Possibilité d’obtenir en référé la constatation de la résiliation de plein droit d’un contrat d’édition, faute d’exploitation permanente et suivie de l’ouvrage
L’auteur d’un ouvrage épuisé peut obtenir en référé la constatation de la résiliation d’un contrat d’édition aux torts de l’éditeur défaillant.
La théorie enseigne qu’en référé, il n’entre dans les attributions et pouvoirs du juge que l’édiction de mesures provisoires, destinées notamment à prévenir un dommage imminent ou mettre fin à un trouble manifestement illicite. Certains juges s’autorisent toutefois désormais, sinon à prononcer la résiliation de contrats, au moins à constater qu’ils le sont, comme en l’espèce s’agissant d’un contrat d’édition non correctement exécuté.
La conclusion de deux contrats d’édition et l’absence d’exploitation permanente et suivie
Dans cette affaire, l’auteur de deux ouvrages dédiés à la céramique, intitulés respectivement La sagesse d’un métier et Une brève histoire, dont il avait cédé les droits à un éditeur en 2003 et 2014, se plaignait de l’absence d’exploitation permanente et suivie de ses œuvres, ainsi que de l’absence de reddition de comptes. Il avait en effet été constaté que, depuis 2019, l’éditeur ne fournissait plus de chiffres de vente à l’auteur, tandis que les ouvrages restaient absents des linéaires de plusieurs libraires, selon un constat d’huissier dressé sur internet en novembre 2022.
Par une première procédure de référé, l’auteur avait obtenu du président du Tribunal judiciaire de Paris qu’il ordonne à l’éditeur de lui communiquer sous astreinte un état certifié par un expert-comptable, indiquant le nombre d’exemplaires de chaque ouvrage fabriqués, vendus, en stock ou détruits pour les exercices 2019 à 2022, ainsi qu’un récapitulatif des actions de promotion des œuvres.
Ne mettant que très partiellement en œuvre les termes de l’ordonnance de référé, l’éditeur avait simplement envoyé un e-mail à l’auteur, accompagné de quatre fichiers de reddition de comptes sur les ouvrages en cause. Sur cette base, l’auteur avait ensuite assigné l’éditeur afin, notamment, qu’il lui soit « donné acte » (la formulation est importante) de la résiliation de plein droit des contrats d’édition portant sur chacun des deux ouvrages, et qu’il soit également fait interdiction à l’éditeur de faire toute référence à l’auteur et ses livres sur son site internet.
Le juge des référés peut-il « donner acte » de la résiliation d’un contrat ?
Une certaine jurisprudence récente a fait grand bruit parmi les plaideurs, puisqu’il a été subitement considéré, à compter de 2017, que les demandes visant à « constater » ou « dire et juger » ne consistaient prétendument pas dans des prétentions et, par conséquent, ne saisissaient pas le juge.
Ce mouvement quasi révolutionnaire, parti de la Cour d’appel de Versailles, a plongé les avocats dans un océan de perplexité et d’incompréhension, les contraignant à revoir leurs pratiques rédactionnelles les plus anciennes et à cesser les « par ces motifs » à rallonge, par lesquels il était par exemple demandé au juge, d’abord, de constater que le défendeur n’avait pas respecté ses obligations contractuelles puis, par conséquent, de le condamner à indemniser le demandeur au titre du préjudice subi. Alors réduits à leur plus simple expression, les par ces « motifs » nouvelle génération demandaient aux juges de simplement « condamner » la partie adverse ou bien la « débouter » de ses prétentions.
Cette jurisprudence a – fort heureusement – fait long feu, puisque par un arrêt du 13 avril 2023, la Cour de cassation a sifflé la fin de la partie, en considérant que les « dire et juger » pouvaient bien constituer des prétentions qu’une cour d’appel était censée analyser et trancher (Civ. 2e, 13 avr. 2023, n° 21-21.463).
Dans l’affaire qui nous occupe, l’auteur a directement profité de ce revirement jurisprudentiel, puisqu’il demandait au juge des référés qu’il lui « donne acte » (sic) de la résiliation des contrats d’édition. Cette formule, « donner acte », faisait expressément partie des termes et expressions prohibés en vertu de la jurisprudence susvisée. Dès 2016, d’ailleurs, la troisième chambre civile de la Cour de cassation indiquait de manière aussi péremptoire que surprenante qu’« une demande de donner acte est dépourvue de toute portée juridique » (Civ. 3e, 16 juin 2016, n° 15-16.469, Dalloz actualité, 28 juin 2016, obs. M. Kebir ; D. 2017. 422, obs. N. Fricero
).
Cela étant, au-delà de la formulation qui pouvait éventuellement susciter une certaine contestation, la question se pose de savoir s’il est bien possible de demander, en référé, qu’il soit « donné acte » de la résiliation d’un contrat. Comme le rappelle l’ordonnance de référé analysée, l’article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut, « même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Et le même texte, en son alinéa 2, permet au juge, en présence d’une obligation non sérieusement contestable, d’accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution d’une obligation.
