Précision sur l’exception d’illégalité en matière d’accord de branche étendu

L’exception d’illégalité d’un accord de branche étendu n’est pas recevable en l’absence d’exception d’illégalité de l’arrêté ayant étendu ledit accord de branche, quand bien même, en l’absence de vice propre à l’arrêté d’extension, le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur l’exception d’illégalité formée à l’encontre de l’arrêté d’extension.

Le code du travail prévoit, en son article L. 2262-14, que « toute action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois ». Le Conseil constitutionnel a cependant admis que ce délai de deux mois ne privait pas le salarié d’invoquer par voie d’exception – et sans condition de délai – l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord collectif, à l’occasion d’un litige individuel la mettant en œuvre (Cons. const. 21 mars 2018, n° 2018-761 DC, Dalloz actualité, 23 mars 2018, obs. C. Dechristé ; D. 2018. 2203, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Dr. soc. 2018. 677, tribune C. Radé ; ibid. 682, étude B. Bauduin ; ibid. 688, étude A. Fabre ; ibid. 694, étude Y. Pagnerre ; ibid. 702, étude J. Mouly ; ibid. 708, étude P.-Y. Verkindt ; ibid. 713, étude G. Loiseau ; ibid. 718, étude D. Baugard et J. Morin ; ibid. 726, étude C. Radé ; ibid. 732, étude P.-Y. Gahdoun ; ibid. 739, étude L. He ; RDT 2018. 666, étude V. Champeil-Desplats ). Dans trois arrêts du 2 mars 2022, la chambre sociale a ouvert également cette possibilité au comité social et économique (Soc. 2 mars 2022, n° 20-16.002 B, D. 2022. 463 ; ibid. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2022. 531, étude G. Auzero et L. Bento de Carvalho ; ibid. 539, étude J. Icard ; RDT 2022. 395, obs. D. Baugard ) et au syndicat non-signataire d’un accord collectif (Soc. 2 mars 2022, n° 20-18.442 B, D. 2022. 464 ; ibid. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2022. 531, étude G. Auzero et L. Bento de Carvalho ; ibid. 562, obs. F. Petit ; RDT 2022. 395, obs. D. Baugard ; 2 mars 2022, n° 20-20.077 B, D. 2022. 1280, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2022. 531, étude G. Auzero et L. Bento de Carvalho ; RDT 2022. 395, obs. D. Baugard ), uniquement pour la défense de leurs droits propres résultant de l’exercice de leurs prérogatives légales dans l’entreprise.

Aussi le salarié qui soulève l’illégalité d’un accord collectif par voie d’exception ne peut invoquer un grief tiré des conditions dans lesquelles la négociation de l’accord a eu lieu, mais peut invoquer le non-respect des conditions légales de validité de l’accord collectif, relatives notamment à la qualité des parties signataires, telles que prévues, pour les accords d’entreprise ou d’établissement, par les articles L. 2232-12 à L. 2232-14 du code du travail (Soc. 31 janv. 2024, n° 22-11.770 B, D. 2024. 217 ; ibid. 1636, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2024. 564, étude D. Chenu ; RDT 2024. 196, chron. M. Zernikow ).

Mais quid de l’employeur ? Peut-il invoquer une exception d’illégalité d’un accord de branche ayant été étendu par arrêté d’extension ? C’est sur cette question que la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée dans un arrêt rendu le 1er octobre 2025.

En l’espèce, les partenaires sociaux de la branche du travail temporaire avaient conclu un accord collectif relatif au régime de couverture des frais de santé des salariés intérimaires, dit « Intérimaire Santé ». L’accord du 14 décembre 2015 et son avenant n° 1 du 30 septembre 2016 ont été étendus le 20 avril 2017 par arrêté du ministre des Affaires sociales et de la santé et du secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics.

Plusieurs syndicats, soutenant que la société Agence des métiers de santé (l’AGEMS) avait substitué en partie à ce dispositif conventionnel obligatoire issu d’un accord de branche étendu, en méconnaissance de l’effet obligatoire des accords de branche étendus conformément à l’article L. 2261-15 du code du travail, un régime de frais de santé issu d’une décision unilatérale du 1er mai 2016, ont assigné cette dernière ainsi que Prism’emploi (organisation patronale signataire de l’accord de branche) aux fins notamment d’annulation de la décision unilatérale de l’AGEMS.

L’AGEMS a alors invoqué par voie d’exception l’illégalité de certaines dispositions de l’accord étendu.

Les juges judiciaires du fond firent droit à la demande et déboutèrent les syndicats de leur demande. La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi, va toutefois prononcer la cassation au visa des articles L. 2261-15 et L. 2261-25 du code du travail.

