Pour apprécier la portée d’un arrêt de cassation, seul le dispositif compte !
Lorsque la Cour de cassation censure une décision de justice et renvoie l’affaire devant une autre juridiction, cette dernière doit encore circonscrire la portée de la cassation. Lorsque la cassation est totale, la chose est assez simple car il ne subsiste rien de la décision anéantie ; lorsqu’elle n’est que partielle, cela a toujours donné lieu à davantage d’incertitudes. Celles-ci sont cependant largement dissipées alors que l’étendue de la cassation n’est plus aujourd’hui déterminée que par la portée du dispositif (C. pr. civ., art. 624).
L’arrêt rendu par la Cour de cassation dans un litige marque, dans les esprits, l’achèvement de celui-ci. Mais il ne faut pas oublier qu’en cas de cassation, les hostilités sont le plus souvent appelées à reprendre devant une juridiction de renvoi (COJ, art. L. 431-4) et il sera alors nécessaire de circonscrire l’étendue de la cassation. Cela n’a pas toujours été simple. Jusqu’à l’entrée en vigueur du décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014 relatif à la procédure civile devant la Cour de cassation, la cassation était « limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire » (C. pr. civ., art. 624). Mais la Cour de cassation avait largement dissipé le brouillard qui entourait cette formule en soulignant à plusieurs reprises que les parties pouvaient toujours invoquer des prétentions ou des moyens nouveaux devant la cour d’appel de renvoi (Civ. 2e, 21 déc. 2006, n° 06-12.293 P ; Cass., ass. plén., 27 oct. 2006, n° 05-18.977 P, Dalloz actualité, 5 nov. 2006, obs. I. Gallmeister ; RDI 2007. 256, obs. F. G. Trébulle
; Com. 15 oct. 2002, n° 01-11.518 P ; Civ. 2e, 28 mai 1990, n° 89-14.349 P) ; le décret du 6 novembre 2014 lui a donné le coup de grâce en lui préférant celle, plus évocatrice, selon laquelle l’étendue de la cassation est « déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce » (C. pr. civ., art. 624). Cette modification des termes permet une délimitation plus aisée de la portée d’un arrêt de la Cour de cassation lorsque la censure n’est que partielle. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 2 mai 2024 en témoigne.
À l’origine de cet arrêt, il y avait un litige découlant de la réhabilitation d’un immeuble : se plaignant de défauts de stabilité et d’ancrage d’une galerie à ossature de bois, le maître d’ouvrage avait assigné en réparation de son préjudice son maître d’œuvre et l’assureur de ce dernier. La cour d’appel avait fait droit aux demandes du premier, mais avait fixé le terme des préjudices immatériels qu’il avait subis à une date à laquelle les travaux n’étaient pas achevés. Pour cette raison, l’arrêt a été censuré par la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2020. Et, par application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation a été étendue aux chefs de dispositif de la décision disant que les chefs de préjudice relatifs au préjudice locatif, aux taxes foncières et aux frais d’eau et d’électricité seraient indemnisés jusqu’à cette même date (Civ. 3e, 9 juill. 2020, n° 19-18.954, inédit). En somme, même si c’est la durée du préjudice qui avait justifié la censure, le dispositif de l’arrêt de cassation avait une portée plus large puisqu’il y était précisé :
« CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il limite l’indemnisation allouée au titre du préjudice locatif, de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, des factures d’électricité et de la consommation d’eau aux sommes de 49 260,32 €, de 1 302,75 €, de 1 054,87 € et de 1 066,98 € et en ce qu’il dit que ces chefs de préjudice seront indemnisés jusqu’au 30 juin 2016, l’arrêt rendu le 17 décembre 2018, entre les parties, par la Cour d’appel de Toulouse »
Trouvant l’occasion trop belle, le maître d’ouvrage a fait valoir devant la cour d’appel de renvoi que l’évaluation de la somme destinée à compenser son préjudice devait être réévaluée – à la hausse naturellement – tandis que le maître d’œuvre soutenait que la cassation portait uniquement sur la durée du préjudice subi. C’est ce dernier parti qu’a pris la cour d’appel de renvoi qui, après une avoir analysé la branche du moyen du pourvoi ayant entraîné la cassation, a conclu que « la cassation partielle ne porte bien que sur la durée de l’indemnisation au titre de la perte locative et non sur le quantum mensuel de ce préjudice immatériel résultant de la perte des loyers » (Bordeaux, 9 sept. 2021, n° 20/04123). Saisie d’un nouveau pourvoi, la Cour de cassation n’a pas partagé cette manière de voir les choses et a censuré l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi qui « a[vait] réduit sa saisine au regard du moyen ayant déterminé la cassation, et non au regard du dispositif de l’arrêt de cassation ».
La cassation paraissait inévitable.
Même au regard de la portée des moyens soumis à la Cour de cassation, la solution adoptée par la cour d’appel de renvoi appelait les plus sérieuses réserves. Si l’une des branches du moyen – celle ayant précisément conduit à la cassation par l’arrêt du 9 juillet 2020 – portait effectivement sur la fixation du terme du préjudice, une autre portait sur son évaluation. Et, loin de la rejeter, la Haute juridiction avait simplement estimé qu’en conséquence de son accueil de l’une des critiques, il n’y avait plus lieu d’examiner les autres – « sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ». Par cette petite formule (sur le sens de celle-ci, v. J. Voulet, L’étendue de la cassation en matière civile, JCP 1977. I. 2877, spéc. n° 13), elle indiquait ainsi que la cassation du chef de dispositif portant sur l’étendue du préjudice emportait tout avec elle, de sorte que rien n’interdisait aux parties de discuter à nouveau la méthode d’évaluation devant la cour d’appel de renvoi.
Mais c’était la méthode employée qui n’était surtout pas la bonne. Car, depuis l’entrée en vigueur du décret du 6 novembre 2014, il faut fermer les yeux sur les motifs pour s’attacher au seul dispositif afin d’apprécier la portée de la censure (J. Boré et L. Boré, La cassation en matière civile, 6e éd., Dalloz Action, 2023, n° 122.44). En continuant de s’attacher à la portée des moyens dirigés contre l’arrêt censuré, la cour d’appel de renvoi avait donc refusé d’appliquer cette mesure de simplification procédurale et, pour cette raison, la censure s’imposait.
Civ. 2e, 2 mai 2024, F-B, n° 22-12.473
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