Précision sur les modalités de liquidation de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance applicables à un mandataire d’assureurs établis en Union européenne

Suivant les règles de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la chambre commerciale précise que les sociétés d’assurance établies dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen bénéficient des modalités de paiement de la TSCA prévues à l’article 385 de l’annexe III du code général des impôts dans les mêmes conditions que les assureurs français.

Une société, spécialisée dans le secteur des activités des agents et des courtiers d’assurances, a fait l’objet d’une procédure de vérification de comptabilité́ pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. Le 8 juillet 2015, l’administration fiscale française a mis à la charge de ladite société un rappel de taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA), motivé par le fait que cette société, représentante en France d’assureurs établis dans l’Espace économique européen (Luxembourg et Royaume-Uni), n’avait pas demandé l’agrément prévu à l’article 1004 du code général des impôts et ne pouvait donc pas bénéficier du régime favorable prévu à l’article 385 de l’annexe III du même code.

Le 14 mars 2017, l’administration fiscale a rejeté la réclamation contentieuse contestant le rappel de cette taxe. La société a alors assigné l’administration fiscale en annulation de cette décision de rejet et en dégrèvement des rappels de TSCA.

Par un jugement du 31 mars 2021, le Tribunal judiciaire de Paris a annulé la décision de rejet de l’administration. La Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement et condamné l’administration fiscale au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Cette dernière a formé un pourvoi en cassation, composé d’un seul moyen, consistant, pour l’essentiel, à exposer les raisons pour lesquelles la société contrôlée ne pouvait pas bénéficier des dispositions de l’article 385 de l’annexe III du code général des impôts.

La TVA et la TSCA ne se cumulent pas

Le litige concerne les modalités de paiement de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, laquelle, comme l’indique la chambre commerciale conformément à l’article 991 du code général des impôts, s’applique à toute convention d’assurance conclue avec une société ou compagnie d’assurance ou avec tout autre assureur français ou étranger, quels que soient le lieu et la date auxquels elle est conclue (§ 6). Précisons qu’il ne s’agit pas de TVA. En effet, certaines opérations économiques, bien qu’entrant dans le champ d’application de la TVA, bénéficient d’une exonération. Leur liste est limitative et l’on ne saurait, en cette matière, raisonner par analogie, les exceptions étant d’interprétation stricte (en ce sens, CJUE, 8e ch., 24 nov. 2022, aff. C-458/21, Dalloz actualité, 12 déc. 2022, obs. M.-J. Loyer-Lemercier ; 9 mars 2023, aff. C-42/22, Dalloz actualité, 30 mars 2023, obs. M.-J. Loyer-Lemercier). En outre, et sauf lorsque la loi en dispose autrement, comme pour les exportations par exemple, l’exonération entraîne la perte du droit à déduction de la taxe qui a grevé les éléments du prix de l’opération réalisée. Les raisons de l’exonération sont variables. Parfois, elles répondent à des considérations sociales ou d’intérêt général : l’article 13, A, de la directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977 (dite « sixième directive »), en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, a visé diverses hypothèses, qui sont reprises en droit français. Elles concernent par exemple les associations et, plus largement, les organismes sans but lucratif (CGI, art. 261, 7), ainsi que le secteur médical, ou encore les activités d’enseignement (CGI, art. 261, 4). D’autres fois, les exonérations se justifient par des motifs économiques : tel est le cas pour un certain nombre d’opérations de nature bancaire ou financière (CGI, art. 261 C) – encore que certaines puissent être imposables de plein droit (BOI-TVA-SECT-50-10-20) ou faire l’objet d’une option (BOI-TVA-SECT-50-10-30) – ou bien lorsqu’un régime de franchise en base trouve à s’appliquer (CGI, art. 293 B). Mais une autre raison justifie dans certains cas que la TVA ne s’applique pas : c’est le motif d’évitement d’une double imposition. À ce titre, les opérations qui supportent des droits d’enregistrement, comme les ventes de fonds de commerce, d’immeubles anciens et les apports en sociétés, sont, sauf cas particuliers, exonérées de TVA. Il en est de même pour les conventions d’assurance, précisément parce qu’elles sont soumises à la TCAS dont il est question dans le présent arrêt (tout en soulignant qu’il existe, là encore, des hypothèses d’exonération, pour les contrats couvrant des risques particuliers, BOI-TCAS-ASSUR-10-40-30). Régie par les articles 991 à 1004 du code général des impôts, elle s’appuie sur le montant des sommes stipulées au profit de l’assureur et de tous accessoires dont celui-ci bénéficie directement ou indirectement du fait de l’assuré. Elle répond à ses propres règles : son taux varie selon la nature du risque assuré (CGI, art. 1001). Elle doit être liquidée et versée chaque mois par l’assureur ou par l’intermédiaire qui distribue les contrats d’assurance.

