Précision sur le champ de la garantie financière des opérateurs de voyages

Précision sur le champ de la garantie financière des opérateurs de voyages

La directive (UE) 2015/2302 du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, dite « directive Travel » (et avant elle, la dir. 90/314/CEE du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait à laquelle elle a succédé), impose aux organisateurs de voyages à forfait, c’est-à-dire aux tours opérateurs, en son article 17, de fournir « une garantie pour le remboursement de tous les paiements effectués par les voyageurs ou en leur nom dans la mesure où les services concernés ne sont pas exécutés en raison de l’insolvabilité des organisateurs ». […] Elle couvre les montants des paiements effectués par les voyageurs ou en leur nom en ce qui concerne les forfaits, compte tenu du laps de temps entre les paiements de l’acompte et du solde et l’exécution des forfaits, ainsi que les coûts estimés de rapatriement en cas d’insolvabilité de l’organisateur ». En droit français, ce texte a été transposé à l’article L. 211-18, II, 1°, du code du tourisme, qui oblige les agents de voyages et tour-opérateurs de souscrire une telle garantie, ainsi qu’une assurance de responsabilité civile professionnelle, comme condition de l’immatriculation sur le registre des opérateurs de voyages et de séjours tenu par Atout France, l’opérateur de l’État français en matière de tourisme.

C’est donc la défaillance de l’opérateur qui justifie le déclenchement de la garantie financière des agents de voyages, ainsi qu’elle est traditionnellement dénommée. Il est vrai que la mise en œuvre d’une garantie, quelle qu’elle soit, est toujours conditionnée à la défaillance, qu’elle qu’en soit la cause, du débiteur de l’obligation contractuelle (comp., C. civ., art. 2288, al. 1er, à propos du cautionnement défini comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci ».). La Cour de justice a, à cet égard, été amenée à préciser que la garantie s’applique même si « l’insolvabilité de l’organisateur du voyage est due au comportement frauduleux de celui-ci » (CJUE 16 févr. 2012, aff. C-134/11, Dalloz actualité, 19 mars 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 549 ; JT 2012, n° 144, p. 13, obs. X. D. ; RTD eur. 2013. 374, obs. L. Grard ). Il n’y a pas à distinguer là où la loi ne distingue pas.

La particularité des deux affaires qui viennent d’être soumises à la Cour de justice de l’Union européenne – et qui ont logiquement été traitées conjointement compte tenu de leur similitude – tient à ce qu’elles s’inscrivent dans le contexte de la crise sanitaire. En effet, en mars 2020, des voyageurs en Autriche (dans la 1re affaire) et en Belgique (dans la 2e) ont annulé leurs voyages à forfait vers, respectivement, la Grande Canarie et la République dominicaine, en raison de la pandémie de covid-19. Par la suite les juridictions nationales des tour-opérateurs ayant conçu ces voyages à forfait ont prononcé leur « faillite ». Les voyageurs concernés ont alors demandé aux assureurs des tour-opérateurs défaillants de leur rembourser les paiements effectués et qui ne leur avaient pas été remboursés. Les assureurs ont refusé d’effectuer ces remboursements au motif qu’ils assuraient uniquement l’absence de prestation de services de voyage en raison de l’insolvabilité des tours opérateurs. Or, dans les cas d’espèce, l’inexécution des voyages à forfait aurait été due à la résiliation par les voyageurs de leur contrat de voyage et non pas à l’insolvabilité des tours opérateurs. L’insolvabilité des tours opérateurs ne s’est produite qu’ultérieurement. À la suite de ces refus, les voyageurs ont saisi des juridictions, respectivement autrichienne et belge, aux fins de condamnation des assureurs. Ces juridictions ont sursis à statuer et demandé à la Cour de justice, par la voie préjudicielle, d’interpréter l’article 17 de la directive (UE) 2015/2302. Ils lui demandent, en substance, « si l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2015/2302 doit être interprété en ce sens que la garantie conférée aux voyageurs contre l’insolvabilité de l’organisateur de voyages à forfait s’applique lorsqu’un voyageur résilie son contrat de voyage à forfait en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables, en application de l’article 12, paragraphe 2, de cette directive, que, après cette résiliation, cet organisateur de voyages devient insolvable et que ce voyageur n’a pas bénéficié, avant la survenance de cette insolvabilité, du remboursement intégral des paiements effectués auquel il a droit en vertu de cette dernière disposition » (pt 53).

La Cour rappelle, à titre liminaire, l’article 12, paragraphe 2, de la directive (UE) 2015/2302 (transposé en droit français à l’art. L. 211-14, II, c. tourisme) confère au voyageur le droit au remboursement intégral des paiements effectués au titre du forfait lorsqu’il résilie son contrat de voyage à forfait avant le début du forfait en raison de « circonstances exceptionnelles et inévitables » survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci qui ont des conséquences importantes sur l’exécution de ce forfait ou sur le transport des passagers vers ce lieu de destination (pt 54). Elle poursuit qu’il n’est pas contesté, en l’occurrence, que les voyageurs qui sont à l’origine des litiges au principal pouvaient résilier leur contrat de voyage à forfait au titre de l’article 12, paragraphe 2, de la directive (UE) 2015/2302 en raison de la survenance et de la persistance de la pandémie de covid-19. Au passage, la Cour n’était pas invitée, dans le présent contentieux, à prendre position sur cette question très sensible, mais il semble qu’elle a déjà retenu que la propagation de l’épidémie de covid-19 puisse être considérée comme des « circonstances exceptionnelles et inévitables » au sens de cet article (CJUE 29 févr. 2024, aff. C-299/22, D. 2024. 422 ).

Puis la Cour considère que la garantie conférée aux voyageurs contre l’insolvabilité de l’organisateur de voyages à forfait s’applique aussi lorsqu’un voyageur annule le voyage en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et que, après cette résiliation, l’organisateur devient insolvable. Il n’y a, en effet, considère-t-elle, aucune raison de traiter différemment les voyageurs dont le voyage à forfait ne peut être exécuté en raison de l’insolvabilité de l’organisateur et les voyageurs qui ont annulé leur voyage à forfait, en application de l’article 12, paragraphe 2, de la directive (UE) 2015/2302, en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables. En particulier, la directive prévoit que le voyageur a droit au remboursement intégral des paiements effectués en cas d’annulation en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables. Ce droit serait privé de son effet utile si, lorsque l’insolvabilité de l’organisateur survient après cette annulation, la garantie contre une telle insolvabilité ne couvre pas les créances de remboursement correspondantes (pt 69). Le principe d’égalité de traitement, qui est un principe général du droit de l’Union, commande également une telle solution (pt 83).

Par conséquent, l’article 17, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/2302 doit être interprété en ce sens que « la garantie conférée aux voyageurs contre l’insolvabilité de l’organisateur de voyages à forfait s’applique lorsqu’un voyageur résilie son contrat de voyage à forfait en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables en application de l’article 12, paragraphe 2, de cette directive, que, après cette résiliation, cet organisateur de voyages devient insolvable et que ce voyageur n’a pas bénéficié, avant la survenance de cette insolvabilité, d’un remboursement intégral des paiements effectués auquel il a droit en vertu de cette dernière disposition ».

 

CJUE 29 juill. 2024, HDI Global, aff. jtes C-771/22 et C-45/23

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