Précisions quant à l’encadrement procédural de la contestation du critère du meilleur intérêt des créanciers

La Cour de cassation confirme le fait que lorsqu’une partie affectée dissidente est en droit de porter un recours à l’encontre du jugement arrêtant le plan, notamment pour contester le respect à son égard du critère du meilleur intérêt des créanciers, son appel à l’encontre de l’arrêté du plan est nécessairement limité à l’objet de la contestation qui lui a attribué en amont la qualité pour agir.

En somme, lorsqu’est critiqué le respect du critère du meilleur intérêt des créanciers, la partie affectée ne peut reprocher au tribunal de ne pas avoir tenu compte de sa situation personnelle pour vérifier le respect de ce critère.

Après le volet relatif à la nature de mesure d’administration judiciaire attachée à la décision de constitution des classes de parties affectées (Dalloz actualité, 14 oct. 2025, obs. B. Ferrari), regardons de plus près les autres enseignements de l’arrêt du 1er octobre 2025 concernant l’encadrement procédural de la contestation du respect du critère du meilleur intérêt des créanciers.

L’affaire

En l’espèce, une SAS a été constituée pour investir dans diverses opérations immobilières dans le cadre d’un groupe. Elle a émis trois emprunts obligataires pour un montant de 27 500 000 €. Parmi ces emprunts, la Caisse de prévoyance du personnel de la sécurité sociale et assimilés (CAPSSA) a souscrit à l’un d’entre eux à hauteur de 8 000 000 €.

La société a bénéficié d’un redressement judiciaire dans lequel a été autorisée la constitution de classes de parties affectées. Dans ce dossier, l’administrateur a réuni sept classes et a inscrit la CAPSSA dans « la classe F des obligataires sans accès au capital ». Parallèlement, dans le cadre d’une médiation, la société mère du groupe auquel appartenait le débiteur a fait des propositions de rachat de leurs créances aux créanciers obligataires, qui les ont acceptées, à l’exception de la CAPSSA.

Par la suite, le projet de plan a été approuvé par l’ensemble des classes, à l’exception d’une qui ne s’est pas prononcée. De plus, la CAPSSA a été la seule, au sein de sa classe, où elle détenait 27 % des voix, à voter contre le projet de plan. Notons que ce projet prévoyait la création d’une société de défaisance ayant pour objet de poursuivre les démarches engagées pour recouvrer les créances relatives à différents projets et la conversation de la grande majorité des créances, dont celles des obligataires, en capital de la structure de défaisance.

À la suite du vote du plan, la CAPSSA a régulièrement présenté une requête au tribunal sur le fondement des articles R. 626-64, I et L. 626-33, I, du code de commerce. Aussi, lors de l’examen du plan, la CAPSSA a contesté les conditions de mise en œuvre de la règle du meilleur intérêt des créanciers et soutenu que le plan ne lui permettait pas de satisfaire à ses obligations réglementaires en matière de solvabilité.

Malgré ces contestations, le tribunal a arrêté le plan et la CAPSSA a interjeté appel de ce jugement.

L’appelante portait à l’attention des juges du fond différents arguments tendant à contester l’encadrement de ses voies de recours.

D’une part, elle invoquait diverses atteintes à son droit de propriété, à sa liberté contractuelle et des violations de l’article L. 626-31 provenant d’un traitement inégal au sein d’une classe ou de l’existence de nouveaux financements attentatoires, selon elle, aux intérêts des parties affectées. D’autre part, la CAPSSA soutenait que le plan l’empêchait de respecter ses obligations réglementaires en tant qu’institution de prévoyance.

Précisément, le plan violerait son obligation de n’investir que dans des actifs et instruments présentant des risques pouvant être identifiés et quantifiés et de détenir des fonds propres couvrant le capital de solvabilité requis. En l’occurrence, la conversion des créances incluse dans le plan porterait atteinte selon elle au respect du meilleur intérêt des créanciers : elle est placée dans une situation moins favorable du fait du plan qu’en application d’une autre solution, dans la mesure où l’adoption du plan a pour effet de diminuer le ratio de couverture de son capital.

Les juges versaillais ne vont pas faire droit à ces différentes demandes (Versailles, 21 mai 2024, n° 23/06737, LEDEN, juill. 2024, n° DED202k9, note F.-X. Lucas ; RPC 2024/6. Comm. 165, note K. Lafaurie) et la CAPSSA s’est pourvue en cassation.

Solution

Tous les moyens de la demanderesse vont être rejetés par la Cour de cassation.

D’une part, la Cour de cassation confirme le fait que lorsque la partie affectée dissidente a correctement mis en œuvre le recours que lui offre le I de l’article R. 626-64, elle devient une partie au sein de l’instance d’adoption du plan et a donc qualité pour interjeter appel du jugement qui l’arrête conformément au II du même texte.

