Précisions sur la motivation de la peine d’emprisonnement ferme et le refus de diminuer la peine
La Cour de cassation apporte d’utiles précisions sur la motivation du refus de diminuer la peine d’emprisonnement malgré l’altération du discernement du prévenu, et fait un heureux rappel sur la motivation de la peine d’emprisonnement ferme
Durant le mois de mai 2024, la Cour de cassation est venue, à plusieurs reprises, s’épancher sur la motivation attendue par les juridictions de jugement prononçant une peine d’emprisonnement avec ou sans sursis (v. par ex., Crim. 2 mai 2024, n° 23-83.845, Dalloz actualité, 22 mai 2024, obs. M. Dominati ; D. 2024. 874
). À l’occasion de l’arrêt à l’étude, deux problématiques inhérentes à la motivation des peines étaient soulevées. En premier lieu, la question de la motivation de la peine d’emprisonnement sans sursis. En second lieu, la question de la diminution de la peine résultant du constat de l’altération du discernement du prévenu (Crim. 15 sept. 2015, n° 14-86.135, Dalloz actualité, 22 sept. 2015, obs. S. Fucini ; D. 2015. 1842
; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail
; JCP 2015. 1209, note V. Peltier ; Gaz. Pal. 2015. 3652, obs. E. Dreyer ; Dr. pénal 2015, n° 152, obs. É. Bonis-Garçon).
En l’espèce, un individu est condamné, en première instance, pour violences aggravées et infractions à la législation sur les armes, à trois ans d’emprisonnement dont deux ans assortis d’un sursis probatoire. Saisie de l’appel de ce jugement, la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Bastia confirme la déclaration de culpabilité et condamne le prévenu à quatre ans d’emprisonnement dont dix-huit mois assortis du sursis probatoire pendant deux ans. L’intéressé formait alors un pourvoi contre la confirmation de la condamnation, au soutien de deux moyens.
Altération du discernement et motivation du refus de diminuer la peine
Au soutien du pourvoi, le premier moyen critiquait la motivation du défaut de diminution de la peine, alors qu’il était avéré que le discernement du prévenu était altéré lors de la commission de l’infraction (§ 6, 2° de la présente décision). En l’occurrence, la cour avait considéré que « le comportement du prévenu n’est pas admissible et doit être sanctionné » (§ 9).
Aux termes de l’article 122-1, alinéa 2, du code pénal, l’altération du discernement ne fait pas obstacle à la punissabilité de l’auteur de l’infraction. Néanmoins, « Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers […]. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine ».
Dès lors, se pose la question de ce qu’est une motivation suffisante pour écarter la diminution de peine (Crim. 15 sept. 2021, n° 20-80.740). Est-ce la motivation spéciale prévue par l’article 132-19 du code pénal, de sorte que pour justifier le refus de diminuer la peine, la juridiction devrait s’attacher aux critères classiques d’individualisation ? Si tel était le cas, alors la diminution de peine pourrait être exclue au regard de la personnalité et de la situation du prévenu (Crim. 11 mai 2021, n° 20-85.576, Dalloz actualité, 31 mai 2021, obs. M. Dominati ; D. 2021. 963
; ibid. 2109, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire
; AJ pénal 2021. 360, note J. Frinchaboy
; JCP 2021. 902, obs. E. Dreyer ; Dr. pénal 2022. Chron. 3, obs. É. Bonis et V. Peltier). C’est ce que semble retenir la Cour de cassation. Pour casser la décision de la Cour d’appel de Bastia, la chambre criminelle retient que « les juges n’ont pas fait état des éléments de sa personnalité, qui seuls étaient susceptibles de fonder une exclusion de la diminution de peine » (§ 11).
La motivation spéciale de la peine d’emprisonnement ferme
Au soutien du pourvoi, le second moyen tendait à remettre en cause la motivation de la peine d’emprisonnement sans sursis. Pour le demandeur, « la cour d’appel s’est bornée à des considérations générales sur la gravité de l’infraction qui justifierait en elle-même le prononcé de la peine, sans même évoquer l’inadéquation de tout autre sanction […], mais aussi et surtout sans mieux s’expliquer sur la situation matérielle, familiale et sociale de l’exposant » (§ 6, 1°).
La politique d’évitement de l’incarcération a conduit le législateur, au fil des réformes, à faire de l’emprisonnement le dernier recours en matière judiciaire (M. Giacopelli, Approche critique de la courte peine d’emprisonnement, Dr. pén. 2014. Étude 4 ; v. égal., E. Dreyer, L’emprisonnement ferme, entre renouveau et déclin ?, S. Pellé [dir.], Quelles mutations pour la justice pénale au XXIe siècle ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2020, p. 210), notamment par l’obligation de motivation spéciale de la peine d’emprisonnement ferme (É. Bonis, La motivation de la peine d’emprisonnement ou les vicissitudes de l’article 132-19 du code pénal, in E. Letouzey [dir.], La motivation de la peine, CEPRISCA, coll. « Colloques », 2019, p. 153), au regard de la personnalité de l’auteur et de sa situation personnelle (v. not., Rép. pén., v° Peine : nature et prononcé, par J.-P. Céré et L. Grégoire, n° 142).
En l’espèce, cette motivation consistait à dire que la peine était justifiée par la gravité de l’infraction, mais sans plus de détail (§ 6, 1°). Sans surprise, la Cour de cassation estime que la motivation est insuffisante. En reprenant exactement les termes de l’article 132-19 du code pénal, elle estime que la cour d’appel ne s’est pas expliquée sur « le caractère indispensable de la peine d’emprisonnement ferme prononcée » et n’a « pas fait état de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu, alors que celui-ci, présent à l’audience, pouvait répondre à toutes les questions des juges à cet égard » (§ 12). Si l’attendu de principe ne saurait étonner, il a tout de même le mérite de rappeler que l’individualisation de la peine, par la juridiction de jugement, doit innerver sa décision à partir du savoir produit par les différentes productions scripturales mais aussi par le discours de l’intéressé à l’audience.
Crim. 15 mai 2024, F-B, n° 23-82.822
© Lefebvre Dalloz