Pôles « violences intrafamiliales » : présentation de la circulaire

Cette circulaire précise la doctrine de mise en œuvre du décret instituant les « pôles violences intrafamiliales (VIF) » au sein des juridictions, en donnant des lignes directrices en matière d’organisation institutionnelle et de moyens dédiés, humains comme techniques. L’objectif annoncé est l’harmonisation et la systématisation à l’échelle nationale, et au niveau de l’ensemble des tribunaux judiciaires et cours d’appel, de dispositifs de coordination en matière de violences intrafamiliales. Tout en saluant l’innovation des initiatives des juridictions, le garde des Sceaux, signataire du texte, souhaite encadrer les pratiques existantes par un « canevas de mise en œuvre impérative ».

Le caractère impératif, transversal et de coordination des nouveaux pôles VIF

Les nouveaux pôles VIF ne doivent pas être confondus avec les pôles prévus par les articles R. 212-62 et R. 312-83 du code de l’organisation judiciaire qui peuvent regrouper différentes chambres et services d’un tribunal judiciaire selon la nature du contentieux dont ils ont à connaitre, et qui sont fixés par l’ordonnance de roulement, à la main du président de la juridiction (COJ, art. L. 121-3). En effet, la circulaire prévoit, d’une part, que l’existence d’un pôle VIF est impérative dans chaque juridiction, d’autre part, que ce « pôle » ne dispose pas de compétence juridictionnelle propre, mais aussi – et il s’agit d’une première – qu’il est animé à la fois par un coordonnateur côté siège et un coordonnateur côté parquet, ce qui en fait une instance transversale ad hoc.

Si un paragraphe spécifique doit exister dans l’ordonnance de roulement afin d’identifier les membres du pôle et en particulier les coordonnateurs pour en assurer une bonne visibilité, il s’agira uniquement d’un « doublonnage » puisque les magistrats qui y seront mentionnés (les deux coordonnateurs comme les autres magistrats dont les missions relèvent du champ d’action des pôles spécialisés) apparaîtront par ailleurs dans leurs pôles ou service de rattachement respectifs (service correctionnel, affaires familiales, tribunal pour enfants…).

La circulaire apporte des précisions sur le profil requis pour les coordonnateurs qui doivent à la fois être d’un niveau hiérarchique suffisant pour exercer en toute légitimité des fonctions d’encadrement, animer le pôle et entretenir des relations avec les partenaires extérieurs – les chefs de juridiction eux-mêmes le cas échéant –, mais aussi avoir de l’expérience et exercer actuellement des fonctions en lien avec les violences intrafamiliales. À cet égard, le ministère recommande que les coordonnateurs côté siège soient désignés plutôt parmi les juges aux affaires familiales ou les juges correctionnels. En pratique, il convient de rappeler la vocation très opérationnelle de ces pôles, qui rendra nécessaire en pratique, sauf éventuellement dans les juridictions de taille 4, la délégation de la coordination de ces pôles par les chefs de juridiction.

La mission des pôles violences intrafamiliales

La circulaire assigne comme objectif aux nouveaux pôles VIF de faire de la lutte contre les violences intrafamiliales un objectif partagé entre différents services juridictionnels. Pour cela, elle précise que les pôles VIF auront une fonction permanente de recueil et de relais de l’information entre les différents services juridictionnels saisis d’une même situation.

Le pôle VIF est présenté comme l’instance privilégiée de suivi des mesures de protection qui s’inscrivent dans la durée (téléphones grave danger, bracelets électroniques anti-rapprochement, ordonnances de protection, interdictions de contact pré- ou post-sentencielles).

Une distinction est toutefois opérée par la circulaire entre les missions dévolues aux pôles au niveau de la première instance et des cours d’appel.

Ainsi la circulaire prévoit-elle au niveau de la première instance que les coordonnateurs de pôle, sous le contrôle des chefs de juridiction et en lien avec la direction de greffe de la juridiction, devront œuvrer à l’élaboration et à la mise en œuvre de dispositifs coordonnés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales et pourront formuler des propositions d’audiencement dédié ou des circuits de traitement prioritaire aux chefs de juridiction. Le nouvel article 212-62-2 du code de l’organisation judiciaire, qui prévoit que les pôles VIF seront adossés à des comités de pilotage (COPIL) VIF, ne s’applique ainsi qu’aux juridictions de premier degré.

Si les nouveaux COPIL VIF ont vocation à agréger les instances déjà existantes au niveau des tribunaux judiciaires (COPIL téléphone grave danger, CAVIF, cellules de suivi…), les chefs de juridiction disposent d’une grande marge de manœuvre puisque la circulaire leur confie le soin de choisir quelles instances préexistantes fusionner et quels partenaires extérieurs associer en fonction des thématiques des réunions. La vigilance s’impose toutefois sur le format plénier ou restreint des réunions selon la nature des informations échangées, en particulier dans le souci de respecter le caractère confidentiel des données personnelles dans des situations individuelles judiciarisées, ce qui aurait pu être utilement rappelé dans cette note.

Pour les cours d’appel, il a été fait le choix que les magistrats coordonnateurs veillent, sous le contrôle des chefs de cour et en lien avec la direction de greffe de la juridiction, à la mise en place de circuits de traitement appropriés par les services appelés à connaître de faits de violences intrafamiliales. L’ambition de la circulaire est plus modeste pour les cours d’appel, malgré le rôle dévolu classiquement et statutairement aux chefs de cour d’impulser et de coordonner au niveau régional la politique pénale. S’il est logique de ne pas transposer exactement le COPIL VIF de première instance sur le second degré, une autre forme de COPIL, adaptée aux spécificités de la cour d’appel eût été pertinente, notamment au vu des délais de jugement importants en appel, y compris en matière d’affaires familiales ou d’assistance éducative, qui peuvent enkyster des situations violentes. Les difficultés relatives au cloisonnement des chambres existent au second degré également, lorsqu’une même situation familiale est saisie par la justice en cause d’appel à la fois en correctionnelle, sur une ordonnance de protection ou une décision hors divorce relative à la garde des enfants ou encore une mesure d’assistance éducative, voire de placement ou de retrait d’autorité parentale.

