Précision sur la faute de l’établissement bancaire prêteur de deniers en matière de crédits affectés
Dans un arrêt rendu le 10 juillet 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler les contours de la notion de faute du prêteur de deniers dans le contentieux des crédits affectés.
Le droit de la consommation continue d’alimenter régulièrement les pourvois reçus par la première chambre civile de la Cour de cassation. Ces derniers mois ont été notamment marqués par divers arrêts portant sur le regroupement de crédits (Civ. 1re, 19 juin 2024, n° 22-10.300 F-B, Dalloz actualité, 26 juin 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1229
), sur l’obligation d’information et de sécurité (Civ. 1re, 19 juin 2024, n° 21-19.972 F-B, Dalloz actualité, 26 juin 2024, obs. C. Hélaine) ou encore sur le prêt viager hypothécaire (Civ. 1re, 19 juin 2024, n° 22-20.533 FS-B, Dalloz actualité, 25 juin 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1229
).
La première chambre civile a rendu, en outre, le 10 juillet 2024 trois décisions intéressant le droit des crédits affectés. Plus précisément, ces solutions portent sur les conséquences de la nullité ou de la résolution dudit crédit quant au remboursement du capital prêté à l’emprunteur. La première concerne le rôle du lien causal entre la faute du banquier prêteur de deniers et le préjudice subi par l’emprunteur (Civ. 1re, 10 juill. 2024, n° 23-11.751, Dalloz actualité, 12 sept. 2024, obs. C. Hélaine, D. 2024. 1326
). La deuxième porte sur l’enchevêtrement de la liquidation judiciaire du vendeur dans la démonstration du rôle causal de la banque dans l’impossibilité pour le consommateur d’obtenir le remboursement des sommes encaissées par le vendeur devenu insolvable (Civ. 1re, 10 juill. 2024, n° 22-24.754, Dalloz actualité, 11 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1325
). La troisième se concentre, enfin, sur les contours de la démonstration de la faute commise par l’établissement bancaire. C’est l’arrêt que nous étudions aujourd’hui.
La situation ayant donné lieu au pourvoi débute, une fois encore, autour d’un contrat hors établissement conclu le 21 mars 2017 ayant pour objet la fourniture et l’installation d’un produit photovoltaïque, à savoir une centrale solaire. Ladite centrale est financée par un prêt souscrit le même jour auprès d’un établissement bancaire. Les emprunteurs deviennent défaillants et la banque les assigne donc en paiement. Ces derniers répliquent en assignant le vendeur en nullité du contrat de fourniture et d’installation de mars 2017. Entre temps, le vendeur est placé en liquidation judiciaire de sorte que le mandataire liquidateur est attrait à la procédure. En cause d’appel, le contrat principal d’installation et de fourniture est annulé, à l’instar du crédit affecté. Les juges du fond décident de condamner les emprunteurs à la restitution des sommes prêtées. Ils estiment, en effet, que la banque n’ayant commis aucune faute, il convient ainsi de procéder aux restitutions consécutives à l’annulation.
Les consommateurs se pourvoient en cassation en estimant qu’il existait pourtant bien une faute commise par l’établissement bancaire. Ils exposent, en effet, que la banque a délivré les fonds en se fiant seulement à une attestation de livraison qui n’était pas assez précise pour pouvoir rendre compte de la complexité de l’opération d’une part et de l’exécution complète du contrat d’autre part.
Le pourvoi aboutit dans l’arrêt du 10 juillet 2024 à une cassation pour violation de la loi. Nous allons examiner pourquoi une telle décision s’inscrit dans un sillage désormais connu.
Le rappel du contour de la faute commise par la banque
La première chambre civile doit davantage préciser sa motivation que dans le deuxième arrêt dédié à la même thématique des crédits affectés et rendu le même jour à l’orée de l’été (Civ. 1re, 10 juill. 2024, n° 23-11.751, préc.). Dans la décision étudiée aujourd’hui, le style de motivation est incontestablement sous la forme enrichie. Ce choix est immédiatement visible par le développement important de la justification de la solution dessinée dans l’arrêt, dépassant le seul mode de motivation développée. On note également le recours à la technique de la citation des précédents, fort sollicitée dans la décision.
Les premiers arrêts cités (pt n° 7) concernent le principe bien connu selon lequel la banque qui a versé les fonds sans s’être assurée de l’exécution complète du contrat principal peut se voir privée de sa créance de restitution du capital emprunté tant que l’emprunteur démontre qu’il a subi un préjudice en lien avec cette faute. Sont cités plusieurs arrêts dont la décision du 25 novembre 2020 commentée dans ces colonnes par le professeur Jean-Denis Pellier et par l’auteur du présent commentaire (Civ. 1re, 25 nov. 2020, n° 19-14.908, Dalloz actualité, 8 janv. 2021, obs. J.-D. Pellier ; ibid., 24 déc. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 887
, note M.-O. Barbaud
; ibid. 483, chron. X. Serrier, S. Robin-Raschel, S. Vitse, V. Le Gall, V. Champ, C. Dazzan, E. Buat-Ménard et C. Azar
; RTD com. 2021. 172, obs. D. Legeais
). Rien n’est ajouté spécifiquement par la première chambre civile à une ligne directrice désormais claire et fondant une jurisprudence que l’on peut qualifier de constante de nos jours.
