Portée du droit à restitution en cas de défaut de réponse à la demande du crédit-bailleur

Après avoir retenu dans l’arrêt attaqué que l’absence de réponse du débiteur à la demande de restitution du crédit-bailleur ne vaut pas décision de refus et ajouté que la requête en restitution n’est qu’une simple faculté ouverte au propriétaire dispensé de faire reconnaître son droit de propriété, les véhicules n’étant pas entrés dans le gage commun des créanciers, la cour d’appel en a exactement déduit que les demandes du liquidateur, tendant à être autorisé à vendre aux enchères publiques les biens et à appréhender le prix de vente au profit de la liquidation judiciaire, devaient être rejetées.

Il résulte de l’arrêt commenté que le crédit-bailleur n’a pas à saisir le juge-commissaire malgré le défaut de réponse du débiteur ou des organes de la procédure à sa demande de restitution des biens faisant l’objet du crédit-bail mobilier. Il peut les appréhender, procéder à leur vente et en conserver le produit.

En l’espèce, quatre véhicules ont fait l’objet de contrats de crédit-bail, avant que le crédit-preneur soit placé en procédure de redressement judiciaire, au cours de laquelle ces contrats ont été poursuivis. Le crédit-bailleur a pris soin de déclarer sa créance et d’adresser au crédit-preneur une lettre rappelant l’existence de loyers impayés et son droit de propriété.

Le crédit-bail mobilier corporel (C. mon. fin., art. L. 313-7, 1°) fait, en effet, partie des techniques de « sûretés-propriétés » conférant au créancier une garantie intéressante en procédure collective, car elle est fondée sur un droit réel, autonome par rapport à son droit de créance. Toutefois, l’opposabilité de ce droit de propriété à l’égard des créanciers du crédit-preneur ou de ses ayants cause à titre onéreux est subordonnée au respect de la publicité prévue en matière mobilière (C. mon. fin., art. L. 313-10 et R. 313-3), anciennement au registre ouvert à cet effet au greffe du tribunal (C. mon. fin., anc. art. R. 313-4 s.), depuis le 1er janvier 2023 au registre des sûretés mobilières et autres opérations connexes (C. mon. fin., art. R. 313-4 s. ; C. com., art. R. 521-1 s.). Les juges du second degré ont ici constaté que les contrats de crédit-bail avaient été publiés régulièrement avant l’ouverture de la procédure, ce qui explique l’absence de discussion sur ce point.

Il était alors particulièrement intéressant pour ce créancier, crédit-bailleur mobilier, de revêtir la casquette de propriétaire dans ce redressement judiciaire, ultérieurement converti en liquidation judiciaire. Depuis la loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, le crédit-bailleur est « dispensé de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur ce bien a fait l’objet d’une publicité » (C. com., art. L. 624-10, L. 631-18 et L. 641-14). Une mesure de publicité, obligatoire ou facultative, permet à ce type de propriétaire d’être exempté des contraintes spéciales de revendication mobilière en procédure collective, notamment du délai préfix de trois mois à compter de la publication du jugement d’ouverture (C. com., art. L. 624-9, L. 631-18 et L. 641-14). Le crédit-bailleur immobilier aurait également bénéficié d’une situation avantageuse en étant autorisé à revendiquer son bien aux conditions de droit commun, par l’effet de la publicité foncière.

Il en aurait été tout autrement en cas de défaut de publicité, que les textes de droit commun sanctionnent par l’inopposabilité (C. mon. fin., art. R. 313-10 et R. 313-13). S’il avait tout de même souhaité invoquer sa propriété dans la procédure collective, le crédit-bailleur aurait dû prouver la connaissance par les créanciers du crédit-preneur de l’existence de son droit à l’ouverture de la procédure (Com. 12 avr. 1988, n° 86-16.275 ; 14 déc. 2022, n° 21-16.048 B, Dalloz actualité, 25 janv. 2023, obs. B. Ferrari ; D. 2023. 6 ; Rev. sociétés 2023. 199, obs. F. Reille ; RTD com. 2023. 222, obs. C. Saint-Alary-Houin ; ibid. 452, obs. A. Martin-Serf  ; JCP E 2023. 1113, note S. Zinty ; ibid. 1157, n° 18, obs. P. Pétel ; LEDEN 1/2023. 4, obs. R. Azevedo ; APC 2023, n° 36, obs. A. Bennini ; RJDA  2023, n° 157 ; Dict. perm. diff. entrep., Bull. n° 455, obs. T. Favario ; BJE 3-4/2023. 22, note D. Sahel ; RD banc. fin. 2023, n° 105, obs. C. Houin-Bressand).

