Précisions sur la notion d’accident au sens de la loi Badinter

Ne constitue pas un accident, au sens de la loi Badinter, celui qui, volontairement provoqué par le conducteur ou un tiers, ne présente pas, de ce fait, un caractère fortuit.

La loi Badinter étant d’application exclusive (Civ. 2e, 4 mai 1987, n° 85-17.051, « L’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 à l’exclusion de celles des articles 1382 et suivants du code civil »), il est particulièrement important de déterminer avec précision son champ d’application.

Aux termes de son article premier, seuls sont concernés les « accidents de la circulation » dans lesquels est impliqué un véhicule terrestre à moteur. C’est cette notion d’accident qui est utilement précisée dans une décision rendue par la deuxième chambre civile le 15 février 2024. 

La passagère d’un véhicule est blessée lors d’une sortie de route. Elle assigne l’assureur du véhicule aux fins d’obtenir la désignation d’un expert et le versement d’une provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices. La cour d’appel fait droit à ses demandes. Elle retient en effet que, si la conductrice est volontairement sortie de la route, « aucun élément du dossier ne laisse penser qu’elle ait entendu attenter à la vie de sa passagère » et en déduit que, « à l’égard de celle-ci, le sinistre est un accident de la circulation dans lequel a été impliqué un véhicule terrestre à moteur » (pt 6).

Dans son pourvoi, l’assureur invoque une violation de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, arguant du fait que ne subit pas un accident de la circulation au sens de la loi Badinter le passager dont le dommage est la conséquence directe de l’action volontaire du conducteur. Dès lors « l’assureur de responsabilité civile du conducteur du véhicule terrestre à moteur ne couvre pas les dommages résultant de la décision de ce dernier de précipiter son véhicule en dehors de la chaussée » (pt 3).

La deuxième chambre civile casse la décision des juges du fond au visa de l’article 1er de la loi Badinter, affirmant dans un attendu de principe que : « Ne constitue pas un accident au sens de ce texte, celui qui, volontairement provoqué par le conducteur ou un tiers, ne présente pas, de ce fait, un caractère fortuit ». 

Incompatibilité entre fait « volontairement provoqué » et accident au sens de la loi Badinter

Dans le langage courant, le terme « accident », dérivé du latin accidere (survenir), fait référence à un évènement fortuit, inattendu et soudain. Fait volontaire et accident sont donc a priori deux termes antinomiques.

La Cour de cassation affirme ainsi, de manière constante, que la « loi du 5 juillet 1985 n’est applicable qu’aux seuls accidents de la circulation à l’exclusion des infractions volontaires » (Civ. 2e, 30 nov. 1994, n° 93-13.399 et n° 93-13.485 P, RTD civ. 1995. 132, obs. P. Jourdain ). La qualification d’accident ne peut pas être retenue en présence d’une volonté de causer le fait dommageable.

Pourtant, comme l’a souligné une doctrine autorisée, « du point de vue des victimes, les comportements volontairement brutaux ou nuisibles du défendeur […] sont des circonstances fortuites et accidentelles qui peuvent certainement être rattachées aux risques de la circulation routière. Il semblerait donc naturel de les soumettre au régime de la loi » Badinter (G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4éd., LGDJ, 2017, n° 94, p. 122). Ainsi, en l’espèce, les juges du fond avaient été tentés de considérer que la sortie volontaire de route par le conducteur était, à l’égard de la victime passagère, un accident de la circulation (pt 6).

La question soulevée par l’arrêt commenté était, plus précisément, de déterminer si la volonté de sortir de la route était suffisante pour écarter la notion d’accident de la circulation, ou si la volonté d’attenter à l’intégrité physique de la passagère était requise pour ce faire. Autrement dit, une action volontaire est-elle automatiquement exclusive d’un accident de la circulation, ou la volonté de causer le dommage est-elle nécessaire ?

Longtemps, la jurisprudence est restée fluctuante sur le sujet. Certains arrêts ont semblé exiger une « intention de causer le dommage subi » (par ex., Civ. 2e, 30 nov. 2000, n° 98-20.870 P), faisant même parfois référence à une faute intentionnelle au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances (par ex., Civ. 2e, 18 mars 2004, n° 03-11.573 P, D. 2004. 2324, et les obs. , note B. Beignier  ; ibid. 2005. 1317, obs. H. Groutel ). D’autres ont, au contraire, écarté tout accident au sens de la loi Badinter en présence d’un simple comportement volontaire (par ex., Civ. 2e, 30 nov. 1994, n° 93-13.399 et n° 93-13.485, préc., démolition volontaire de murs avec un engin de terrassement en vue de s’emparer d’un coffre-fort. L’opération ayant échoué, l’engin reste pris dans les décombres et un incendie se déclare. Il est jugé que l’incendie des locaux, bien que non recherché, était la conséquence directe et prévisible des vols et des dégradations volontaires. Il ne s’agissait donc pas d’un accident).