Le lien indissociable entre exception d’illégalité de l’accord de branche et de son arrêté d’extension

L’éminente juridiction va en effet rappeler que les stipulations d’une convention de branche ou d’un accord professionnel ou interprofessionnel peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d’application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective (C. trav., art. L. 2261-15).

Elle va en conclure qu’eu égard à l’effet obligatoire pour tous les salariés et employeurs compris dans son champ d’application, l’exception d’illégalité d’un accord de branche étendu n’est pas recevable en l’absence d’exception d’illégalité de l’arrêté ayant étendu ledit accord de branche, quand bien même, en l’absence de vice propre à l’arrêté d’extension, le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur l’exception d’illégalité formée à l’encontre de l’arrêté d’extension.

Les Hauts magistrats vont à ce titre rappeler la décision rendue le 8 juin 2020 par le Tribunal des conflits (T. confl. 8 juin 2020, n° C4182) affirmant que la question préjudicielle, qui ne porte que sur la validité d’un accord collectif et de ses avenants sans qu’aucun vice propre ne soit invoqué contre les arrêtés d’extension de cet accord et de ces avenants, relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

Or, en l’espèce, pour déclarer recevable l’exception d’illégalité contre l’ accord de branche en constatant l’illégalité de certaines dispositions et débouter les organisations syndicales et patronale de leurs demandes, les juges du fond estimèrent que la juridiction de l’ordre judiciaire est matériellement compétente pour connaître de la validité des accords instituant le dispositif « Intérimaire santé », en dépit de la précédente décision du Conseil d’État de confirmation de la légalité des accords instituant ce même dispositif et de la nature réglementaire des arrêtés ministériels d’extension (CE 16 déc. 2019, n° 419087, RDT 2020. 319, étude Y. Ferkane ).

Mais l’AGEMS avait toutefois soulevé l’illégalité des arrêtés d’extension de l’accord de branche en cause. La cour d’appel n’ayant pas traité cette partie, elle se voit censurer par la chambre sociale, qui va déclarer l’irrecevabilité de l’exception d’illégalité.

La solution, en n’excluant pas d’emblée la possibilité pour l’employeur d’exciper de la nullité d’une convention de branche pour en éviter l’application des dispositions illicites, vient confirmer la tendance que la chambre sociale avait déjà pu commencer à esquisser (v. not., Soc. 5 oct. 2017, n° 15-20.390, D. 2017. 2034 ). Elle pourra toutefois surprendre en ce que la démarche consistant à ne pas revenir sur l’arrêté d’extension (retenue par les juges du fond) pour écarter les dispositions de l’accord de branche par voie d’exception apparaissait relativement pragmatique, le Conseil d’État ayant rejeté les recours pour excès de pouvoir à l’encontre de cet arrêté d’extension ainsi que d’autres arrêtés d’extension d’avenants ultérieurs (CE 16 déc. 2019, n° 419087, préc.). Il faudra toutefois rappeler que la décision du Conseil d’État du 16 décembre 2019 a une autorité relative de la chose jugée et le juge judiciaire n’est pas tenu par l’interprétation qui a été la sienne. Conformément à la jurisprudence traditionnelle rappelée par la décision du Tribunal des conflits du 8 juin 2020, l’arrêté d’extension ne change pas la nature de l’accord, qui est de droit privé et le juge judiciaire est compétent pour connaître des contestations dirigées contre l’accord.

La chambre sociale jugeait jusqu’alors que le juge judiciaire peut contrôler la validité de l’accord de branche mais en conséquence du recours pour excès de pouvoir exercé à l’encontre de l’arrêté d’extension (Soc. 12 juill. 2018, n° 16-26.844 P, Dalloz actualité, 27 juill. 2018, obs. H. Ciray ; D. 2018. 1556 ; ibid. 2203, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2018. 689, obs. Y. Ferkane ), et n’avait jusqu’ici admis que les exceptions d’illégalité à l’encontre de l’arrêté d’extension lui-même (Soc. 29 sept. 2021, n° 20-16.494, Dalloz actualité, 15 oct. 2021, obs. L. de Montvalon ; D. 2021. 1817 ). Par cette décision, la Haute juridiction prolonge cette tendance en augurant qu’il n’est pas possible de contester directement un accord de branche étendu par voie d’exception, sans contester la légalité de l’arrêté qui l’a étendu

 

Soc. 1er oct. 2025, FS-B, n° 23-15.627

par Loïc Malfettes, Docteur en droit, Responsable RH et juridique

© Lefebvre Dalloz