Il était ainsi acquis que ce propriétaire bénéficiait de la dispense de revendication, et pouvait se contenter d’une « simple » demande de restitution. Le liquidateur judiciaire qui souhaitait cependant vendre aux enchères publiques les véhicules et en verser le prix à la liquidation a formé une requête auprès du juge-commissaire afin d’y être autorisé. Il fait grief à l’arrêt d’appel de rejeter sa demande et d’ordonner l’attribution définitive du produit de la vente au crédit-bailleur.

Examinons successivement les deux branches du pourvoi sur lesquelles les juges du droit ont porté leur attention, d’une part, la qualification de demande de restitution et, d’autre part, les modalités procédurales de restitution du bien.

La qualification de demande de restitution

Il ressort de la première branche du pourvoi que les juges d’appel auraient dénaturé un courrier transmis par le crédit-bailleur au crédit-preneur en l’analysant en une demande de restitution. Selon le liquidateur, cet écrit visait seulement incidemment à ce que soit « autoris(ée) la restitution des véhicules », et constituait en réalité une demande de revendication. Son intitulé (« requête en revendication de propriété ») et l’emploi du terme « revendiquer » à trois reprises dans son contenu ne constituaient pas pour lui une « pure maladresse rédactionnelle ».

Cela était, à tout le moins, source de confusion. Il n’en fallait pas plus pour rejeter le grief de dénaturation dont les conditions font défaut (v. not., Rép. civ.,  Pourvoi en cassation – Cas d’ouverture à cassation, par J. Boré et L. Boré, §§ 514 s.). Dans le cadre de son contrôle de la clarté de l’acte litigieux, la Cour de cassation valide le raisonnement des juges du fond en relevant que leur interprétation était « rendue nécessaire par les termes ambigus de la lettre du 22 mai 2018 ». Pour aboutir à une cassation, ce contrôle de la motivation aurait dû révéler au contraire un acte clair et précis, dénué d’ambiguïté. Dans l’arrêt commenté, les juges du droit ne font encore que rappeler que l’interprétation est exclusive de dénaturation (formule classique, v. not., Civ. 3e, 25 mai 2023 FS-B, n° 21-20.643, Dalloz actualité, 13 juill. 2023, obs. N. De Andrade ; D. 2023. 1004 ; ibid. 2258, chron. M.-L. Aldigé, B. Djikpa, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; ibid. 2024. 650, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDI 2023. 429, obs. C. Charbonneau ). En l’absence d’erreur flagrante, il n’est pas question pour les juges du droit de contrôler la qualification de l’acte opérée par les juges du fond.

Le crédit-bailleur ayant procédé à une demande de restitution, le moyen pouvait ensuite être déclaré inopérant en ses troisième et quatrième branches, fondées sur l’article R. 641-32 du code de commerce conditionnant la vente par le liquidateur des biens n’ayant pas fait l’objet d’une telle demande.

Les modalités procédurales de la restitution

Il ressort de la deuxième branche du pourvoi que les juges d’appel auraient violé les articles L. 624-10 et R. 624-14 du code de commerce en faisant droit à la demande du crédit-bailleur d’attribution du produit de la vente des véhicules. Selon le liquidateur, le redressement judiciaire qui était ouvert à l’égard du crédit-preneur interdisait au propriétaire d’appréhender par ses propres moyens les véhicules pour les faire vendre. Il aurait dû obtenir l’autorisation du juge-commissaire, car le débiteur et le mandataire judiciaire n’ont pas répondu dans le délai d’un mois à sa demande de restitution. Aux termes des textes règlementaires fixant la procédure de restitution, la saisine du juge-commissaire pourrait sembler facultative (C. com., art. R. 624-14, R. 631-31 et R. 641-31, « à défaut d’accord dans le délai d’un mois à compter de la réception de la demande ou en cas de contestation, le juge-commissaire peut être saisi à la diligence du propriétaire afin qu’il soit statué sur les droits de ce dernier »), mais les textes législatifs emploient eux le présent de l’indicatif pour désigner la saisine du juge-commissaire à défaut d’accord ou en cas de contestation (C. com., art. L. 624-17, L. 631-18 et L. 641-14-1).

Les juges du droit ont ainsi été amenés à résoudre une seconde ambiguïté en s’interrogeant sur la nécessité pour le propriétaire souhaitant prendre possession de ses biens de saisir le juge-commissaire, en l’absence d’acquiescement du débiteur ou des organes de la procédure à sa demande de restitution.