La Haute juridiction précise toutefois logiquement que, dans ce cas, l’appel est nécessairement limité à l’objet du recours de l’article R. 626-64, c’est-à-dire le respect de la condition prévue au 4° de l’article L. 626-31 ou du cinquième ou dixième alinéa de l’article L. 626-32.

En conséquence, la CAPSSA ne pouvait pas « détourner » le droit d’appel qui lui était ouvert pour invoquer diverses atteintes à son droit de propriété, à sa liberté contractuelle ou encore se plaindre d’un traitement inégal au sein d’une classe ou de l’existence de nouveaux financements attentatoires aux intérêts des parties affectées.

D’autre part, la Haute juridiction devait se prononcer sur le domaine de la vérification du critère du meilleur intérêt des créanciers, car l’un des moyens soulevés par la demanderesse soutenait que l’appréciation de ce critère devait tenir compte de sa situation personnelle perturbée par l’adoption du plan.

En réponse, la Cour de cassation s’en tient à une conception étroite des textes et aux seules conditions qu’ils posent : le critère du meilleur intérêt des créanciers ne consiste qu’à comparer les perspectives de désintéressement de la partie affectée dissidente entre le plan et les autres solutions possibles. Partant, la CAPSSA ne pouvait pas mettre en avant les obligations prudentielles lui incombant, en ce qu’elles seraient perturbées par le plan, pour fonder une éventuelle violation du critère.

Analyse

Ces aspects de l’arrêt sous commentaire oscillent entre deux apports différents.

Il y a, d’un côté, une confirmation : celle qui permet de déterminer l’objet de l’appel de la partie affectée dissidente ayant, après le vote du plan, contesté la mise en œuvre du critère du meilleur intérêt des créanciers.

D’un autre côté, la Cour de cassation nous livre une précision : pour l’appréciation du critère du meilleur intérêt des créanciers, seul compte en résumé la créance… et non le créancier ! Bien que fondé, ce dernier élément peut cependant être sujet à certaines réflexions quant à l’office du juge en ce domaine.

Une confirmation : l’objet de l’appel de la partie affectée ayant critiqué la mise en œuvre du critère du meilleur intérêt des créanciers est limité à cette contestation

En l’espèce, la Cour de cassation confirme l’analyse majoritaire qui avait été opérée à propos de l’articulation de certaines voies de recours dans le régime des classes de parties affectées. Voyons cela.

Il faut garder à l’esprit que seule une procédure spécifique permet aux parties affectées dissidentes de porter certaines de leurs critiques. Cette procédure est celle prévue au I de l’article R. 626-64, car celui-ci prévoit qu’au plus tard dans un délai de dix jours à compter du vote des classes, la partie affectée, qui a voté contre le projet de plan et entend contester, pour simplifier, le respect de la règle du meilleur intérêt des créanciers doit saisir le tribunal par requête déposée au greffe. Or, le second alinéa de ce même texte nous indique, ensuite, que le greffe convoque l’ensemble des parties à l’audience portant sur l’examen du projet de plan et qu’il joint notamment à cette convocation la copie des requêtes déposées en application du premier alinéa. En somme, le texte indique également que le tribunal statue, enfin, dans un même jugement sur l’ensemble des contestations dont il a été saisi, ainsi que sur l’arrêté du plan.

Dans le contexte de l’analyse de la recevabilité d’une question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de cassation en avait déduit que la partie affectée dissidente, mais n’ayant pas exercé le recours de l’article R. 626-64, ne pouvait être regardée comme étant une partie à l’instance d’adoption du plan (Com., QPC, 2 juill. 2025, n° 25-40.011 FS-P, Dalloz actualité, 15 sept. 2025, obs. B. Ferrari ; Rev. sociétés 2025. 570, obs. P. Roussel Galle ). Certes, cela ne revient pas à dire que la partie affectée en question n’est pas concernée par le vote du plan, mais son intérêt est défendu au sein de cette instance, comme tous les créanciers, par le mandataire judiciaire à qui incombe la défense de l’intérêt collectif des créanciers (C. com., art. L. 622-20).

En l’occurrence, la Cour de cassation confirme, dans l’arrêt ici rapporté, cette solution, car elle y affirme expressément, qu’au contraire, le créancier qui a mis en œuvre le recours prévu à l’article R. 626-64 acquiert la qualité de partie à l’instance d’adoption du plan et qu’à ce titre, il peut ensuite interjeter appel de l’arrêté du plan. Il entre alors dans la catégorie « chaque partie » visée au II de l’article R. 626-64 lorsque ce texte énumère les personnes ayant la qualité pour interjeter appel de ce jugement.

