Point de départ du délai de péremption après radiation pour défaut d’exécution

En cas de radiation pour défaut d’exécution d’une décision frappée d’appel, le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant la radiation. Ne donne dès lors pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui statue sur la péremption sans rechercher la date de notification de l’ordonnance de radiation constituant son point de départ.

Dans un arrêt rendu le 23 mai 2024, la péremption est, encore une fois « à l’honneur » (selon la formule de M. Barba, Dalloz actualité, 18 déc. 2023) ; plus précisément, c’est son point de départ qui, une fois de plus, justifie un arrêt publié mais dans un cas particulier, à savoir celui de l’article 526 du code de procédure civile : ce texte prévoit en effet que la péremption court après une radiation prononcée faute d’exécution du jugement exécutoire par provision par l’appelant.

Quel est alors l’élément déclencheur du délai de péremption « 526/524 » ?

Notons d’emblée que si l’article 526 du code de procédure civile en cause dans l’arrêt a été abrogé par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, il est repris à l’identique à l’article 524 et que ce texte ne sera pas modifié par le décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023, applicable au 1er septembre 2024, sous réserve de la coordination induite par la renumérotation de certains articles relatifs à la procédure d’appel ; l’arrêt n’appartient donc pas à l’histoire du droit.

La chronologie

Elle est la suivante (sous la réserve de ce qui semble être une erreur de date) :

  • le 17 avril 2018, une société interjette appel du jugement d’un tribunal de grande instance qui l’a condamnée à paiement – condamnation assortie de l’exécution provisoire (sans que l’on sache si cette exécution provisoire était facultative ou de droit) ;
  • le 19 février 2018 (sic) l’intimé réclame la radiation de l’affaire sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile ;
  • le 17 juillet 2018, est accomplie une diligence des parties de nature à faire progresser l’instance ;
  • le 13 février 2019, le conseiller de la mise en état prononce la radiation par ordonnance, sans que la date d’une éventuelle notification de l’ordonnance de radiation soit connue ;
  • le 19 mai 2021, l’intimé dépose des conclusions sollicitant de voir constater la péremption d’instance ;
  • le 13 octobre 2021, le conseiller de la mise en état rejette la demande de réinscription de la procédure aux fins de constatation de la péremption de l’instance d’appel ;
  • le 24 mars 2022, sur déféré de l’ordonnance, la Cour d’appel d’Amiens prononce la péremption de l’instance ;
  • la société se pourvoit en cassation pour violation de l’article 526 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ;
  • le 23 mai 2024, la deuxième chambre civile casse pour manque de base légale au regard de ce texte.

Les thèses en présence

Pour prononcer la péremption de l’instance sur le fondement de l’article 526, la cour d’appel retient que le délai de péremption a commencé à courir le 17 juillet 2018, « date de la dernière diligence des parties de nature à faire progresser l’instance, et non à compter de la notification de l’ordonnance de radiation ». Elle juge ainsi que « la société soutient en vain que les dispositions prévues par l’article 526 du code de procédure civile dérogent au droit commun de la péremption d’instance, la décision de radiation prise en application de ce texte ne constituant nullement une diligence des parties au sens des dispositions prévues par l’article 386 du code de procédure civile puisqu’elle n’est pas un acte réalisé par une partie et ne peut pas non plus être qualifiée de décision de nature à faire progresser l’instance, et constate, d’autre part, que la dernière diligence des parties de nature à faire progresser l’instance datait du 17 juillet 2018, et qu’il n’était justifié d’aucune diligence interrompant le délai de péremption avant les conclusions de [l’intimé] du 19 mai 2021 sollicitant de voir constater la péremption d’instance ».

Le demandeur au pourvoi estime que, « en cas de radiation du rôle de l’affaire pour défaut d’exécution du jugement frappé d’appel, le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant la radiation ».

La Cour de cassation rappelle d’abord la teneur des alinéas 1er et 7 de l’article 526 : « selon le premier alinéa de ce texte, lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision.

Aux termes du septième alinéa de ce texte, le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant la radiation. Il est interrompu par un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter. Le premier président ou le conseiller de la mise en état peut, soit à la demande des parties, soit d’office, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, constater la péremptions ».

Elle casse donc l’arrêt pour manque de base légale, car la cour d’appel n’a pas recherché, comme elle l’aurait dû, « la date de notification de l’ordonnance de radiation constituant le point de départ du délai de péremption ». Il semble qu’une telle notification ait bien eu lieu mais, une nouvelle fois, sans que cette date soit connue.

La leçon de droit

Rappelons à nouveau que la péremption constitue une cause d’extinction de l’instance engagée et que, selon l’article 386 du code de procédure civile, « l’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans » et qu’il est « primordial de savoir comment calculer ce délai, comment l’interrompre, par quel acte utile… » (v. Dalloz actualité, 24 janv. 2024, obs. C. Bléry).

La Cour d’appel d’Amiens mentionnait le « droit commun de la péremption d’instance », celle-ci commençant à courir lors de la dernière diligence accomplie par une partie et ne pouvant être interrompue que par une diligence interruptive de péremption.

