne sont pas arrivés à produire un élément supplémentaire pour justifier la complétude de la condition des diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable de l’article 1360 du code de procédure civile. La pratique en sera avertie. Mieux vaut ne pas sous-estimer cette condition fondamentale de l’assignation introductive en matière de partages judiciaires !

Dans tous les cas, l’arrêt du 23 mai 2024 jouera le rôle d’un prétexte heureux pour rappeler qu’un seul courrier adressé par le conseil de la partie demanderesse au notaire n’est pas suffisant pour rendre recevable l’assignation en partage. Quant à la mise sous tutelle pendant le délibéré d’appel, encore faut-il que la cour soit mise au courant pour qu’elle puisse rouvrir les débats ! Mais rappeler l’évidence n’est-il pas nécessaire eu égard à la complexité de la matière ?

 

Civ. 1re, 23 mai 2024, F-B, n° 22-16.784

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