Cela étant établi, il restait toutefois à déterminer dans cette hypothèse l’objet de l’appel de la partie affectée dissidente.

À cet égard, les solutions posées sous l’empire des comités de créanciers sont éclairantes. La Cour de cassation avait limité le recours possible d’un obligataire à l’encontre du jugement arrêtant le plan. En l’occurrence, elle avait jugé qu’un créancier obligataire, membre de l’assemblée unique des obligataires (AUO), ne pouvait contester, par la voie de l’appel contre le jugement arrêtant le plan, que l’adoption du plan par son assemblée et seulement si les règles sur sa constitution, sa convocation ou ses délibérations n’avaient pas été respectées conformément à la lettre de l’ancien article L. 626-34-1 du code de commerce (Com. 26 févr. 2020, n° 18-19.737 FS-P+B, D. 2020. 485 ; Rev. sociétés 2020. 383, obs. L. C. Henry ; ibid. 568, note N. Morelli ; RTD com. 2020. 483, obs. H. Poujade  ; LEDEN avr. 2020, n° DED113g0, note N. Borga). Pour la Haute juridiction, c’était affirmer que si ledit créancier ne remettait pas en cause les aspects formels de l’AUO, mais contestait un point de fond du plan, l’irrecevabilité devait être encourue.

Autrement dit, ce dernier arrêt avait limité le droit d’appel du créancier obligataire à l’objet de la seule contestation initiale à laquelle il avait accès, mais ce qui supposait d’avoir effectivement formé cette contestation en amont !

L’arrêt sous commentaire s’inscrit exactement dans cette lignée : la partie affectée dissidente ne peut utiliser le droit d’appel que lui confère le II de l’article L. 626-64 pour étendre l’objet de son recours. Du reste, si la partie affectée peut faire appel du jugement arrêtant le plan, ce recours est nécessairement limité à la contestation qui lui a ouvert en amont la qualité pour agir. Précisément, cela signifie que seul le respect des conditions du 4° de l’article L. 626-31 ou du 5e ou du 10e alinéa de l’article L. 626-32 pourra être discuté par la partie affectée dissidente ayant interjeté appel du jugement arrêtant le plan (contrôle du meilleur intérêt, conditions de l’application forcée interclasse relatives aux créanciers « dans la monnaie » et/ou règle de la priorité absolue en cas d’adoption forcée du plan).

En application de ces règles, en l’espèce, par le biais de la qualité pour agir que lui conférait le II de l’article L. 626-64, la CAPSSA ne pouvait effectivement soumettre à la cour d’appel des discussions touchant au « fond » des dispositions du plan. En rejetant ce moyen, la Cour de cassation ne s’y trompe donc pas !

Dans la même veine, et c’est là une précision importante, la Haute juridiction cantonne le domaine de la vérification à opérer par le tribunal s’agissant du critère du meilleur intérêt des créanciers.

Une précision : pour l’appréciation du critère du meilleur intérêt des créanciers, seule compte la créance… et non le créancier !

Selon la partie affectée dissidente, le plan adopté par le tribunal l’empêchait de respecter ses obligations réglementaires auxquelles sont tenus les organismes de prévoyance. Précisément, elle soutenait que le plan violait son obligation de n’investir que dans des actifs et instruments présentant des risques pouvant être identifiés et quantifiés et de détenir des fonds propres couvrant le capital de solvabilité requis.

Le cœur de l’argumentation résidait dans le fait que la conversion des créances incluse dans le plan portait atteinte au respect de la règle du meilleur intérêt des créanciers, dans la mesure où la stipulation plaçait la CAPSSA dans une situation moins favorable du fait du plan qu’en application d’une autre solution qui ne l’aurait pas conduite à s’interroger sur le respect de ses obligations réglementaires.

Pour résumer sur ce point la position de la Cour de cassation, il est permis de dire que, pour elle, seule compte la créance dans l’appréciation de la règle du meilleur intérêt et non le créancier, à tout le moins, sa situation personnelle telle qu’elle résulterait de l’adoption des dispositions du plan.

La position adoptée par les juges du quai de l’Horloge permet de confirmer l’emploi de cette formule. En effet, la Haute juridiction se réfère, d’abord, expressément à l’article L. 626-30, I, 1°, aux termes duquel nous pouvons lire que « le droit d’une partie affectée de voter dans une classe constitue un accessoire de la créance née antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure (…) ». Elle indique, ensuite, que « les créanciers étant répartis en classes représentatives d’une communauté d’intérêt économique suffisante (…) la représentation des créanciers est [donc] organisée en fonction du statut des créances qu’ils détenaient avant l’ouverture de la procédure ».