De fait, « La notion de diligence interruptive n’est pas des plus simples (v. I. Pétel-Teyssié, in Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et européen, 10e éd., S. Guinchard [dir.], Dalloz Action, 2021/2022, nos 462.481 s. ; C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 36e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, n° 504 ; L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 12e éd., LexisNexis, 2023, n° 697). La jurisprudence est abondante, voire "foisonnante" (selon MM. Cadiet et Jeuland), mais exige en général qu’une diligence soit de nature à "accélérer le cours de l’instance" ou, du moins, à "faire progresser l’instance" (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-25.012 F-P+B+I, Dalloz actualité, 10 mars 2020, obs. M. Kebir ; D. 2020. 289 ; RTD civ. 2020. 697, obs. N. Cayrol ) – la diligence supposant une "impulsion processuelle" (R. Perrot, RTD civ. 1998. 472 ; N. Fricero, T. Goujon-Bethan et A. Danet, Procédure civile, 6e éd., Lextenso, 2023, n° 942) » (Dalloz actualité, 24 janv. 2024, obs. C. Bléry).

Parmi les actes « neutres quant à l’avancement de la procédure », inaptes à interrompre la péremption, figurent tant « une demande de réinscription au rôle après radiation […], "alors que n’ont pas été accomplis les formalités dont le défaut a provoqué la radiation" (I. Pétel-Teyssié, Droit et pratique de la procédure civile, op. cit., n° 462.486 ; Civ. 2e, 20 avr. 1983, n° 82-10.116 P) » (Dalloz actualité, 24 janv. 2024, obs. C. Bléry, préc.), que les actes accomplis par le juge : la cour d’appel rappelait ce second point à propos de la décision de radiation prise par le conseiller de la mise en état en application de l’article 526.

Or, si la cour d’appel avait raison de considérer qu’un acte du juge n’est pas une diligence interruptive de la péremption, elle se trompait de point de départ du délai de deux ans. L’article 526 – aujourd’hui l’article 524 – déroge bien au droit commun de la péremption en prévoyant le dies a quo de celle-ci en cas de radiation du rôle.

La solution est logique qui tient au cas de figure régi par le texte et rappelé par la Cour de cassation : si, de manière générale, le point de départ du délai est bien déterminé par la dernière diligence de l’une quelconque des parties, il en va autrement, de manière particulière, pour une péremption « d’un autre genre » (C. Lhermitte, Pas de notification, pas de peremption !) : selon l’article 526/524, le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant la radiation.

Cette règle a d’ailleurs inspiré la Cour de cassation dans deux arrêts récents dans lesquels elle a répondu « de façon prétorienne, en ajoutant à l’article 392 du code de procédure civile, que le point de départ de ce délai de péremption, après radiation du rôle sanctionnant une absence de reprise dans le délai imparti, est la notification par le greffe ou la signification de l’ordonnance de radiation ; elle ajoute que cette notification doit pouvoir être clairement établie » (Dalloz actualité, 23 janv. 2024, obs. C. Bléry et M. Bencimon). Ces arrêts, dans la droite ligne de l’article 526/524, nous semblaient dignes d’approbation : « En effet, la notification, qui permet de porter officiellement un acte à la connaissance de son destinataire (C. pr. civ., art. 651) est le point de départ naturel des délais de recours et autres délais, en ce qu’il ne prend pas les plaideurs en traitres » (ibid.).

Rappelons encore que :

  • la radiation, qui « sanctionne dans les conditions de la loi le défaut de diligence des parties » (art. 381, al. 1er), « emporte suppression de l’affaire du rang des affaires en cours » (al. 2) et qu’ « elle est notifiée par lettre simple aux parties ainsi qu’à leurs représentants. Cette notification précise le défaut de diligence sanctionné » (à défaut de notification par le greffe, « lequel peut parfaitement oublier d’y procéder, la partie pourra soit demander au greffe d’effectuer cette notification, soit procéder elle-même à cette notification » [C. Lhermitte, préc.]);
  • bien que l’article 526/524 du même code qualifie de mesure d’administration judiciaire la décision de radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel, cette décision affecte l’exercice du droit d’appel, de sorte qu’elle peut faire l’objet d’un recours en cas d’excès de pouvoir (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-19.301 P, Dalloz actualité, 4 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 89 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2022. 21, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2020. 449, obs. P. Théry  ; Gaz. Pal. 28 avr. 2020, p. 51, note J. Théron) ;
  • dans quatre arrêts d’Assemblée plénière du 7 mars 2024 (Civ. 2e, 7 mars 2024, nos 21-19.475, 21-19.761, 21-20.719 et 21-23.230 FS-B, Dalloz actualité, 20 mars 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 860 , note M. Plissonnier ; AJ fam. 2024. 183, obs. F. Eudier ; RDT 2024. 277, chron. S. Mraouahi ; adde, S. Amrani-Mekki, Revirement sur la computation du délai de péremption : vers un principe de réalité en procédure civile ?, Gaz. Pal. 16 avr. 2024, n° GPL462e9), la Cour de cassation a reviré sa jurisprudence antérieure, en général critiquée, et qui imposait aux parties des diligences interruptives de péremption alors même qu’elles n’avaient plus rien à dire, leur affaire étant mise en état. Ce n’est désormais plus le cas, au moins en procédure d’appel avec conseiller de mise en état. Il est dommage que ces arrêts ne fassent pas l’objet d’une codification qui aurait étendu la règle jurisprudentielle à la première instance, la Chancellerie renonçant à cet aspect du projet de décret « Magicobus 1 » (selon le nom donné par ses auteurs à des décrets visant à apporter des correctifs au code de procédure civile selon les besoins)…

Quoi qu’il en soit, par l’arrêt du 23 mai 2024, la Cour de cassation applique purement et simplement l’article 526, aujourd’hui 524 (de même que demain, au 1er sept. 2024), sur le point de départ de la péremption spéciale en cas de radiation en appel pour défaut d’exécution du jugement.

 

Civ. 2e, 23 mai 2024, F-B, n° 22-15.537

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