La question est désormais clairement tranchée par l’arrêt commenté : la volonté de causer le dommage n’est pas requise, le conducteur n’ayant pas, en l’espèce, recherché à attenter à la vie de sa passagère. La Cour de cassation retient donc une conception restrictive de l’accident, tout fait volontaire excluant dès lors l’application de la loi Badinter.

Une telle solution n’est pas à l’abri de toute critique, en ce qu’elle risque de priver la victime de toute indemnisation. Certes, exclure les hypothèses où le dommage a été recherché tel qu’il est survenu – autrement dit les cas où le défendeur a commis une faute intentionnelle au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances – du champ d’application de la loi Badinter, offre aux victimes la possibilité d’être indemnisées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), lequel ne peut pas intervenir en présence d’un accident de la circulation en France ou dans l’Union européenne (Civ. 2e, 24 sept. 2020, n° 19-12.992, Dalloz actualité, 22 oct. 2020, obs. H. Conte ; D. 2020. 1888  ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ). Au contraire, un simple comportement volontaire, sans intention de causer le dommage, n’est pas constitutif d’une faute intentionnelle inassurable. L’assureur de responsabilité civile automobile ou le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) seraient donc susceptibles d’intervenir pour réparer les préjudices subis par la victime, si un tel comportement était considéré comme accidentel. Certes, là encore, la victime pourra se tourner vers le FGTI. Rappelons, toutefois, que celui-ci n’indemnise de manière intégrale que les atteintes graves à la personne. Il aurait donc été préférable pour la victime que les comportements volontaires non constitutifs d’une faute inassurable restent considérés comme accidentels par la jurisprudence (en ce sens, G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, op. cit., nos 94-95, p. 122 s.).

Un fait volontaire du conducteur ou d’un tiers

La deuxième chambre civile affirme en l’espèce que « ne constitue pas un accident au sens [de la loi Badinter], celui qui, volontairement provoqué par le conducteur ou par un tiers, ne présente pas, de ce fait, un caractère fortuit » (pt 5). Elle assimile ainsi expressément le comportement volontaire du conducteur et du tiers.

La jurisprudence antérieure était déjà en ce sens, ne distinguant pas selon que l’infraction avait été volontairement commise par le conducteur ou par un tiers (par ex., Civ. 2e, 15 mars 2001, n° 99-16.852 P, « Le véhicule de Mlle X… avait été incendié volontairement [par un tiers] et le feu s’était propagé à d’autres véhicules, ce dont il ressortait que le préjudice subi par [la victime] ne résultait pas d’un accident » ; 11 déc. 2003, n° 00-20.921 P, victime poussée par un piéton en état d’ivresse sous un bus, RTD civ. 2004. 519, obs. P. Jourdain ). 

Là encore, la solution est discutable. Si exclure de la notion d’accident le comportement volontaire du défendeur peut sembler protecteur de la victime, du moins concernant les fautes intentionnelles inassurables, une telle justification ne peut être transposée à l’exclusion des comportements volontaires de tiers, lesquels n’empêchent aucunement l’intervention de l’assureur de responsabilité civile automobile ou du FGAO. « Ainsi l’exclusion de la loi n’est vraiment justifiée – et nécessaire – que pour les infractions intentionnelles commises par le défendeur » (G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, op. cit., n° 95, p. 124).

Notons, pour finir, que l’existence d’un fait volontaire de la victime est, en revanche, non dirimante. Une personne s’étant blessée en relevant volontairement un véhicule terrestre à moteur a ainsi été considérée comme victime d’un accident de la circulation au sens de la loi Badinter (Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-20.910 P, Dalloz actualité, 19 nov. 2019, obs. A. Hacène-Kebir ; D. 2020. 322 , note G. Trédez  ; ibid. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz  ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle  ; RTD civ. 2020. 128, obs. P. Jourdain  ; bjda.fr 2020, n° 66, note A. Cayol). Peu importe que la victime ait, ou non, réalisé un acte volontaire à l’origine de son dommage. Cela n’a aucune incidence sur l’application de la loi Badinter. Le comportement de la victime n’est, en effet, pris en compte qu’au stade des causes d’exonération, et n’exerce aucune influence sur le champ d’application de la loi (A. Cayol, Responsabilité du fait des accidents de la circulation, in R. Bigot et F. Gasnier [dir.], Encyclopédie Droit de la responsabilité civile, Lexbase, 9 mai 2022, n° 22).

 

Civ. 2e, 15 févr. 2024, FS-B, n° 21-22.319

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