Précisions sur la notion de « participation » à un groupement violent

L’infraction de participation à un groupement violent, incriminée à l’article 222-14-2 du code pénal, suppose que son auteur a sciemment participé à un groupement, soit en ayant personnellement accompli un ou plusieurs faits matériels caractérisant la préparation d’infractions de violences ou de destructions ou dégradations, soit en ayant connaissance de tels faits commis par d’autres.

En matière de participation à un groupement violent, infraction créée par la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, les décisions dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation sont très rares. L’arrêt commenté est l’une d’entre elles.

Dans les faits, un individu avait participé, en tenue de moine et visage dissimulé, à une manifestation illicite ayant donné lieu à des affrontements violents avec les forces de l’ordre (en l’occurrence une manifestation de contestation des réserves de substitution en eau, communément appelées « méga-bassines »). Renvoyé devant le tribunal correctionnel pour – entre autres chefs de prévention – participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens, le tribunal correctionnel le condamne à douze mois d’emprisonnement et prononce des peines complémentaires.

Saisie sur appel principal de l’intéressé et sur appel incident du ministère public et de la partie civile, la Cour d’appel de Poitiers abaisse la peine principale à six mois d’emprisonnement. Pour confirmer le jugement de première instance, la cour relève l’existence d’un communiqué de collectif qui, d’une part, avait annoncé le maintien de la manifestation en dépit de l’interdiction émise par arrêté préfectoral et, d’autre part, avait annoncé la volonté « d’impacter concrètement les constructions ». La cour d’appel constate également que le prévenu s’était réuni avec d’autres personnes impliquées dans la manifestation à la veille de celle-ci, qu’il était en possession de documents émanant du collectif et qu’il avait acheté sa tenue de manifestant, le dissimulant entièrement, un mois avant la manifestation. Ils concluent alors à la conscience de l’individu « de s’agréger à un collectif dont il connaissait l’intention de commettre des dégradations et qu’il s’y était préparé à y participer en s’équipant d’une tenue destinée notamment à dissimuler son identité » (pt 14).

Selon le pourvoi, la cour d’appel n’aurait toutefois pas suffisamment motivé la caractérisation de l’infraction, tant sur la volonté du prévenu de participer au groupement que sur la démonstration de la préparation de violences ou de dégradations de biens.

Le pourvoi est toutefois rejeté. La Cour de cassation, citant l’article 222-14-2 du code pénal incriminant la participation à un groupement violent, précise à sa suite que « l’infraction, pour être constituée, suppose que son auteur a sciemment participé à un groupement, soit en ayant personnellement accompli un ou plusieurs faits matériels caractérisant la préparation d’infractions de violences ou de destructions ou dégradations, soit en ayant connaissance de tels faits commis par d’autres » (pt 10). Ce faisant, la Cour de cassation apporte une réponse à certaines interrogations que pouvait susciter le texte d’incrimination.

Interrogations suscitées par l’article 222-14-2 du code pénal

Aux termes de l’article 222-14-2 du code pénal, l’incrimination de participation à un groupement violent consiste dans « le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens ». C’est dire que la matérialité du délit est dédoublée en ce qu’elle nécessite, d’une part, une participation, d’autre part, l’existence d’un ou plusieurs faits matériels caractérisant une préparation. Le texte est toutefois silencieux à deux égards : en quoi doit consister cette participation ? surtout, faut-il caractériser ces deux sous-éléments matériels à l’encontre d’une même personne pour lui imputer le délit ou l’un des deux suffit-il ? Pour le dire autrement, faut-il cumulativement caractériser l’appartenance au groupement et l’accomplissement d’un acte matériel ou la seule appartenance suffit-elle ?

En matière d’association de malfaiteurs – dont l’incrimination prévue par l’article 450-1 du code pénal a directement inspiré celle de participation à un groupement violent (C. pén., art. 450, « Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ») –, il n’est pas exigé qu’un membre de l’association ait effectué une participation active : « le simple fait d’être membre du groupe ou de l’entente suffit à caractériser l’infraction » (A. Roques, La matérialité de l’incrimination, LGDJ, coll. « Thèses », t. 77, 2025, n° 314). Si l’on en doutait, on a désormais la confirmation que la participation à un groupement violent est soumise au même sort.

En effet, si l’incrimination connaît une exigence de « double matérialité », avec la matérialité de la participation d’un côté et la matérialité de la préparation de l’autre, nul besoin pourtant de caractériser les deux à l’encontre d’un seul protagoniste : sa seule participation au groupement suffit (A. Roques, op. cit., n° 314). Plus encore, la Cour admet deux modes alternatifs de participation au groupement (« soit » l’un, « soit » l’autre) : un mode matériel tenant à l’accomplissement de faits, un mode intellectuel tenant à la connaissance de faits commis par d’autres.

Participation matérielle à un groupement violent : l’accomplissement personnel de faits matériels

Le premier mode de participation à un groupement violent réside dans la formule suivante : « en ayant personnellement accompli un ou plusieurs faits matériels caractérisant la préparation d’’infractions ».

Alors que le demandeur au pourvoi reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir démontré la préparation de violences ou destructions de biens à son égard, la Cour de cassation estimait au contraire l’arrêt suffisamment motivé, celui-ci faisant notamment état des éléments précités tels que la possession du prévenu de certains documents du collectif de manifestants, l’achat de la tenue et sa rencontre, la veille, avec d’autres personnes impliquées dans la manifestation.

