Précision quant aux mécanismes de transaction de l’administration fiscale

Le nouveau dispositif de transaction fiscale prévue à l’article L. 228, I, du code des procédures fiscales peut avoir de lourdes conséquences. La chambre criminelle précise ainsi que le juge pénal est contraint de tirer toutes les conséquences du rejet d’une déclaration rectificative par l’administration fiscale, laquelle déclaration est inopérante face à l’obligation de dénonciation au procureur des situations visées par ce texte.

S’il existe bien un sujet central en droit pénal fiscal, c’est celui de la sécurité juridique. Souvent critiquée, la rédaction des textes fiscaux et l’interprétation qu’en font les juges rendent la matière difficilement prévisible. Or, il est heureux de constater que depuis la levée du verrou de Bercy, la chambre criminelle est capable d’une grande pédagogie. L’arrêt rendu par elle le 23 mai 2024 s’inscrit parfaitement dans cette dynamique et est d’importance puisqu’il traite d’une question inédite, celle de l’articulation entre les procédures de transaction fiscale et de la dénonciation au pénal.

Les faits se sont déroulés en plusieurs actes. Le 23 février 2017, des contribuables ont informé l’administration fiscale de leur intention de régulariser des avoirs détenus sur un compte suisse. Le 16 juillet 2017, ils ont soumis une déclaration rectificative pour l’année 2016. Le 2 août 2017, ils ont transmis un dossier de régularisation fiscale pour les années 2014 et 2015, précisant que les fonds provenaient de prestations informatiques facturées par une société américaine dirigée par l’un d’eux. Le 12 janvier 2018, l’administration fiscale a rejeté la déclaration rectificative initiale et a initié un examen de leur situation fiscale personnelle pour 2015 et 2016. À la suite de ces contrôles, l’administration leur a adressé des propositions de rectification concernant l’impôt sur le revenu et la TVA. Le 14 janvier 2020, l’administration fiscale a dénoncé au procureur de la République des faits de fraude fiscale pour les années 2011 à 2016 en utilisant les informations apportées spontanément lors de la déclaration. Consécutivement à cette dénonciation, le dirigeant a été poursuivi pour fraude fiscale et dissimulation de revenus. Or, le 26 novembre 2021, le tribunal correctionnel a annulé la procédure pénale pour vice de forme et ordonné la restitution des biens saisis. Le procureur de la République et l’administration fiscale ont interjeté appel du jugement.

Le 8 décembre 2022, la Cour d’appel de Versailles a rendu une décision abondant dans le sens des juges de première instance. Constatant le caractère spontané de la déclaration initiale, la cour soutient que cette spontanéité s’oppose à ce que l’administration fiscale dénonce les irrégularités décelées au parquet. Relevant ensuite que l’entière procédure trouve son origine dans la dénonciation litigieuse, elle confirme la nullité de la dénonciation et, par voie de conséquence, celle de la procédure pénale subséquente. Le procureur de la République et l’administration fiscale ont alors formé deux pourvois en cassation qui ont été assemblés. Ils arguaient principalement que le rejet de la déclaration rectificative initiale et les mesures de contrôle diligentées par l’administration s’opposeraient au caractère spontané sur lequel la cour d’appel a basé son raisonnement.

Au terme d’un remarquable attendu, la chambre criminelle casse la décision rendue par la Cour d’appel de Versailles, au visa de l’article L. 228, I, du code des procédures fiscales. Cependant, plutôt que de rejeter le caractère spontané de la déclaration, elle rend cette déclaration inopérante en précisant que la transaction avec l’administration fiscale est une procédure d’exception au principe de dénonciation. Elle conteste au juge pénal le pouvoir d’apprécier, à la place du juge fiscal, la régularité de la procédure de transaction.

L’effet du rejet de la déclaration rectificative sur la dénonciation au pénal

Dans cet arrêt, la chambre criminelle opte pour une position franche en affirmant que « l’exonération des poursuites pénales dont peut bénéficier le contribuable qui a déposé spontanément une déclaration rectificative constitue une exception au mécanisme de dénonciation obligatoire qui doit être appréciée strictement ». Elle établit ainsi clairement une hiérarchisation dans le dispositif de l’article L. 228, I, du code des procédures fiscales. L’article en question prévoit, d’une part, que « l’administration est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle prévu à l’article L. 10 qui ont conduit à l’application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 € ». Il énonce, d’autre part, que « les dispositions du présent I ne sont pas applicables aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative ». En l’espèce, le dossier de rectification soumis par les contribuables a révélé des manquements supplémentaires à ceux qu’ils souhaitaient régulariser. C’est sur cet aspect du dossier que la Cour fonde son raisonnement en précisant « qu’une déclaration rectificative spontanée qui a été rejetée par l’administration fiscale ne saurait faire échapper à la mise en œuvre d’une dénonciation obligatoire ». Ainsi, si le pourvoi insistait sur le fait que la mise en œuvre des pouvoirs de contrôle prévus à l’article L. 10 du livre des procédures fiscales avait fait perdre à la déclaration son caractère spontané, la chambre criminelle se contente de la rendre procéduralement inopérante. Ce faisant, elle introduit un principe clair selon lequel rien ne sert de régulariser spontanément si la régulation n’est pas parfaite.