En validant nettement la conclusion des juges du fond ayant « exactement déduit » de leur analyse « que les demandes du liquidateur (…) devaient être rejetées », la Cour de cassation nous pousse à apprécier leur raisonnement. Partant du constat que le propriétaire était dispensé de revendiquer et avait pris soin de demander la restitution de ses biens, les juges du fond ont relevé que l’absence de réponse ne valait pas refus de restitution et, au surplus, qu’une requête en restitution n’était pas nécessaire, car le bien se trouvait hors du gage commun des créanciers. Il en ressort que le défaut d’acquiescement n’ouvre pas de phase contentieuse, car cela n’empêche pas le crédit-bailleur d’appréhender ses biens, de les faire vendre et de conserver le produit de la vente.

Il est vrai que l’objet d’une demande de restitution est d’écarter toute incertitude quant au propriétaire du bien. Il ne s’agit plus pour un créancier de faire reconnaître son droit de propriété, mais seulement de porter à la connaissance de la procédure son souhait d’appréhender les biens concernés. Cela pourrait justifier que le silence conservé après la réception de cette demande ne constitue pas un refus, et cela devrait valoir pour tout propriétaire, partie à un contrat publié, obligatoirement ou facultativement. La situation des biens à restituer est radicalement différente des biens à revendiquer. Pour les premiers, leur restitution étant acquise par le respect de la publicité propre au contrat dont ils sont l’objet, ils se situent hors du gage commun des créanciers (v. en ce sens, J.-Cl. Com., Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires – Revendication et restitution des biens meubles, par J. Vallansan, fasc. 2540, § 107). C’est à ceux qui désirent aller à l’encontre de cet état, le débiteur, l’administrateur ou le liquidateur, de saisir le juge-commissaire pour faire entrer ces biens dans la procédure. En décider autrement ne rendrait-elle pas inefficace la reconnaissance par la procédure collective du droit de ce type de propriétaire ?

S’agissant du caractère facultatif de la demande en acquiescement de restitution, la solution n’est pas nouvelle. Aucun délai n’est prévu dans les textes et la Cour de cassation en déduit qu’elle est une faculté mise à la disposition du propriétaire (Com. 18 sept. 2012, n° 11-21.744 P, D. 2012. 2240, obs. A. Lienhard  ; JCP E 2012. 1757, obs. P. Pétel ; APC 2012, n° 241, obs. J. Vallansan ; BJE 2012. 372, note M. Laroche ; Gaz. Pal. 18-19 janv. 2013, p. 32, obs. E. Le Corre-Broly ; RJDA 2013, n° 349). Il n’en reste pas moins qu’il devra y procéder, comme le crédit-bailleur en l’espèce, s’il souhaite effectivement récupérer ses biens (F. Pérochon, avec le concours de M. Laroche, F. Reille, T. Favario et A. Donnette, Entreprises en difficulté, 11e éd., 2022, LGDJ, n° 2981).

La solution aurait-elle été différente si le liquidateur judiciaire s’était expressément opposé à cette demande ? Cela pourrait contraindre le propriétaire à entrer dans la phase contentieuse en saisissant le juge-commissaire avant de prendre possession du bien. La solution n’est pas certaine pour autant, car cela reviendrait à placer les biens concernés dans une curieuse « zone-tampon », hors du gage commun des créanciers, mais toujours sous l’emprise de la procédure. Mieux vaut que les organes de la procédure ou le débiteur prennent l’initiative de la saisine du juge-commissaire s’ils ont les moyens de contester les conditions de restitution du bien, ce qui ne semblait pas être le cas ici.

La situation enviable du crédit-bailleur en cas de liquidation judiciaire du crédit-preneur était déjà connue. Imaginons que le constituant de la garantie en ait parfaitement conscience lors de la signature du contrat. Pourquoi y verrait-il un danger, alors que ce sont essentiellement ses créanciers qui souffriront de ne pas pouvoir espérer être payés sur la vente de ces biens en liquidation judiciaire ? La balance des intérêts réalisée par le droit des faillites entre le respect du droit du propriétaire et la poursuite de l’intérêt des créanciers n’est-elle pas déséquilibrée dans les hypothèses de dispense de revendication ? Il se pourrait que le passe-droit octroyé aux propriétaires titulaires de contrats publiés soit un jour remis en cause.

 

Com. 2 mai 2024, F-B, n° 21-25.720