La logique du marché unique de l’assurance

En vertu des principes de libre prestation de service et de liberté d’établissement, piliers du marché unique de l’assurance, une entreprise d’assurances agréée dans un État membre peut exercer ses activités d’assurance dans toute l’Union européenne (ce qu’on nomme « passeport européen »). Elle a ainsi la possibilité, et ce, sans trop de difficultés, d’opérer sur le territoire français si elle remplit les conditions d’exercice prescrites aux articles L. 362-1 et L. 362-2 du code des assurances (soit un agrément des autorités de contrôle de son état d’origine, doublé d’une information préalable de l’ACPR). Ce système, en apparence vertueux, est cependant perfectible (v. not., P.-G. Marly, Brexit, assurance construction, risque statutaire : les vicissitudes du passeport européen en matière d’assurance, RTDF 2018/2-3. 128).

Du point de vue fiscal, l’article 1003 du code général des impôts impose à tous les assureurs et intermédiaires de procéder à une déclaration d’existence préalable à leur démarrage d’activité. Pour être conforme aux objectifs du droit européen, le texte a été modifié à compter du 1er janvier 2013 (par la loi n° 2012-1510 du 29 déc. 2012 de finances rectificative pour 2012) afin d’être étendu aux assureurs et intermédiaires établis en Union européenne ou dans l’Espace économique européen. La chambre commerciale, par une motivation enrichie, s’appuie sur la position constante de la Cour de justice, selon laquelle l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’oppose à toute réglementation d’un État membre de nature à prohiber ou à gêner les activités d’un prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services similaires (§ 9). En modifiant l’article 1003 du code général des impôts, le législateur français « a entendu, compte tenu de la jurisprudence de la CJUE, soumettre aux mêmes règles, au regard de la TSCA, la situation des assureurs établis dans un État membre de l’Union européenne ou un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen agissant en France en libre prestation de services et celle des assureurs français » (§ 10). En conséquence, les sociétés d’assurance établies en Union européenne ou dans l’Espace économique européen bénéficient des modalités de paiement de la TSCA de l’article 385, annexe III, du code général des impôts dans des conditions identiques aux assureurs français (§ 11).

S’agissant en l’espèce d’un mandataire d’assureurs établis en Union européenne à l’époque (Luxembourg et Royaume-Uni), il n’était nul besoin de faire agréer par le service des impôts un représentant français personnellement responsable de la taxe et des pénalités tel qu’il est exigé par l’article 1004 du code général des impôts pour les assureurs étrangers établis en dehors de l’Espace économique européen. C’est à l’issue de ce raisonnement logique que la chambre commerciale, opérant au passage une substitution de motif, rejette le pourvoi qui lui était soumis. On notera que dans une doctrine fiscale (qui mériterait d’être mise à jour sur ce sujet), l’administration semblait elle-même admettre que des « obligations particulières » en ce qui concerne l’agrément d’un représentant s’imposent aux seuls assureurs étrangers établis en dehors de l’espace économique européen (BOI-TCAS-ASSUR-40 du 12 sept. 2012, §§ 50 à 130).


Pour finir, on soulignera que, depuis que le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne et que les accords post-Brexit qui ont aménagé la période transitoire ont pris fin, le passeport européen a cessé de produire ses effets au bénéfice des assureurs britanniques. Ils ne peuvent légalement plus conclure de nouveaux contrats d’assurance sur des risques situés en France (sous peine des sanctions prévues aux art. L. 310-2, III et L. 310-27 c. assur.).

 

Com. 19 juin 2024, F-B, n° 22-24.644

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