Pour la première fois de l’histoire, le CSM sanctionne un magistrat sur saisine directe
Depuis 2011, un justiciable peut saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Sur près de 4 000 saisines examinées à ce jour par la Commission d’admission des requêtes (CAR), celle-ci était seulement la neuvième à passer ce filtre, ce qui en fait donc moins d’une par an en moyenne. Et c’est la toute première à aboutir à une sanction disciplinaire.
La formation « siège » du CSM se penchait sur le cas d’un magistrat instructeur, qui avait hérité à sa prise de poste en septembre 2019 d’une information judiciaire ECO-FI que son prédécesseur était en passe de clôturer, et qui, pourtant, n’avait toujours pas rendu d’ordonnance de règlement près de trois ans plus tard, en juin 2022, lors de son départ en détachement (à l’ENM, comprend-on à la lecture attentive de la décision). On ne connaît pas tous les détails et les rebondissements, mais on peut subodorer que, puisque le prévenu n’était plus provisoirement détenu au moment de l’avis de fin d’information, le précédent juge d’instruction n’avait tout bêtement pas été en mesure de rendre son ordonnance de règlement à temps pour une question de délais de procédure (C. pr. pén., art. 175). Quant au magistrat disciplinairement poursuivi, il a indiqué à l’audience de mai dernier qu’il « ne partageait pas l’avis du parquet dans ce dossier et qu’il lui incombait, en conséquence, de motiver avec une particulière attention l’ordonnance de règlement » dans cette procédure « constituée de trente-trois tomes », ce qui « nécessiterait plusieurs semaines de travail ». Toujours est-il qu’il a écopé d’un blâme avec inscription au dossier, soit la sanction la plus basse (Ord. du 22 déc. 1958, art. 45). La décision précise au passage que l’ordonnance (en l’espèce, de renvoi) a finalement été rendue en 2023, mais aussi que le justiciable a parallèlement introduit une action (toujours pendante) en responsabilité de l’État, pour fonctionnement défectueux du service public de la justice.
On notera que la précédente saisine directe examinée par la formation (et qui était donc la 8e à passer sous les fourches caudines de la CAR) concernait elle aussi le manque de diligence d’un magistrat instructeur, et d’ailleurs pendant une durée comparable (33 mois, contre 34). Elle n’avait pourtant abouti à aucune sanction, la formation disciplinaire ayant relevé que l’inaction devait être appréciée « non seulement au regard de la procédure dans son ensemble mais aussi au regard des conditions de travail et des moyens », avant de pointer un certain nombre de « contraintes structurelles et conjoncturelles » (Dalloz actualité, 13 mai 2022, obs. P.-A. Souchard). La décision de la semaine dernière reprend d’ailleurs le même raisonnement sous la forme d’une sorte d’attendu de principe, lequel précise également que le magistrat aurait dû alerter « le cas échéant sa hiérarchie sur les obstacles rencontrés ». Par ailleurs, cette même décision est parsemée de détails (à commencer par le nom complet de la « section », ou plus exactement du service) qui permettent on ne peut plus aisément de reconnaître le Tribunal judiciaire de Paris, alors que le magistrat de la précédente saisine directe officiait à Avignon (Vaucluse). Or, même si comparaison n’est évidemment pas raison, dans la cité des Papes, en 2012, il n’y avait que quatre juges d’instruction, à la suite du suicide de la cinquième ; dans la capitale, en 2019, selon les ordonnances de roulement de l’époque, ce seul service en comptait dix, dont la moitié de vice-présidents (et la juridiction comptait 80 magistrats instructeurs en tout). Avec, par conséquent, une coordination et un suivi vraisemblablement plus « serrés » qu’ailleurs.
C’est justement un autre point sur lequel insiste la décision. Elle rappelle en effet que, plusieurs mois en amont du détachement du magistrat, la présidente de la chambre de l’instruction avait « expressément invité » ce dernier à rendre une ordonnance de règlement dans ce dossier (ainsi qu’un second), ce qu’il s’était engagé à faire à deux reprises : « Dès lors », ont estimé les membres de la formation disciplinaire, « en s’abstenant de rendre l’ordonnance de clôture […] en dépit des alertes de sa hiérarchie comme des objectifs fixés par celle-ci et de ses propres engagements, réitérés à plusieurs reprises, M. X. a gravement manqué à son devoir de diligence ». D’autant que, précise la décision, le magistrat avait été saisi « d’un peu moins de dossiers que ses collègues afin de ne pas obérer la situation de son cabinet ». De ces atermoiements, le CSM déduit par la même occasion un manquement « manifeste » du magistrat à ses devoirs de loyauté à l’égard de sa hiérarchie, mais aussi de délicatesse à l’égard du justiciable. Sur le premier de ces deux points, la décision reproduit au passage une notation au vitriol par la présidente de la chambre de l’instruction, dont il ressort que le magistrat a « démontré, d’une part, qu’il était incapable de gérer avec méthode un cabinet et de faire preuve de diligence notamment dans les dossiers dont il a hérité à sa prise de fonction et, d’autre part, d’être franc et loyal à mon égard puisqu’il m’a menti sur toutes ces dernières semaines ». D’un point de vue strictement statistique, qui vaut ce qu’il vaut, on peut désormais se donner rendez-vous dans un peu plus d’un an pour l’examen de la prochaine saisine directe.
© Lefebvre Dalloz