Le rôle des chefs de cour est néanmoins souligné en matière de formation continue des magistrats en ce qui concerne l’élaboration du plan de formation continue déconcentrée et déployé par les coordonnateurs régionaux de formation, qui devra comprendre des séquences adaptées aux magistrats membres des pôles VIF, en sus des actions développées par l’École nationale de la magistrature. Nulle mention des nombreuses actions de formation continue développées localement par les actuels magistrats référents qui permettent pourtant de toucher efficacement leurs collègues en facilitant l’accès à ces formations, et en élargissant l’auditoire aux partenaires locaux (Barreau, service pénitentiaire d’insertion et de probation, associations), qui auraient pu à l’occasion de cette circulaire être valorisées et encouragées.

Les moyens dévolus aux pôles

La circulaire ne pose pas de cadre impératif aux chefs de juridiction quant à l’affectation de moyens spécifiques aux pôles sur le plan des ressources humaines, sauf à préciser que les chargés de mission et juristes-assistants recrutés dans le cadre de la politique globale de lutte contre les violences intrafamiliales devront être mobilisés au sein des pôles VIF. Quant aux recrutements de magistrats et de greffiers prévus par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, aucun engagement chiffré n’est pris et il est simplement mentionné que ces recrutements « pourront également accompagner le renforcement des effectifs de ces pôles ». On en déduit que les fonctions de coordonnateurs de pôles viendront s’ajouter aux missions juridictionnelles qu’ils exercent déjà et que la participation aux réunions dédiées aux VIF s’ajoutera, pour les magistrats rattachés aux pôles VIF, à leurs missions actuelles, sans renfort annoncé. Pourtant, la meilleure coordination des services et, en particulier, l’échange d’informations entre services est susceptible d’entraîner une hausse du contentieux, en particulier en assistance éducative, dans la mesure où la situation des enfants co-victimes sera davantage identifiée et que davantage de mesures de protection s’avèreront nécessaires. Les moyens devront suivre, en interne mais aussi au niveau des services médico-judiciaires (la capacité des unités d’accueil pédiatrique enfance en danger étant déjà saturée), de l’aide sociale à l’enfance mais aussi des administrateurs ad hoc ou encore des espaces de rencontre médiatisée, absents de la circulaire.

En revanche, l’accent est mis sur les moyens numériques apportés par le nouveau logiciel système informatisé de suivi de politiques pénales prioritaires (SISPoPP), issu du décret n° 2023-935 du 10 octobre 2023 et dont le déploiement national a débuté le 8 novembre 2023. Cet outil centralisera l’ensemble des données relatives aux situations suivies au titre des violences intrafamiliales, issues de procédures civiles comme pénales, et les informations échangées dans le cadre des COPIL VIF.

Ce système a pour but de favoriser le décloisonnement entre les acteurs impliqués dans la lutte contre les violences intrafamiliales, en leur permettant de disposer d’une vision actualisée et pluridisciplinaire. Il est prévu qu’il sera alimenté par les personnels affectés aux pôles, selon des modalités d’accès différenciées définies par les chefs de juridiction, au regard des attributions propres à chaque utilisateur. Il viendra en soutien également sur l’élaboration du rapport d’activité qui incombe aux coordonnateurs du pôle VIF puisqu’il est doté de fonctionnalités de pilotage des mesures de protection des victimes, de mécanismes d’alertes automatisées ou personnalisables, de radars en matière de protection de l’enfance ou de condamnés sortants de détention. SISPoPP a vocation, à terme, à remplacer les tableaux de bord ou fichiers mis en place, empiriquement et hors champ légal ou réglementaire, par les juridictions pour permettre le suivi des situations de danger et le partage d’informations. Il apportera à cet égard une harmonisation des pratiques et une sécurisation de la collecte et du partage de ces données sensibles.

L’évaluation de l’activité des pôles

Un rapport annuel d’activité devra être adressé à la Direction des services judiciaires et à la Direction des affaires criminelles et des grâces par les chefs de cour, assistés pour ce faire par les attachés de justice. Ces bilans annuels auront pour objet de s’assurer de l’installation effective de ces pôles et de leur composition, de leur organisation et de leur fonctionnement, ainsi qu’un bilan quantitatif et qualitatif de leurs actions. Les moyens humains et matériels alloués à leur fonctionnement y seront précisés. La répartition des missions entre les membres du pôle, les actions de formation et les dispositifs mis en place seront décrits, ainsi que les perspectives d’évolution.

La circulaire demande par ailleurs aux chefs de juridiction de renseigner a minima semestriellement l’enquête Sphinx, ouverte de façon permanente, pour recueillir en temps réel les actualisations relatives aux filières de l’urgence instaurées durant le Grenelle, dont le chiffre n’a pas été actualisé depuis l’été 2021.

Enfin, un nouvel outil statistique central est créé : l’observatoire des violences intrafamiliales (OVIF), destiné à la collecte des données judiciaires, sur le modèle des observatoires déjà existants : l’observatoire des violences par conjoint (OVC) et les observatoires spécifiques au téléphone grave danger et au bracelet anti-rapprochement.

Six annexes pratiques complètent la circulaire, en particulier une annexe de proposition d’organisation des pôles VIF sous forme de schémas.

 

© Lefebvre Dalloz