Point de départ du délai de prescription de l’action en résiliation du bail pour défaut de délivrance

Les obligations continues du bailleur de délivrer au preneur la chose louée et de lui en assurer la jouissance paisible sont exigibles pendant toute la durée du bail, de sorte que la persistance du manquement du bailleur à celles-ci constitue un fait permettant au locataire d’exercer l’action en résiliation du bail.

Par cet arrêt de censure partielle, dont la généralité des visas et la publication au Bulletin augurent d’un large rayonnement, la Haute juridiction rappelle que les obligations essentielles du bailleur courent tout au long de la relation contractuelle. Surtout, elle en tire les conséquences en termes de prescription de l’action en résiliation du bail intentée par le preneur à raison du non-respect desdites obligations.

Au cas particulier, une SCI avait consenti un bail commercial à une société portant sur un terrain, des hangars et des bureaux à usage d’exploitation forestière, négoce de bois d’œuvre et scierie. Au motif que la SCI avait, en cours d’exécution du contrat, amputé d’un tiers l’assiette du bail en y construisant un hangar et un parking loués à un tiers et empêché l’accès aux bâtiments loués, la locataire a intenté une action en vue d’obtenir la résiliation du bail et une indemnisation.

Elle échoue en appel (Colmar, 17 mai 2023, n° 21/01877, Dalloz jurisprudence), le juge du fond estimant qu’en application de l’article 2224 du code civil, la prescription (quinquennale) de l’action en résiliation fondée sur le manquement du bailleur à son obligation de délivrance ou de jouissance paisible courait à compter du jour de la connaissance par le preneur de la réduction de la surface louée et de la difficulté à accéder au hangar.

Cette solution est censurée par le juge du droit qui, s’agissant d’un manquement, par le bailleur à des obligations continues, considère que la prescription de l’action du preneur ne court pas tant que l’infraction persiste.

Le caractère continu des obligations essentielles du bailleur

Aux termes de l’article 1719 du code civil, abstraction faite de son obligation d’assurer la permanence et la qualité des plantations (hors de propos dans le cas d’espèce), le bailleur est tenu de délivrer le local, d’en assurer la jouissance paisible à son cocontractant et de l’entretenir.

S’agissant d’obligations essentielles relatives à un contrat à exécution successive, la jurisprudence rappelle fort logiquement, à intervalles réguliers, que le bailleur doit s’en acquitter tout au long de la relation contractuelle (et, cela va sans dire, aussi lors du renouvellement du contrat, Civ. 3e, 16 juin 1999, n° 97-16.764, D. 1999. 196  ; RDI 1999. 473, obs. J. Derruppé  ; Ann. loyers 1999. 1586). Cela vaut bien évidemment pour l’obligation délivrance (Civ. 3e, 28 nov. 2007, n° 06-17.758, Dalloz actualité, 19 déc. 2007, obs. Y. Rouquet ; D. 2008. 85, obs. Y. Rouquet  ; ibid. 1645, obs. L. Rozès  ; RDI 2008. 326, obs. F. G. Trébulle  ; 10 sept. 2020, n° 18-21.890, Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin  ; 16 mai 2024, n° 23-12.438, AJDI 2024. 785 , obs. C. Dreveau  ; 27 juin 2024, n° 23-15.226, ibid.), dont le bailleur ne saurait s’exonérer contractuellement (Civ. 1re, 11 oct. 1989, n° 88-14.439, D. 1991. 225 , note P. Ancel  ; RTD com. 1990. 244, obs. B. Bouloc ; Civ. 3e, 1er juin 2005, n° 04-12.200, D. 2005. 1655  ; AJDI 2005. 650 , obs. Y. Rouquet  ; RTD civ. 2005. 779, obs. J. Mestre et B. Fages ), mais aussi pour l’obligation d’entretien (Civ. 3e, 13 oct. 2021, n° 20-19.278, Dalloz actualité, 18 nov. 2021, obs. P. Gaiardo ; D. 2021. 1922  ; ibid. 2022. 1409, chron. B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda  ; Rev. prat. rec. 2021. 23, chron. D. Gantschnig ) et pour celle d’assurer la jouissance paisible des lieux.

Le principal intérêt de la présente décision est de tirer les enseignements de ce caractère continu du point de vue du délai d’action du locataire agissant en résiliation du bail.

Le point de départ de la prescription de l’action en résiliation à raison du manquement du bailleur à ses obligations continues

Alors que selon l’article 2224 du code civil, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer », l’enjeu était de savoir si, au cas particulier, il fallait appliquer ces dispositions au pied de la lettre.

Le juge du droit répond par la négative aux visas des articles 1709, 1719 et 2224 du code civil. Il estime que, dans cette affaire, le juge du fond a violé ces textes lorsque, pour déclarer l’action en résiliation partiellement prescrite, il retient que le délai de prescription de l’action en résiliation fondée sur le manquement du bailleur à son obligation de délivrance ou de jouissance paisible court à compter du jour de la connaissance des infractions, alors que la réduction de l’assiette du bien loué persistait.

Cette décision en rappelle une autre, rendue en 2018, par laquelle la même troisième chambre avait inauguré cette jurisprudence, selon laquelle le point de départ de la prescription de l’action en résiliation d’un bail se situe au jour où l’infraction au contrat a cessé (Civ. 3e, 1er févr. 2018, n° 16-18.724, Dalloz actualité, 5 mars 2018, obs. S. Prigent ; D. 2018. 881 , note F. Roussel  ; ibid. 884, note J. François  ; RTD civ. 2018. 647, obs. crit. H. Barbier ). En l’occurrence, il s’agissait d’une action en résiliation d’un bail rural pour sous-location prohibée.

Il n’est pas interdit, après certains auteurs (F. Roussel et H. Barbier, obs. préc., ss. Civ. 3e, n° 16-18.724, 1er févr. 2018) de faire le parallèle entre la solution retenue (qui ne fait pas partir la prescription de la même manière selon que l’infraction civile est continue ou non) et celle qui prévaut en droit pénal, où le point de départ de la prescription de l’action publique diffère selon que le délit est continu ou instantané (H. Barbier se montre toutefois critique envers la solution retenue. En effet, selon lui, « en droit civil, la fin du trouble à l’ordre public, qui justifie la prescription de l’action, ne procède pas du temps passé après la cessation d’une faute mais directement de l’inaction des demandeurs potentiels, dont l’inertie prolongée atteste d’un retour à la paix sociale, peu important que la faute civile se prolonge encore »).

 

Civ. 3e, 10 juill. 2025, FS-B, n° 23-20.491

par Yves Rouquet, Rédacteur en chef, Département immobilier Lefebvre Dalloz

© Lefebvre Dalloz