C’est ainsi qu’en vertu de ce texte, le juge des référés peut par exemple ordonner la poursuite de l’exécution d’un contrat qui n’aurait pas été correctement résilié, dans l’attente de son terme naturel ou bien d’une décision de justice au fond. Cette solution est classique. La Cour d’appel de Paris a ainsi jugé que « le juge des référés peut, sur le fondement de l’article 873 du code de procédure civile, faire cesser ce trouble en enjoignant à une partie à un contrat de reprendre les relations contractuelles qu’elle a manifestement fait cesser de manière illicite » (Paris, 29 oct. 2020, n° 20/10716).
Cela dit, maintenir les effets d’un contrat et résilier un contrat relèvent de deux philosophies radicalement opposées. La seconde mesure a un effet définitif qui tranche avec le caractère provisoire des décisions du juge des référés. Il est ainsi traditionnellement jugé que le juge des référés ne peut pas prononcer la résiliation d’un contrat. Par exemple, en matière de contrat de travail, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que « le juge des référés n’a pas le pouvoir, à la demande d’un tiers, d’ordonner la résiliation d’un contrat de travail ni de prendre une mesure entraînant la rupture de celui-ci » (Soc. 18 nov. 2009, n° 08-19.419, Dalloz actualité, 3 déc. 2009, obs. L. Perrin ; Dr. soc. 2010. 119, obs. C. Radé
).
Et pourtant, dans notre affaire, le juge des référés ne s’est pas embarrassé de ces limites. Partant du principe que, selon l’article L. 132-12 du code de la propriété intellectuelle, l’éditeur est tenu d’assurer à l’œuvre une « exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale conformément aux usages de la profession », il a constaté qu’en l’espèce ces obligations n’ont pas été respectées et en a déduit qu’il pouvait être « constaté » la résiliation de plein droit du contrat d’édition.
Alors, certes, dans son ordonnance de référé, le juge ne résilie pas lui-même le contrat et ne fait que constater que l’accord a été résilié « de plein droit », par l’absence de réponse satisfaisante de l’éditeur à la mise en demeure dont il a été l’objet. Mais n’est-ce pas pour autant un constat définitif, à rebours d’une mesure provisoire ?
Quel fondement pour la résiliation de plein droit du contrat d’édition ?
Il est vrai que le juge a tenté de justifier sa décision, d’abord au visa de l’article L. 132-17-3 du code de la propriété intellectuelle, qui dispose que si l’éditeur ne satisfait pas à son obligation de reddition de comptes, le contrat est résilié de plein droit au terme d’un délai de trois mois après l’envoi d’une mise en demeure non suivie d’effet.
Par ailleurs, en l’espèce, les deux contrats d’édition, rédigés dans des termes similaires, prévoyaient une résiliation « de plein droit » en l’absence de réimpression de l’ouvrage dans un délai de douze mois suivant une mise en demeure envoyée par l’auteur par lettre recommandée.
Est-ce à dire qu’il était effectivement possible au juge de considérer que « les conditions contractuelles de la résiliation de plein droit sont acquises et [qu’]il y a lieu de le constater » ? Il est permis d’en douter, car d’ordinaire, cette question relève du débat au fond. Elle suppose en effet une appréciation des termes du litige qui, normalement, échappe aux pouvoirs du juge des référés.
Les décisions qui constatent la résiliation de plein droit émanent ainsi, traditionnellement, du tribunal judiciaire ou de la cour d’appel saisis du fond du litige. Par exemple, un jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 10 mai 2022 énonce, après une analyse des manquements de l’éditeur, qu’il y a lieu « de constater la résiliation de plein droit desdits contrats avec effet au 10 avril 2020, soit trois mois après la mise en demeure du 10 janvier 2020 » (TJ Paris, 10 mai 2022, n° 20/7375).
À rebours, on relèvera, non sans un certain amusement que, par un arrêt du 29 juin 2017, la Cour d’appel de Versailles, statuant en référé, avait refusé de faire droit aux demandes de l’appelant visant à constater ceci ou cela : « Il n’appartient pas à la cour de statuer sur des demandes de constat, qui ne constituent pas des demandes en justice tendant à ce que soit tranché un point litigieux » (Versailles, 29 juin 2017, n° 16/07884).
L’existence d’un trouble manifestement illicite procédant de la référence à l’auteur et ses ouvrages
Constatant, comme vu ci-dessus, que les deux contrats d’édition avaient été résiliés « de plein droit », le juge en déduit que le maintien, sur le site internet de l’éditeur défaillant, de références à l’auteur et à ses ouvrages malgré plusieurs lettres de mise en demeure constituait un « trouble manifestement illicite » auquel il était possible de pallier en enjoignant au défendeur de supprimer les pages en question.
Mais, ici également, il est possible d’être surpris à la lecture de la décision, qui fait référence à une « atteinte aux droits d’auteur » du demandeur. Autant on aurait pu envisager une atteinte à l’image, par exemple, autant un manquement aux droits d’auteur peut paraître assez peu caractérisé.
Conclusion
Les éditeurs défaillants peuvent-ils désormais craindre la résiliation des contrats d’édition, « constatée » en référé, donc au terme d’une procédure rapide, sans débat au fond ? C’est ce que laisse penser la décision commentée. Cela dit, on relèvera que l’éditeur n’avait pas constitué avocat et n’avait donc pas répondu aux prétentions de l’auteur, ce qui permet de quelque peu relativiser la portée de cette ordonnance.
TJ Paris, ord. réf., 20 mars 2024, n° 24/50849
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