Précision sur la confiscation d’un bien acquis par l’effet d’une clause de réserve de propriété
La circonstance que la propriété d’un bien a été retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété contenue dans un contrat de vente, qui suspend l’effet translatif de la convention jusqu’à la complète exécution de l’obligation qui en constitue la contrepartie, n’est pas de nature à en interdire la confiscation.
 
                            En l’espèce, un individu est condamné, pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique et conduite d’un véhicule malgré la suspension de son permis de conduire, à la peine de deux mois d’emprisonnement et à la confiscation du véhicule dont il avait fait acquisition auprès d’une société, par un acte contenant une clause de réserve de propriété avec subrogation au profit d’un organisme de crédit. Saisie de l’appel de ce jugement, la Cour d’appel de Basse-Terre confirme la peine de confiscation prononcée en première instance. L’intéressé forme alors un pourvoi contre cette décision, au soutien duquel il critique la peine de confiscation prononcée sur le fondement des articles L. 224-16 et L. 234-12 du code de la route, qui ne permettent la confiscation du véhicule qui a servi à commettre l’infraction qu’à la condition que le prévenu en soit le propriétaire. Or, il ne s’estime pas bénéficier de cette qualité, en raison d’une clause de réserve de propriété convenue avec l’organisme de crédit, qui lui a accordé un prêt pour le financement dudit véhicule.
Commenter l’arrêt rendu par la Cour de cassation impose donc, en amont de toute explication sur la confiscation d’un véhicule acquis au moyen d’une telle sûreté, de revenir sur sa définition et ses enjeux en droit pénal.
La définition civile et les enjeux pénaux de la clause de réserve de propriété
Lors d’une vente, l’effet translatif de propriété intervient dès la rencontre des volontés des parties sur la chose et son prix, quand bien même celle-ci n’aurait pas été livrée, ou le prix encore payé (C. civ., art. 1583). A cet égard, la vente peut comprendre une clause de réserve de propriété, qui permet à l’acheteur de jouir du bien avant le paiement total de sa dette, et au créancier de « retenir la propriété d’un bien à titre de garantie [et] à défaut de complet paiement à l’échéance, de se faire restituer le bien et d’en disposer » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2024, v° Réserve de propriété – Clause, p. 922). En d’autres termes, bien qu’elle ne remette pas en cause le caractère ferme et définitif de la vente intervenue dès l’accord des parties sur la chose et sur le prix, cette sûreté conduit au report de l’effet translatif de propriété jusqu’au complet paiement du prix (Com. 17 oct. 2018, n° 17-14.986, Dalloz actualité, 9 nov. 2018, obs. Y. Blandin ; D. 2018. 2086  ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki
 ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki  ; AJ contrat 2018. 524
 ; AJ contrat 2018. 524  , obs. P. Delebecque
, obs. P. Delebecque  ; Rev. sociétés 2019. 220, obs. F. Reille
 ; Rev. sociétés 2019. 220, obs. F. Reille  ).
).
Ainsi, si la chose est un immeuble, le vendeur demeure son propriétaire jusqu’à l’acte notarié, de sorte qu’il doit supporter le risque de perte de la chose jusqu’à cette date (Civ. 3e, 13 nov. 1997, n° 95-20.411, Mme Sermonne c/ Epx Sagrafena, AJDI 1998. 727  ; ibid. 728, obs. G. Teilliais
 ; ibid. 728, obs. G. Teilliais  ).
).
Cette sûreté présente une difficulté toute particulière pour l’appréhension de certaines infractions pénales (telles que le vol), en témoigne deux arrêts rendus par la chambre criminelle à presque deux décennies d’intervalle (v. not., Rép. pén., v° Vol – Vol simple : ses composantes, par A. Mihman, nos 81 s.). Par un premier arrêt du 11 octobre 1990, la Cour de cassation avait conclu que « la vente d’un bien mobilier, assortie d’une clause de réserve de propriété, s’accompagne d’une remise volontaire de la chose exclusive de toute appréhension frauduleuse du bien par l’acquéreur, même en cas de résolution du contrat » (Crim. 11 oct. 1990, n° 89-84.474 P, Fiat Allis France (Sté) c/ Lasbats, D. 1991. 234  , note M.-A. Péano
, note M.-A. Péano  ; ibid. 272, obs. G. Azibert
 ; ibid. 272, obs. G. Azibert  ; RSC 1991. 765, obs. P. Bouzat
 ; RSC 1991. 765, obs. P. Bouzat  ; RTD com. 1991. 474, obs. P. Bouzat
 ; RTD com. 1991. 474, obs. P. Bouzat  ). En d’autres termes, l’acheteur qui ne paie pas le bien et refuse de le rendre malgré une clause de réserve de propriété ne commet pas un vol, mais le vendeur qui récupère ce bien par la contrainte en commet un (Toulouse, 5 mai 1999). À l’occasion d’un second arrêt du 27 octobre 2009 (Crim. 27 oct. 2009, n° 09-81.345), la Cour de cassation rejetait l’argumentation selon laquelle « le vendeur qui reprend de force la chose vendue commet un vol », car la cour d’appel s’était abstenue « de s’expliquer sur l’effet de la clause de réserve de propriété dont elle [avait] constaté l’existence ». À l’occasion de l’arrêt à l’étude, la Cour de cassation ne résout pas le problème ci-exposé, mais se propose d’en solutionner un autre, jusque-là jamais étudié, à propos de la confiscation d’un bien acquis au moyen de cette sûreté.
