Porter plainte et se constituer partie civile, une prérogative réservée à la victime

Sauf exceptions légales, le droit de porter plainte et de se constituer partie civile est une prérogative que l’article 85 du code de procédure pénale réserve à la seule personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit. Aussi, doit être déclarée irrecevable la constitution de partie civile d’une société mandatée à cette fin par ses clients.

 

En l’espèce, une société avait porté plainte et s’était constituée partie civile, en son nom et en celui de plusieurs de ses clients s’estimant lésés dans une opération successorale litigieuse, du chef de faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique, d’escroqueries en bande organisée, de complicité et de recel de faux en écriture publique.

Par ordonnance du 14 juin 2023, le juge d’instruction a déclaré cette plainte irrecevable. La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion a, par arrêt du 19 décembre 2023, confirmé l’ordonnance du magistrat instructeur au motif que la société ne disposait d’aucune qualité à agir dès lors que « l’action civile ne peut se déléguer ». Saisie sur pourvoi de la société, agissant toujours en son nom et en tant de mandataire des consorts, la chambre criminelle de la Cour de cassation a approuvé la solution adoptée par les juges réunionnais.

Le droit de mettre en mouvement l’action publique, une prérogative personnelle

Selon la Cour régulatrice en effet, « Sauf exceptions légales, le droit de porter plainte et de se constituer partie civile est une prérogative que l’article 85 du code de procédure pénale réserve à la seule personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit » (§ 6).

Pour rappel, l’accès à la qualité de partie civile est réservé à ceux qui se prétendent victimes d’une infraction, autrement dit ceux qui prétendent avoir subi un préjudice personnel, résultant directement de l’infraction au sens de l’article 2 du code de procédure pénale. Nul besoin, au stade de l’accès au juge, qu’ils soient effectivement victimes d’une infraction. 

Cette solution n’est pas nouvelle. Dans un arrêt rendu en assemblée plénière, le 9 mai 2008, la Cour de cassation avait déjà jugé que, « sauf exceptions légales, le droit de la partie civile de mettre en mouvement l’action publique est une prérogative de la victime qui a personnellement souffert de l’infraction » (Cass., ass. plén., 9 mai 2008, n° 06-85.751, Dalloz actualité, 16 mai 2008, obs. M. Léna ; D. 2008. 1415 ; ibid. 2757, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2008. 366, étude C. Saas ). Chargé de statuer sur le fait de savoir si un héritier, en l’occurrence la fille de la victime décédée, pouvait déclencher l’action publique en se constituant partie civile à la place du de cujus, notamment du chef d’abus de faiblesse, la Cour de cassation avait répondu par la négative. Et d’en déduire que « l’action publique n’ayant été mise en mouvement ni par la victime ni par le ministère public, seule la voie civile était ouverte à la demanderesse pour exercer le droit à réparation reçu en sa qualité d’héritière ».

Cette position se trouve justifiée par l’objet même du droit de porter plainte et de se constituer partie civile. Ce droit vise en effet essentiellement à établir la culpabilité d’une personne ayant causé un préjudice à la partie civile, en dehors de toute réparation du dommage. Aussi, la prérogative de mettre en mouvement l’action publique a le caractère d’« une prérogative attachée à la personne », laquelle peut « tendre seulement à la défense de son honneur ou de sa considération, indépendamment de toute réparation du dommage par la voie de l’action civile (Crim. 19 oct. 1982, n° 81-93.636).

Par sa décision et le renvoi explicite à l’article 85 du code de procédure pénale, la Cour de cassation réaffirme donc que la prérogative de mettre en mouvement l’action public est une prérogative personnelle.

L’existence d’un contrat de mandat, un argument inopérant

Par leur décision, les juges criminels balaient du même coup l’argumentation de la personne morale reposant sur l’existence d’un mandat : « Il en résulte que les clients de la société […] ne pouvaient valablement mandater celle-ci pour déposer plainte et se constituer partie civile en leur nom » (§ 7).

Pris en ses deux premières branches, le moyen développé par la société était voué à l’échec.

Dans son pourvoi, la demanderesse arguait en effet du pouvoir dont elle avait été investie, par les consorts, de porter plainte avec constitution de partie civile. Dans ses écritures, elle avait fait valoir que, selon la procuration signée par ses clients, elle avait été mandatée pour « représenter le constituant en justice tant en demande qu’en défense » et « effectuer ou requérir tout acte de procédure », tel que « saisir le procureur de la République compétent de toute plainte contre X ou personne dénommée, et le cas échéant se constituer partie civile ». La chambre de l’instruction avait, par ailleurs, constaté que la société avait reçu mandat de « saisir le procureur de la République compétent de toute plainte contre X ou personne dénommée, et le cas échéant se constituer partie civile ». Aussi, la société reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir considéré qu’il n’était pas démontré que les mandants avaient autorisé la société à mettre en mouvement l’action publique par le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile, violant ainsi l’article 1103 du code civil relatif aux contrats légalement formés.

Ces arguments étaient cependant logiquement inopérants s’agissant d’une prérogative personnelle. Ce n’est que dans le cas où la victime est dans l’incapacité d’exercer ses droits, en raison par exemple de sa minorité, d’une mesure de protection ou encore de son caractère abstrait, que son représentant légal est habilité à agir au nom de la victime.

 

Crim. 17 juin 2025, F-B, n° 24-82.593

par Julie Gallois, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université Paris-Saclay

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