Nous le disions en introduction de ce commentaire, il est louable que la chambre criminelle opte pour des positions tranchées tout en les accompagnant d’un attendu détaillé. Pour rappel, les travaux parlementaires sur la loi du 23 octobre 2018 portaient une attention particulière aux décisions rendues par le Conseil constitutionnel au sujet du principe non bis in idem en matière de fraude fiscale (Cons. const. 18 mars 2015, nos 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, Dalloz actualité, 20 mars 2015, obs. J. Lasserre Capdeville ; AJDA 2015. 1191, étude P. Idoux, S. Nicinski et E. Glaser ; D. 2015. 894, et les obs. , note A.-V. Le Fur et D. Schmidt ; ibid. 874, point de vue O. Décima ; ibid. 1506, obs. C. Mascala ; ibid. 1738, obs. J. Pradel ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2015. 172, étude C. Mauro ; ibid. 179, étude J. Bossan ; ibid. 182, étude J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2015. 380, note H. Matsopoulou ; RSC 2015. 374, obs. F. Stasiak ; ibid. 705, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2015. 317, obs. N. Rontchevsky ; et surtout, Cons. const. 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC, Dalloz actualité, 27 juin 2016, obs. J. Gallois ; D. 2016. 2442 , note O. Décima ; ibid. 1836, obs. C. Mascala ; ibid. 2017. 1328, obs. N. Jacquinot et R. Vaillant ; AJ pénal 2016. 430, obs. J. Lasserre Capdeville ; Constitutions 2016. 361, Décision ; ibid. 436, chron. C. Mandon ; RSC 2016. 524, obs. S. Detraz ). C’est en prenant acte de ces décisions que le législateur a instauré l’obligation de dénonciation. C’est également par respect pour ces décisions que les parlementaires ont porté une attention particulière quant au mode de saisine du parquet. Cela est d’ailleurs souligné par la Cour de cassation lorsqu’elle rappelle qu’« il ressort des travaux parlementaires que, par ces nouvelles dispositions, le législateur a entendu poursuivre un but de transparence et d’objectivité des critères de mise en œuvre des poursuites pénales et d’accroissement des prérogatives du ministère public ». Étant la première décision portant sur l’articulation pénale/fiscale du dispositif de transaction, il était nécessaire d’apporter une réponse claire pour ne pas dévoyer l’esprit de la loi.

Cependant, en établissant sans nuance qu’une déclaration rejetée est inopérante face à l’obligation de dénonciation pénale, la Cour risque de décourager les administrés de recourir à ce dispositif. En effet, certains dispositifs comme celui de mise en conformité des entreprises demandent de préparer des dossiers complexes. Si le bilan coût-avantage présente un degré d’incertitude (et donc un risque) trop important, le mécanisme risque d’être délaissé au profit de la dissimulation. Cela est d’autant plus vrai que la Haute juridiction maintient le principe d’imperméabilité entre les procédures pénale et fiscale.

Le pouvoir limité du juge pénal face au rejet de la déclaration rectificative

Là encore, l’attendu de la chambre criminelle est limpide lorsqu’elle retient qu’« il n’appartient pas au juge pénal d’apprécier la validité de ce rejet [celui de la déclaration rectificative spontanée] qui relève du contrôle du juge de l’impôt ».

Cette position n’est pas vraiment surprenante puisque depuis la levée du verrou de Bercy, la chambre criminelle a tenu au maintien du principe d’imperméabilité des procédures pénale et fiscale. Pour rappel, ce principe prévoit que même lorsqu’une procédure pénale est la conséquence directe de la procédure fiscale, il existe une frontière clairement définie entre elles. Ainsi, mis à part deux exceptions concernant l’assistance de l’avocat et l’absence de débat oral et contradictoire, il est de jurisprudence constante que les irrégularités fiscales n’ont pas d’incidence sur la procédure pénale (Crim. 18 nov. 1976, n° 75-92.805 P ; BOI-CF-INF-40-10-10-40-20120912, n° 190 ; Crim. 30 juin 2010 n° 09-81.674). D’ailleurs, la chambre criminelle s’était déjà exprimée au sujet du dispositif de dénonciation en soutenant qu’une irrégularité « lors de la dénonciation des faits de fraude fiscale au procureur de la République par l’administration fiscale ne constitue pas une cause de nullité [de la procédure pénale] » (Crim. 13 sept. 2023, n° 22-82.288 F-B, Dalloz actualité, 6 oct. 2023, obs. N. Monnerie ; AJ pénal 2023. 467 et les obs. ). Par cette nouvelle décision, la Cour apporte également une information importante : la transaction fiscale n’est pas une forme de repentir actif. En effet, moins qu’une nouvelle cause d’exonération, la déclaration spontanée apparaît plutôt comme un mécanisme procédural au sens de ce que pourrait être une convention judiciaire d’intérêt public.

Encore une fois, sur le fond, cette partie de la décision n’est pas sujette à critique. Il est même louable que la Cour maintienne une forme de cohérence entre les différents aspects de la procédure de dénonciation. De la même façon, il est légitime de cantonner l’office du juge pénal à la caractérisation de l’infraction. C’est ce que fait la Cour lorsqu’elle précise qu’il ne lui appartient pas d’apprécier la validité du rejet ; il ne peut alors qu’en tirer les conséquences.

Toutefois, cela renforce l’avertissement transmis aux contribuables quant aux risques potentiels d’une régularisation spontanée. En effet, si le juge pénal ne peut que tirer conséquence du rejet, cela signifie que tout l’enjeu pour le contribuable repose sur la décision de soumettre ou non une déclaration rectificative. L’avenir montrera peut-être que le propos doit être nuancé si le juge pénal en première instance tient compte de cette déclaration spontanée au titre des peines.

 

Crim. 23 mai 2024, FS-B, n° 23-80.025

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