Pour être indemnisé, le préjudice d’anxiété nécessite… d’être prouvé !
En retenant qu’il résulte des articles 1231-1 et 1240 du code civil que constitue un préjudice indemnisable l’anxiété résultant de l’exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave, la Cour de cassation retient une définition large du préjudice d’anxiété. Les juges du fond apprécient souverainement les éléments de fait et de preuve pour établir l’existence de ce préjudice, les exigences probatoires à la charge des victimes étant délicates à satisfaire.
Alors que Mayotte venait d’être ravagée par le cyclone Chido – avec les conséquences sanitaires dramatiques que l’on connaît – la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu le 18 décembre 2024, par une curieuse coïncidence, une série de six arrêts, dont trois destinés à être publiés au Bulletin et au Rapport de la Cour de cassation, dans lesquels elle s’est prononcée en des termes identiques et qui concernent les suites de la sécheresse ayant frappé l’île en 2023.
Pour faire face au manque d’eau, un certain nombre d’arrêtés préfectoraux furent pris à compter de juin 2023 afin de limiter l’accès à l’eau du robinet sur l’île de Mayotte. Considérant subir une défaillance contractuelle de la part de la Société mahoraise des eaux (la SMAE), avec laquelle ils avaient conclu un contrat d’acheminement d’eau propre et salubre, plusieurs clients ont assigné ce « distributeur unique et exclusif d’eau potable à Mayotte », formulant diverses demandes, notamment l’exécution forcée du contrat avec un rétablissement de la livraison d’eau potable ou, à défaut, la fourniture d’une prestation de remplacement ; la réduction du prix de l’abonnement jusqu’à rétablissement d’un approvisionnement continu, ainsi que la réparation de leur préjudice moral et de leur préjudice d’anxiété, qui seule nous intéressera ici (v. sur les autres aspects, Dalloz actualité, 7 janv. 2025, obs. C. Hélaine).
S’agissant du préjudice d’anxiété, la cour d’appel n’a pas fait droit aux demandes des requérants. Le pourvoi reprochait aux juges d’avoir méconnu les conséquences légales de leurs constatations, en violation des articles 1231-1 et 1240 du code civil, en retenant, pour refuser l’indemnisation, qu’« il n’était pas établi que [les demandeurs] ont été exposés de manière certaine, du fait [du distributeur], à une substance toxique susceptible de générer un risque élevé de développer une pathologie grave », après avoir relevé « que [la société] n’était plus en mesure de garantir la qualité de l’eau et donc d’exécuter l’obligation de résultat qu’elle avait souscrite, ce dont il résultait qu’il existait un risque de contamination de l’eau la rendant impropre à la consommation ».
La décision de la cour d’appel est cependant confirmée sur ce point par la Cour de cassation. En effet, s’il résulte, d’après la première chambre civile, des articles 1231-1 et 1240 du code civil, que « constitue un préjudice indemnisable l’anxiété résultant de l’exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave », c’est « dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis que la cour d’appel, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, a retenu qu’il n’était pas établi que [les demandeurs] avaient été exposés de manière certaine, du fait [du distributeur], à une substance toxique susceptible de générer un risque élevé de développer une pathologie grave ». Le moyen soulevé par le pourvoi ne pouvait être accueilli, celui-ci étant inopérant au demeurant dans ses deuxième et troisième branches.
D’interprétation délicate, la réponse des Hauts magistrats suscite tout de même quelques remarques. Tout d’abord – même si celui-ci est non établi en la cause –, en retenant la formule générale selon laquelle « il résulte des articles 1231-1 et 1240 du code civil que constitue un préjudice indemnisable l’anxiété résultant de l’exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave », la Cour de cassation autorise une ample reconnaissance du préjudice d’anxiété, dont elle retient une définition large. Par ailleurs, à envisager la diversité des situations dans lesquelles ce préjudice pourrait être reconnu, la décision de la première chambre laisse transparaître une variabilité des exigences probatoires lui étant applicables.
Sur la définition du préjudice d’anxiété
Cela fait une vingtaine d’années que la jurisprudence reconnaît que l’« anxiété » (c’est-à-dire l’angoisse née chez une personne qui se trouve exposée à un risque avéré de dommage grave) peut justifier l’allocation d’une indemnisation spécifique, sous cette dénomination, dans divers domaines (G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les conditions de la responsabilité, 4e éd., LGDJ, 2013, n° 270-1). La définition retenue ici confirme l’autonomie acquise par le préjudice d’anxiété et pourrait contribuer à en déployer les applications, même si celle-ci soumet sa reconnaissance à des conditions.