). En d’autres termes, l’acheteur qui ne paie pas le bien et refuse de le rendre malgré une clause de réserve de propriété ne commet pas un vol, mais le vendeur qui récupère ce bien par la contrainte en commet un (Toulouse, 5 mai 1999). À l’occasion d’un second arrêt du 27 octobre 2009 (Crim. 27 oct. 2009, n° 09-81.345), la Cour de cassation rejetait l’argumentation selon laquelle « le vendeur qui reprend de force la chose vendue commet un vol », car la cour d’appel s’était abstenue « de s’expliquer sur l’effet de la clause de réserve de propriété dont elle [avait] constaté l’existence ». À l’occasion de l’arrêt à l’étude, la Cour de cassation ne résout pas le problème ci-exposé, mais se propose d’en solutionner un autre, jusque-là jamais étudié, à propos de la confiscation d’un bien acquis au moyen de cette sûreté.
La confiscation d’un bien en présence d’une clause de réserve de propriété
En l’espèce, le demandeur au pourvoi a été condamné à la confiscation du véhicule acquis au moyen de la clause de réserve de propriété. Pour y échapper, il critiquait le fait que la cour d’appel n’ait pas précisé le fondement de la confiscation (§ 12 de la présente décision). Soulever cet argument est judicieux, car si la confiscation porte sur l’article L. 234-2 I, 8°, du code de la route, « La confiscation du véhicule dont le condamné s’est servi pour commettre l’infraction [n’est possible que] s’il en est le propriétaire ». Par opportunité, il soutenait donc, en présence de cette sûreté réelle et mobilière, ne pas être le propriétaire de la chose, car il n’avait pas exécuté totalement son obligation de paiement du prix intégral de la dette.
Le raisonnement de la Cour de cassation se veut très clair en l’espèce, à la différence de celui soutenu s’agissant de l’imputation de l’infraction de vol. En effet, « la circonstance que la propriété d’un bien a été retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété contenue dans un contrat de vente, qui suspend l’effet translatif de la convention jusqu’à la complète exécution de l’obligation qui en constitue la contrepartie, n’est pas de nature à en interdire la confiscation » (§ 13). Cela s’explique par le fait que cette clause ne remet pas en cause le caractère définitif de la vente (Com. 17 oct. 2018, n° 17-14.986, préc.), mais « aménage » seulement le « moment » du transfert de propriété (§ 14). De la sorte, même si la clause de réserve de propriété n’est pas neutralisée, le bien peut être confisqué, à charge pour l’État, tiers à la vente, d’assurer la protection du créancier (§ 15).
Cette mise en balance (selon nous justifiée) des effets de la clause de réserve de propriété et de l’exécution de la peine de confiscation, en raison de la répression impérative de la commission d’infractions, renvoie opportunément à la question de la protection du créancier, c’est-à-dire du vendeur du véhicule. Ici aussi, la Cour de cassation apporte d’utiles indications (§§ 15-16). En effet, « la chose confisquée est, sauf disposition particulière prévoyant sa destruction ou son attribution, dévolue à l’État, mais elle demeure grevée, à concurrence de sa valeur, des droits réels licitement constitués au profit de tiers » (C. pén., art. 131-21, al. 10). De la sorte, même si la chose confisquée est détenue par l’État, la clause de réserve de propriété reste opposable jusqu’à la complète exécution de l’obligation de l’acquéreur d’en payer le prix (§ 14). Si le condamné ne satisfait pas à cette obligation, la Cour de cassation nous apprend que le bénéficiaire (c’est-à-dire le vendeur) pourra la mettre en œuvre, et donc demander la restitution du bien ou de sa valeur liquidative à l’État, qui n’en est que le débiteur subrogé (§ 15).
Si cette solution mérite d’être saluée, elle laisse toutefois perplexe quant à son effet sur la clause de réserve de propriété. Bien qu’elle ne soit pas neutralisée par la confiscation, le droit pénal procède tout de même à une certaine minoration de la protection du bénéficiaire de la clause lors de la confiscation. En effet, la garantie consiste, pour le vendeur du véhicule, à se voir restituer le bien dont il a gardé la propriété. Or, le bien lui-même n’équivaut pas à sa « valeur liquidative », d’autant plus si elle est inférieure à celle du total de la créance garantie. À cet égard, la Cour de cassation reste silencieuse et se contente, au contraire, de préciser que « lorsque la valeur du bien repris excède le montant de la créance garantie encore exigible, le créancier doit à l’État une somme égale à la différence » (§ 16). S’il faut donc se féliciter de la protection offerte au bénéficiaire de la clause, certaines questions demeurent sans réponse.
Crim. 28 févr. 2024, FS-B, n° 22-86.392
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