Avec ces éléments, il y a là une première raison d’affirmer qu’au stade de savoir qui est ou non une partie affectée par le plan, seule la créance est déterminante et non la situation de la personne, par exemple, au regard de la réglementation qui lui serait applicable.

La lecture du 4° de l’article L. 626-31 permet d’asseoir in fine le raisonnement. Pour satisfaire au test du meilleur intérêt des créanciers, ce texte impose au tribunal de vérifier lorsqu’il arrête le plan qu’aucune des parties affectées ne se trouve « dans une situation moins favorable, du fait du plan, que celle qu’elle connaîtrait s’il était fait application soit de l’ordre de priorité pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l’entreprise en application de l’article L. 642-1, soit d’une meilleure solution alternative si le plan n’était pas validé ».

Ici aussi, l’on se rend compte, une nouvelle fois, que seules sont prises en compte les créances et, partant, les chances de recouvrement de ces dernières, dans une logique purement financière, pour la vérification du critère du meilleur intérêt des créanciers (R. Dammann et T. Bos, Le nouveau droit de la restructuration financière : les classes de parties affectées, D. 2021. 1931 ). C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en cas de contestation portant sur le 4° de l’article L. 626-31 le tribunal doit fixer la « valeur de l’entreprise » pour mener à bien l’exercice de comparaison imposé par la vérification du critère.

En définitive, il paraît ainsi logique d’aboutir à la conclusion qu’il n’appartient pas au juge, en arrêtant le plan, de prendre en considération la situation personnelle de la partie affectée dissidente dans le cadre de l’analyse du critère du meilleur intérêt.

Cela étant, sans aller jusqu’à critiquer la solution retenue, celle-ci peut, nous semble-t-il, être tempérée à l’aune d’interrogations susceptibles de se présenter quant à l’office du juge dans la protection des intérêts des parties affectées.

Tempérament à la précision : qu’en est-il de l’office du juge s’agissant de la protection des intérêts des parties affectées ?

Comme il a été relevé à propos de l’arrêt d’appel dans ce dossier, « il est assez perturbant d’admettre qu’une application forcée du plan puisse avoir pour conséquence de placer le créancier dans une situation illégale » (K. Lafaurie, note ss. Versailles, 21 mai 2024, n° 23/06737, RPC 2024/6. Comm. 165).

Certes, l’emploi du terme « d’illégalité » est sans doute trop fort, dans la mesure où, en l’espèce, la partie affectée a eu la possibilité en amont de l’adoption du plan de céder sa créance obligataire, ce qui lui aurait permis, si elle l’avait accepté, d’éviter de se voir attribuer des actions de préférence « violant » ses ratios de solvabilité. Cela étant, nous pouvons tout de même être surpris que les juges n’aient pas davantage creusé cet aspect, lorsque l’on connaît les risques systémiques susceptibles de survenir en cas de défaillance d’un tel opérateur. Au demeurant, il peut être objectivement choquant qu’un plan place un créancier, contre sa volonté, en contravention de ses obligations.

Or, en lien avec ce premier point, il nous semble qu’il devra être précisé à l’avenir l’ampleur de la vérification imposée au tribunal au 8e alinéa de l’article L. 626-31 du code de commerce selon laquelle, au stade de l’adoption du plan, il « s’assure que les intérêts de toutes les parties affectées sont suffisamment protégés ».

Les questions qui s’en infèrent sont simples : le tribunal, sur le fondement de ce texte, n’aurait-il pas pu relever d’office la difficulté au regard des principes de « la personne prudente » applicables à la partie affectée dissidente en sa qualité d’institution de prévoyance ? N’y avait-il pas là un exemple d’intérêt d’une partie affectée « insuffisamment protégé » ?

En l’occurrence, la recevabilité du recours portée par la partie affectée sortie par la fenêtre des conditions d’appréciation du meilleur intérêt pourrait revenir par la porte de l’office du juge en matière d’adoption des plans soumis au régime des parties affectées !

Finissons, en indiquant, qu’a priori, dans le cadre d’une application forcée interclasse, le juge perdrait une telle faculté. En effet, l’article L. 626-32, I, 1°, ne lui impose dans ce cas, parmi la vérification des autres conditions propres au mécanisme, que de s’assurer du respect de celles posées par les 2° à 7° alinéas de l’article L. 626-31… Ce n’est pas de chance ! Vérifier que les intérêts de toutes les parties affectées sont suffisamment protégés ne figure qu’au 8e alinéa de l’article L. 626-31… Mais, une ultime question alors : n’est-ce pas là qu’une simple malfaçon des textes ?

 

Com. 1er oct. 2025, FS-B, n° 24-18.021

par Benjamin Ferrari, Maître de conférences en droit privé, co-directeur du Master 2 Droit des entreprises en difficulté, Université Côte d'Azur, membre du CERDP (UPR nº 1201)

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