C’est en droit social que ce type de préjudice a connu un premier essor, à propos de l’indemnisation des salariés exposés à l’amiante au cours de leur vie professionnelle et qui, de ce fait, subissent un risque avéré de développer des pathologies lourdes et notamment des cancers. S’il fut un temps réservé aux salariés éligibles à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA), ayant travaillé dans un établissement listé par arrêté ministériel (Loi n° 98-1194 du 23 déc. 1998, art. 41 ; Soc. 11 mai 2010, n° 09-42.241, Dalloz actualité, 4 juin 2010, obs. B. Inès ; D. 2010. 2048
, note C. Bernard
; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout
; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta
; Dr. soc. 2010. 839, avis J. Duplat
; RTD civ. 2010. 564, obs. P. Jourdain
), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a finalement écarté cette condition et admis la réparation du préjudice d’anxiété sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, pour violation de l’obligation de sécurité de l’employeur, au bénéfice de tous les travailleurs qui justifient d’une exposition à cette substance générant un risque élevé de développer une pathologie grave (Cass., ass. plén., 5 avr. 2019, n° 18-17442, Dalloz actualité, 9 avr. 2019, obs. W. Fraisse ; D. 2019. 922, et les obs.
, note P. Jourdain
; ibid. 2058, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
; ibid. 2020. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
; JA 2019, n° 598, p. 11, obs. D. Castel
; ibid. 2021, n° 639, p. 40, étude P. Fadeuilhe
; AJ contrat 2019. 307, obs. C.-É. Bucher
; Dr. soc. 2019. 456, étude D. Asquinazi-Bailleux
; RDT 2019. 340, obs. G. Pignarre
; RDSS 2019. 539, note C. Willmann
; Soc. 13 oct. 2021, nos 20-16.258 et 20-16.599). Sur un fondement identique, la chambre sociale a poursuivi le mouvement en admettant une réparation de ce préjudice au bénéfice de tous les salariés exposés à des substances toxiques ou nocives et suscitant les mêmes risques de dommages (Soc. 11 sept. 2019, n° 17-24.879 [mineurs de charbon], Dalloz actualité, 18 sept. 2019, obs. L. de Montvalon ; D. 2019. 1765
; ibid. 2058, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
; ibid. 2020. 558, chron. A. David, A. Prache, M.-P. Lanoue et T. Silhol
; AJ pénal 2019. 558, obs. C. Lacroix
; Dr. soc. 2020. 58, étude X. Aumeran
; RTD civ. 2019. 873, obs. P. Jourdain
; sur lequel L. Bloch, Le « désamiantage » du préjudice d’anxiété par la chambre sociale, RCA 2019. Étude 11 ; v. pour une exposition au benzène, Soc. 13 oct. 2021, n° 20-16.584, D. 2022. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; ibid. 1934, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
).
En droit civil, sur le fondement de l’ancien article 1382, devenu 1240 du code civil, la Cour de cassation a admis l’indemnisation spécifique au titre du préjudice d’anxiété – compris comme l’angoisse née du risque de développer une pathologie grave – à l’égard des victimes de produits de santé, plus précisément pour les personnes ayant été exposées aux effets nocifs du DES, retenant la responsabilité des laboratoires fabricants du médicament (diéthylstilbestrol, ou Distilbène, Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 15-16.282, D. 2017. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
; et surtout, Civ. 1re, 5 juin 2019, n° 18-16.236, RTD civ. 2020. 113, obs. P. Jourdain
; ibid. 115, obs. P. Jourdain
; 18 oct. 2023, n° 22-11.492, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. N. Allix ; D. 2023. 1855
; ibid. 2024. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
; RTD civ. 2024. 117, obs. P. Jourdain
), après avoir reconnu l’existence du « préjudice moral » constitué par cette angoisse (Civ. 1re, 2 juill. 2014, n° 10-19.206, D. 2014. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
).
Dans toutes ces hypothèses, le préjudice d’anxiété est réparé de manière autonome. Il doit être distingué, par exemple, des « souffrances endurées » ou du « déficit fonctionnel permanent », lesquels réparent non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques et les troubles dans les conditions d’existence, mais également les souffrances morales, passées ou actuelles, comme l’angoisse découlant des pathologies ou des troubles physiologiques. Mais il s’agit là de dommages réalisés. Ce qui justifie l’autonomie du préjudice d’anxiété, c’est qu’il permet, quant à lui, l’indemnisation de la crainte, présente et sérieuse, de développer dans le futur des pathologies aux conséquences graves, ou qui impliquent un suivi régulier. Il y a donc un risque de dommage, qui ne s’est pas réalisé, mais qui a d’ores et déjà des répercussions : il génère une angoisse, en elle-même réparable.