Cela étant, si ces faits démontrent la volonté de participer au groupement de manifestants, on peine à voir en quoi ils démontrent la préparation de violences ou dégradations. Il s’agit davantage d’une présomption de fait selon laquelle un individu participant en groupe à une manifestation et portant une tenue non quotidienne a connaissance qu’il participe à un groupement violent en vue de commettre des violences ou des destructions ou dégradations (sur la tenue du prévenu couplée à d’autres éléments de faits caractérisant l’infraction de participation à un groupement violent, v. déjà, Crim. 16 déc. 2020, n° 20-81.015, Gaz. Pal 2021. 467, obs. S. Detraz). Du reste, avec la formule adoptée par la Cour de cassation, le pourvoi avait peu de chance d’aboutir, celle-ci admettant un acte de participation sans fait matériel.

Participation intellectuelle à un groupement violent : la connaissance de l’accomplissement de faits matériels par d’autres

C’est en effet sur ce point que se cristallise le réel apport de l’arrêt puisque, à côté de cette participation matérielle personnelle, la Cour admet que l’acte de participation au groupement puisse résider dans le fait d’avoir connaissance de faits matériels caractérisant la préparation des infractions visées commis par d’autres. Une telle solution emporte plusieurs observations.

D’abord, elle n’est en réalité guère surprenante, tant au regard de la lettre du texte que la jurisprudence déjà adoptée en matière d’association de malfaiteurs. En effet, si la simple adhésion à l’entente suffit pour caractériser une association de malfaiteurs, la simple adhésion au groupement suffit logiquement pour caractériser une participation à un groupement violent. Par sa rédaction, l’article 222-14-2 du code pénal permet lui aussi cette solution, dans la mesure où la participation au groupement est distincte des actes matériels caractérisant la préparation des infractions. En effet, l’article n’exige pas que la participation au groupement se double d’une participation aux actes préparatoires des infractions visées par le texte. La rédaction de l’incrimination justifie donc la solution retenue par la chambre criminelle. Cela étant, on ne peut s’empêcher de se demander si les juges du fond n’en sont pas venus à mêler, eux, les deux exigences lorsqu’ils retiennent que le prévenu « connaissait l’intention [du collectif] de commettre des dégradations et s’était préparé à y participer » (pt 14). La formulation de la cour d’appel laisse d’ailleurs subsister un doute : les juges voulaient-ils se servir de cette préparation au titre de la participation au groupe ou de la participation à la préparation des infractions ? L’utilisation du pronom « y » semble plaider en faveur d’une participation à la préparation des dégradations. On rappellera pourtant que ce n’est pas la participation à l’infraction projetée qui doit être caractérisée, mais bien la préparation de cette infraction projetée.

Ensuite, en dépit de son absence de caractère surprenant, la solution n’en reste pas moins regrettable au regard du principe de matérialité de l’incrimination qui requiert un comportement extérieur revêtu d’un potentiel nuisible (A. Roques, op. cit., spéc. nos 17 à 20). Or, en permettant la répression de celui qui participe à un groupement, même formé de façon temporaire et sans avoir commis un acte préparatoire, du moment qu’il avait connaissance que d’autres avaient commis de tels actes, le législateur et, avec lui, la jurisprudence, dérogent à ce principe (A. Roques, op. cit., n° 314 ; v. égal., C. Le Roux, L’incrimination du projet criminel, Nantes Université, 2024, n° 133). En effet, cela revient à incriminer la seule adhésion au projet criminel puisque la « participation » de l’article 222-14-2 peut consister en une seule connaissance du projet criminel. Dès lors, s’entourer en toute connaissance de cause de personnes poursuivant ce projet criminel revient à partager ledit projet. Lorsque l’on sait que l’infraction de participation à un groupement violent est particulièrement mobilisée en matière de manifestation, par la facilité de sa démonstration et par les outils procéduraux qu’elle permet (v. C. Le Roux, op. cit., spéc. nos 370 s.), on peut regretter que la Cour de cassation n’ait pas circonscrit la participation au groupement à une participation matérielle. Cela étant, sur cette infraction, il est vrai que « le reproche doit être adressé au législateur et non à la Cour de cassation » (S. Detraz, Quand la préparation à plusieurs d’actes de violence est déduite de la commission d’un vol en réunion, Gaz. Pal. 2021. 55).

Enfin, la solution de la Cour alimente la confusion entre l’élément matériel et l’élément moral de l’infraction. En érigeant la connaissance de faits matériels commis par d’autres en mode de participation au groupement, elle crée une forme de participation intellectuelle pour une infraction requérant déjà une « intention au carré » (C. Le Roux, op. cit., n° 170) : celle de vouloir participer à un groupement qui a pour but la préparation d’infractions. En l’absence d’accomplissement personnel de faits matériels caractérisant la préparation d’infractions, le juge pourra d’abord caractériser la connaissance de faits caractérisant la préparation commis par d’autres au titre de la participation supposée constituer l’élément matériel, puis caractériser l’élément moral avec la volonté de participer au groupement dans le but de préparer des infractions (comme c’était le cas en l’espèce, cette intention duale ayant été caractérisée par les juges du fond, pt 14). Cette forme de triple intention est-elle supposée pallier l’absence de toute matérialité ? Il reste qu’il aurait été davantage souhaitable de consolider l’élément matériel de l’incrimination… Que reste-t-il de ce dernier dans l’hypothèse d’une participation intellectuelle ?

Ainsi, en matière de participation à un groupement violent, accomplissement personnel de faits matériels et connaissance de ceux d’autrui se valent. Il ne reste alors qu’à vivement recommander aux manifestants poursuivis sous ce chef de prévention de faire valoir leur mobile politique, et d’invoquer une ingérence dans la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général dans les conditions de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence en résultant.

 

Crim. 5 févr. 2025, F-B, n° 24-80.051

© Lefebvre Dalloz