Portée de l’assurance « tous risques sauf » : sont garanties les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages subis par les biens de l’entreprise !

C’est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté des termes des clauses litigieuses d’un contrat d’assurance « tous risques sauf » rendait nécessaire, que la cour d’appel a jugé que sont garanties les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages subis par les biens de l’entreprise, dans la limite du plafond contractuel.

Après une salve d’arrêts sur le thème des exclusions de garantie liées aux pertes d’exploitation stipulées dans le contrat d’assurance entreprise AXA (Civ. 2e, 1er déc. 2022, n° 21-15.392 et 3 autres arrêts du même jour, Dalloz actualité, 16 déc. 20222, obs. S. Porcher ; D. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras  ; ibid. 1142, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre  ; 25 mai 2023, n° 21-24.684, n° 21-23.805, n° 22-16.480, n° 22-16.479, n° 22-15.935, n° 22-15.936 et n° 22-15.826 [7 arrêts] ; 15 juin 2023, n° 22-12.986, n° 22-12.987 et n° 22-14.380 [3 arrêts] ; 6 juill. 2023, n° 22-12.830, n° 21-24.037, n° 21-24.039, n° 22-15.825, n° 22-13.889, n° 22-12.988, n° 21-25.922, n° 21-25.923, n° 22-16.759, n° 22-11.232 et n° 22-16.928 [11 arrêts]), un voile recouvrait encore la couverture de ces pertes, en particulier dans les polices « tous risques sauf » proposées par un autre grand assureur du marché, MMA. L’arrêt rendu le 9 novembre dernier par la Cour de cassation (n° 21-23.268) révèle que cette entreprise d’assurance est moins chanceuse, en cassation, que son concurrent. Ce dernier avait réussi à faire casser de nombreux arrêts de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant invalidé la clause d’exclusion, faisant ainsi porter les enjeux de la pandémie sur les assurés (C. Rodet et R. Bigot, Les enjeux de la pandémie sur l’assurance, in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., Ellipses, 2020, p. 52 s.), après avoir clamé fort l’inassurabilité du risque pandémique, allégation dont le caractère « fantaisiste » avait été relevé par certains magistrats (R. Bigot, Le caractère inassurable du risque pandémique : une « allégation fantaisiste » d’AXA, obs. sur T. com. Paris, 12 mai 2020, n° 2020017022, Dalloz actualité, 28 mai 2020, obs. R. Bigot ; JT 2020, n° 232, p. 12, obs. X. Delpech ).

En l’espèce, la société Lacmé, agissant tant pour son compte que pour celui d’autres sociétés dont sa holding, a souscrit, par l’intermédiaire d’un courtier, une assurance professionnelle « tous risques sauf » auprès de la société Mutuelles du Mans assurances IARD (l’assureur) pour son activité industrielle. Le contrat d’assurance a pris effet le 1er janvier 2018. L’entreprise souscriptrice a connu une baisse de son chiffre d’affaires en mars et en avril 2020, qu’elle a imputé à la crise sanitaire du coronavirus et aux mesures de confinement consécutives. À ce titre, la souscriptrice a déclaré un sinistre au courtier le 5 mai 2020 et demandé la mise en œuvre de la garantie « pertes d’exploitation ». L’assureur ayant opposé un refus de garantie, les sociétés Lacmé et associées l’ont assigné devant un tribunal judiciaire en exécution du contrat au titre des pertes d’exploitation. Une fondation et une autre société – dont l’objet est la boucherie et la charcuterie –, qui avaient souscrit un contrat similaire auprès de l’assureur, sont intervenues volontairement à l’instance d’appel.

Par un arrêt en date du 28 septembre 2021, la Cour d’appel d’Angers a jugé que l’assureur doit être tenu de garantir les pertes d’exploitation subies par les sociétés réclamantes dans la limite de 1 012 000 € conformément au contrat. L’assureur forme un pourvoi en cassation, et les sociétés souscriptrices un pourvoi incident.

L’assureur soutient, en premier lieu (pt 6), que la cour d’appel aurait dénaturé la police et, partant, violé l’article 1103 du code civil, ainsi que le principe suivant lequel le juge a l’obligation de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis. Il résultait en effet, selon lui, des termes clairs et précis de l’article 7 des conditions particulières, que les « pertes », et, partant, les pertes d’exploitation, n’étaient garanties qu’à la condition qu’elles aient été « subies par l’ensemble et la généralité des biens » de l’assuré et qu’elles aient pour origine un événement dommageable non exclu, de sorte que les pertes d’exploitations, considérées en elles-mêmes, même ayant pour origine un événement non exclu, telle la pandémie de coronavirus, sans que les biens de l’assuré aient été eux-mêmes atteints par cet événement, n’étaient pas garanties.

L’assureur soutient, en second lieu (pt 6), que la cour d’appel aurait dénaturé la loi des parties et violé l’article 1103 du code civil, selon lequel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Il souligne que l’article 1er des conditions particulières stipulait que « L’assuré agit tant pour son compte que pour celui de qui il appartiendra, en qualité de propriétaire, locataire, occupant à titre quelconque, gardien juridique, pour : les bâtiments, les matériels et objets divers de toute natures, les marchandises, lui appartenant ou appartenant à des tiers » et que l’article 3 des conditions particulières visait les « biens garantis », soit les « bâtiments et/ou risques locatifs », les « mobiliers, matériels et/ou risques locatifs mobiliers, matériels, agencements, embellissements », les « marchandises ». Il se déduisait selon lui de ces stipulations que les « pertes d’exploitation » subies par l’assuré, et mentionnées par les tableaux C (« frais et pertes ») et D (« autres évènements »), figurant à l’article 3 des conditions particulières, ne pouvaient donner lieu à garantie qu’à la condition qu’un événement dommageable ait atteint les « biens garantis ».