C’est donc à une poursuite de ce mouvement de reconnaissance que l’on doit s’attendre, au bénéfice de victimes, contractantes (comme l’étaient les salariés exposés à l’amiante) ou non (comme les personnes exposées au DES), et ayant subi, du fait d’une défaillance contractuelle ou non, une exposition à un risque élevé de développer une maladie grave. À ce titre, la survenance de catastrophes, particulièrement les catastrophes sanitaires – comme celle qui est intervenue à Mayotte il y a quelques semaines – semble un terrain d’élection tout à fait propice à la reconnaissance des préjudices d’anxiété (A. Guégan, préf. P. Jourdain, Dommages de masse et responsabilité civile, thèse, LGDJ, 2006, nos 95 s.).
La définition retenue dans l’arrêt commenté soumet toutefois la reconnaissance du préjudice d’anxiété à certaines conditions. La Cour de cassation n’entend pas indemniser la seule exposition à un risque de dommage : constitue un préjudice indemnisable « l’anxiété résultant de l’exposition ». La victime doit donc ressentir un trouble psychique, une angoisse, née de cette exposition, cette exigence étant régulièrement rappelée à propos de l’établissement du préjudice d’anxiété des travailleurs exposés à des substances toxiques (v. not., Soc. 13 oct. 2021, n° 20-16.584, préc., et n° 20-16.585, D. 2021. 1926
; ibid. 2022. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; le préjudice d’anxiété « qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu’engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés »).
Par ailleurs, le risque dont il est question est celui de subir un dommage corporel, plus précisément de « développer une pathologie grave ». Celle-ci peut être purement psychique, même sans atteinte physique, la pratique judiciaire et médico-légale englobant ces atteintes psychiques dans le dommage corporel. Le préjudice d’anxiété se singularise d’autres préjudices d’angoisse subis par des victimes menacées de risques de dommage ne se rapportant pas à la maladie (et indemnisés sur le fondement des troubles du voisinage, Civ. 2e, 10 juin 2004, n° 03-10.434, D. 2004. 2477
; ibid. 2005. 185, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud
; RDI 2004. 348, obs. F. G. Trébulle
; RTD civ. 2004. 738, obs. P. Jourdain
[menace d’impacts de balles de golf] ; 24 févr. 2005, n° 04-10.362, Brami c/ Duchon, AJDI 2005. 593
, obs. S. Prigent
[menace d’incendie] ; Civ. 3e, 24 avr. 2013, n° 10-28.344, D. 2013. 2123, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin
; AJDI 2013. 702
[menace d’effondrement] ; 10 déc. 2014, n° 12-26.361 [menace de chutes d’arbres], Dalloz actualité, 12 janv. 2015, obs. N. Le Rudulier ; D. 2015. 362
, note J. Dubarry et C. Dubois
; ibid. 1863, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin
; RTD civ. 2015. 134, obs. H. Barbier
; ibid. 177, obs. W. Dross
; ibid. 399, obs. P. Jourdain
). En revanche, la définition retenue dans l’arrêt commenté correspond bien à l’idée d’arrêts plus anciens, ayant autorisé la réparation de préjudices d’angoisse, alors qualifiés de « moraux » (par ex., Civ. 1re, 19 déc. 2006, n° 06-11.133, crainte ressentie à la pose d’une sonde cardiaque défectueuse de subir d’autres atteintes graves). Pour des questions de politique juridique, et aussi parce qu’à défaut un préjudice semble plus difficilement concevable, l’anxiété n’est indemnisée que pour les risques de déclaration de maladies présentant un certain degré de « gravité », ou générant une obligation de subir des contrôles et examens réguliers, propres à raviver constamment l’angoisse (Soc. 11 mai 2010, n° 09-42.241, préc.).
Enfin, le risque de dommage dont il est question doit être « élevé », ce qui s’entend d’un risque « avéré » ou « certain » – qui ne fait pas de doute, et dont les probabilités de réalisation sont elles-mêmes importantes. S’il est admis en effet qu’un risque de dommage peut provoquer, entre autres, un dommage moral indemnisable, cela « ne se justifie pleinement que si le risque de dommage est certain » (P. le Tourneau [dir.], Droit de la responsabilité civile et des contrats. Régimes d’indemnisation, 12e éd., Dalloz Action, 2020, p. 573, n° 2123.74). Par exemple, ne saurait ainsi constituer un préjudice d’anxiété « l’hypothétique risque sanitaire que fait craindre l’implantation d’une antenne relais à proximité de lieux habités » (ibidem), ayant pourtant été reconnu comme constituant un trouble du voisinage il y a quelques années (G. Viney, Le contentieux des antennes relais, D. 2013. 1489
).
Sur la preuve du préjudice d’anxiété
Dans chaque espèce, les juges du fond apprécient souverainement, comme il est ici rappelé, la réalité du préjudice d’anxiété, en considération des éléments de preuve apportés par les parties. Mais la tâche probatoire imposée aux victimes qui cherchent à obtenir l’indemnisation de ce préjudice à la fois subjectif et portant sur un risque de dommage est inégale, et souvent extrêmement difficile.