Les autres arrêts utilisés dans la décision du 10 juillet 2024 (pt n° 8) concernent plus spécifiquement les contours de la faute du prêteur de deniers. C’est, encore plus précisément, la question de l’attestation de livraison qui pose difficulté. Cette dernière fait donc l’objet d’une attention particulière par la première chambre civile en lien direct avec l’argumentation développée par le premier moyen en sa première branche (pt n° 5 visant justement cette attestation). Sont donc cités des cas où une faute a pu être délimitée par le passé :
- la libération des fonds au vu d’une attestation insuffisamment précise sur la complexité de l’opération et empêchant le prêteur de s’assurer d’une exécution des prestations de mise en service dues par le vendeur ;
- la libération des fonds au vu d’une attestation qui ne ferait que de mentionner que les travaux terminés ne concernent pas les prestations de raccordement au réseau électrique ou n’exigent pas l’obtention de certaines autorisations administratives auxquelles le vendeur s’était pourtant engagé.
Cette technique de la citation des précédents montre à la fois des forces et des faiblesses dans l’arrêt du 10 juillet 2024. Au rang des avantages, on ne peut que constater une jurisprudence désormais bien établie sur la question. Sur les faiblesses, les arrêts voient leur portée généralisée sans que l’on puisse immédiatement identifier quelle solution porte sur quelle situation précise, les trois arrêts utilisés étant cités les uns à la suite des autres. Ce désavantage, fort mineur au demeurant, n’éclipse absolument pas l’intérêt de lier les décisions entre elles afin d’asseoir le caractère constant de la jurisprudence. Le style enrichi de motivation vient, incontestablement, faciliter ici la lecture de l’arrêt d’une personne non habituée à ce style de contentieux.
Reste donc à savoir ce qui posait difficulté quant à l’attestation de livraison dans l’arrêt d’appel pour que la cassation prononcée intervienne.
L’attestation et le raccordement au réseau ERDF
On apprend de l’arrêt rendu par la première chambre civile que le contrat conclu par le consommateur mentionnait « les démarches administratives et les frais de raccordement au réseau ERDF pris en charge à 100% » (pt n° 10). Difficile donc d’échapper à l’attraction de la jurisprudence rendue antérieurement. Les questions de raccordement au réseau ERDF et les démarches administratives en lien avec celui-ci font, en effet, partie de ces éléments importants, voire essentiels, qui doivent figurer sur l’attestation de livraison contrôlée par la banque pour débloquer les fonds. La libération des fonds est donc fautive quand il est simplement indiqué que les travaux ont été complètement réalisés dans un intervalle de temps très court eu égard au caractère complexe de l’opération (ici avec un raccordement au réseau électrique).
En l’espèce, rappelons que le contrat de vente avait été conclu le 21 mars 2017. L’attestation de livraison a été ensuite délivrée le 22 avril 2017 puis la facture finale a été dressée le 24 avril 2017. Voici, effectivement, une chronologie bien rapide pour tout ce qui avait été promis par le vendeur… surtout quand on sait qu’un raccordement ERDF peut prendre plusieurs semaines selon la complexité de l’opération ! Tout ceci aurait dû attirer l’attention de la banque selon le demandeur à la cassation, raisonnement qui trouve un certain écho dans la motivation suivie. L’attestation de livraison n’était donc pas suffisamment complète eu égard aux prestations contractuelles (pt n° 10) pour permettre une libération des fonds.
La Cour de cassation est, depuis maintenant une dizaine d’années au moins, particulièrement sévère avec les établissements bancaires concernant la faute commise dans le contexte des crédits affectés. Une telle faute est, disons-le, assez facilement mise en évidence, ce qui contraste très fortement avec l’exigence pesant sur l’emprunteur concernant la démonstration du lien causal entre ladite faute et la caractérisation d’un préjudice consécutif à celle-ci (Civ. 1re, 10 juill. 2024, n° 22-24.754, préc.).
Voici donc un arrêt fort intéressant. Sa rédaction au style enrichi permet d’asseoir la sévérité de la première chambre civile concernant la faute des établissements bancaires dans le déblocage des fonds en matière de crédits affectés quand l’attestation de livraison n’est pas assez précise. Prudence donc au moment de vérifier ce document pour les services juridiques concernés !
Civ. 1re, 10 juill. 2024, FS-B, n° 23-12.122
© Lefebvre Dalloz