Par un arrêt en date du 9 novembre 2023, la deuxième chambre civile rejette le pourvoi, affirmant que « c’est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté des termes des clauses litigieuses rendait nécessaire, que la cour d’appel a jugé que sont garanties les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages subis par les biens de l’entreprise, dans la limite du plafond contractuel » (pt 9).

Le fonctionnement des assurances « tous risques sauf »

La délimitation de l’étendue de la garantie peut être réalisée, « positivement », en listant dans le contrat les différentes hypothèses de mise en jeu de la garantie ou, au contraire, « négativement », en couvrant par principe tous les risques, à l’exception de ceux qui sont limitativement énumérés. Il s’agit alors d’assurances « tous risques sauf », dites aussi « tout sauf » dans le jargon assurantiel.

Ces dernières se sont fortement développées ces dernières années concernant les assurances professionnelles. Par exemple, dans le contrat d’assurance collective à adhésion obligatoire de responsabilité civile professionnelle « tout sauf » souscrit par le Conseil supérieur du notariat pour l’ensemble des notaires de France, tous les types de fait générateur et de responsabilité sont assurés hormis les opérations interdites aux notaires par le droit positif (R. Bigot, L’indemnisation par l’assurance de responsabilité civile professionnelle. L’exemple des professions du droit et du chiffre, Defrénois 2014. 1162). Plus largement, ces formules de contrat de type « tout sauf », « ont été l’outil rédactionnel favorisant le développement de l’assurance de responsabilité des entreprises » (P. Brun, E. Silvestre, A. Valençon et S. Xerri-Hanote, Assurances de responsabilité civile des entreprises, Lamy assurances 2023, n° 1995). Désormais généralisée, il n’est donc guère étonnant que cette méthode ait été retenue par MMA en l’espèce.

La formule de l’assurance « tous risques sauf » offre une grande sécurité juridique pour l’assuré puisque tout ce qui n’a pas été spécifiquement prévu dans le contrat est couvert par l’assureur. Elle permet ainsi d’obtenir les plus larges garanties. C’est dans cet esprit que cette pratique contractuelle a été instituée. Dès lors, le domaine des exclusions générales et spéciales est en principe limité, ce qui réduit d’autant les risques de contestations relatifs à la garantie, facilitant ainsi l’indemnisation de principe des victimes lorsque les conditions de la responsabilité et de l’assurance sont réunies.

L’importance de préserver l’essence de l’assurance « tous risques sauf »

Lorsqu’un intermédiaire d’assurance, le plus souvent un agent général ou un courtier, propose au candidat à l’assurance un contrat « tous risques sauf », il lui vante les vertus de ce modèle de contrat, où tout est garanti sauf les rares exclusions stipulées. Il importe que le principe ne soit pas inversé, que l’essence même de la formule ne se soit pas remise en cause par une rédaction ambiguë du contrat.

Tel semble bien avoir été l’objectif des juges du fond en l’espèce, lesquels ont interprété les termes, peu explicites, du contrat « tous risques sauf » en faveur de l’assuré. Rappelons que le juge, serviteur du contrat, est tenu de respecter la volonté commune des parties et ne saurait, sous couvert d’interprétation, modifier le sens d’une clause dénuée de toute ambiguïté, la Cour de cassation contrôlant l’absence de dénaturation du contrat (Civ. 15 avr. 1872, Foucauld et Coulombe, DP 1872. 1. 176). Ceci découle du principe de la force obligatoire du contrat (C. civ., art. 1101), rappelé par l’assureur dans son pourvoi en cassation. La lecture de quelques extraits du contrat d’assurance litigieux – cités dans l’arrêt commenté (pt 6) – met en exergue sa complexité et sa rédaction faiblement intelligible, même pour un juriste spécialiste du droit de assurances. L’interprétation du contrat par le juge s’imposait donc.

Comme le rappelle en l’espèce la deuxième chambre civile, cette dernière relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 2 févr. 1808, Lubert), la Cour de cassation étant juge du droit et non des faits (sur ces questions, J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances, Tome 3, Le contrat d’assurance, 2e éd., LGDJ, 2014, nos 844 s., p. 406 s.). En l’espèce, ces derniers ont valablement pu décider que les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages subis par les biens de l’entreprise étaient garanties, l’essence de l’assurance « tous risques sauf » étant dès lors préservée. Une telle interprétation du contrat semble conforme à l’article 1190, in fine, du code civil, lequel permet à l’assuré de bénéficier de l’interprétation in favorem : le contrat d’adhésion – y compris entre professionnels – est interprété contre celui qui l’a proposé, autrement dit contre l’assureur. 

Contrairement à AXA, MMA est donc tenue de garantir les pertes d’exploitation liées à la pandémie de covid-19, ce qui confirme, si besoin était, que tout dépend en la matière des stipulations du contrat (R. Bigot, A. Cayol et A. Charpentier, Risque de pandémie, pertes d’exploitation et incertitudes des garanties assurantielles, RCA 16 juin 2022, p. 13 s.). Comme cela a été souligné par une doctrine autorisée, les formules de type « tout sauf » sont susceptibles de poser « un problème de prévisibilité du coût des sinistres […] : l’assureur peut être ainsi amené à couvrir les conséquences de situations dommageables qu’il aurait peut-être dû exclure pour des raisons d’équilibre financier, s’il avait pu les analyser lorsqu’il a conçu ses contrats de responsabilité civile » (P. Brun, E. Silvestre, A. Valençon et S. Xerri-Hanote, préc.)

 

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