Certaines victimes voient leur tâche facilitée par l’admission de présomptions. En droit social, pour les salariés de l’amiante éligibles à l’ACAATA, le préjudice est tout simplement présumé (Soc. 11 mai 2010, n° 09-42.241, préc.). En effet, lorsque le salarié démontre avoir travaillé dans un établissement concerné, il bénéficie alors d’une triple présomption, d’exposition au risque de dommage – qui résulte du classement de l’établissement par l’arrêté –, de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et du préjudice d’anxiété qui en résulte.
En revanche, pour les autres travailleurs de l’amiante et les salariés exposés à une substance nocive ou toxique, la tâche probatoire est autrement plus délicate, la Cour de cassation exigeant que la victime prouve qu’elle a personnellement subi ce préjudice, en attestant de son anxiété, donnée éminemment psychologique et subjective, mais encore que ce préjudice résulte d’une exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave, ce qui est également épineux, quoique plus objectif (Cass., ass. plén., 5 avr. 2019, préc. ; Soc. 11 sept. 2019, préc.).
Ne suffisent donc pas à prouver le préjudice la remise d’une simple attestation d’exposition à l’amiante par l’employeur (Soc. 13 oct. 2021, n° 20-16.585, préc.), la production de pièces médicales et de sécurité sociale à caractère général décrivant les atteintes subies par les salariés après exposition à l’amiante (Soc. 29 mars 2023, n° 21-13.988), ou encore des attestations médicales n’étant pas le fruit de constatations personnelles du médecin (Soc. 4 sept. 2024, n° 22-20.917, D. 2024. 1529
; RDT 2024. 673, chron. J. Brunie
; ibid. 682, chron. A. Philippon
). En revanche, une cour d’appel ayant constaté que le salarié produisait des attestations de proches faisant état de crises d’angoisse régulières, de peur de se soumettre aux examens médicaux, d’insomnies et d’un état anxio-dépressif, a pu en déduire que l’existence d’un préjudice personnellement subi était avérée (Soc. 15 déc. 2021, n° 20-11.046, Dalloz actualité, 28 janv. 2022, obs. C. Couëdel ; D. 2022. 19
; ibid. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
).
Face aux difficultés rencontrées par les victimes, une doctrine autorisée a défendu l’idée d’une présomption de préjudice bénéficiant à ceux ayant établi leur exposition à une substance hautement toxique (v. not., M. Bacache, Le préjudice d’anxiété lié à l’amiante : une victoire en demi-teinte, JCP 2019. 508).
C’est précisément une telle présomption qu’a semblé admettre, en droit civil, la Cour de cassation à propos des victimes exposées au DES, déduisant l’existence du préjudice d’anxiété de la seule exposition « au DES et aux risques qui en découlent » (Civ. 1re, 18 oct. 2023, n° 22-11.492, préc.). Comme le souligne M. Jourdain, « la solution peut s’expliquer dès lors qu’il est médicalement acquis que l’exposition au DES crée des risques de pathologies graves » (obs. préc.). Ainsi, l’angoisse peut être présumée dans la mesure où les victimes ont de manière certaine connaissance des risques, en raison du suivi médical qui leur est imposé. La preuve de leur exposition au risque pourrait ainsi suffire. Mais, ce qui vaut pour les victimes exposées au DES ne vaut pas systématiquement dans d’autres situations d’exposition à un risque, les juges du fond gardant une grande liberté d’appréciation des éléments de faits et de preuve qui leur sont soumis, notamment quant à l’établissement de présomptions de fait (v. en ce sens, P. Jourdain, obs. préc.).
Pour en revenir à la situation de Mayotte, il est établi que la consommation d’eau non salubre sur l’île expose les Mahorais à des risques élevés de contracter des pathologies graves (hépatite A, fièvre typhoïde et diphtérie…). Les problèmes sanitaires liés à l’accès à l’eau sont connus, médicalement avérés, la catastrophe récente en apportant une dramatique confirmation. Suivant un raisonnement identique à celui de la Cour de cassation (Civ. 1re, 18 oct. 2023, préc.), les risques d’une telle consommation étant connus, il n’est pas impossible que certains juges du fond présument ainsi le préjudice d’anxiété au bénéfice de personnes consommatrices d’une eau de mauvaise qualité. Mais pour qu’une telle présomption puisse être établie, il est nécessaire de constater à chaque fois concrètement l’exposition des requérants à une eau non salubre susceptible de créer de tels dommages, ce qui au demeurant ne semblait pas s’évincer des circonstances de la cause, dans l’espèce commentée.
Civ. 1re, 18 déc. 2024, FS-B, n° 24-14.750
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