Précisions sur la requalification d’un contrat de travail intermittent en présence d’une UES

La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement d’un rappel de salaire fondée sur la requalification d’un contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale prévue par l’article L. 3245-1 du code du travail. L’accord collectif conclu dans le périmètre d’une unité économique et sociale (UES) est un accord d’entreprise, et peut dès lors fonder la conclusion de contrats de travail intermittent.

La licéité des contrats de travail intermittent a pu nourrir une jurisprudence désormais bien ancrée, venant borner le périmètre d’une sanction potentiellement lourde de conséquence pour l’employeur qui ne ferait pas preuve de vigilance. La requalification en CDI à temps plein est en effet encourue si les conditions relatives à la convention ou l’accord collectif venant fonder le CTI ne sont pas vérifiées, ou en l’absence pure et simple de ladite convention (Soc. 8 juin 2011, n° 10-15.087, Dalloz actualité, 8 juill. 2011, obs. J. Siro ; D. 2011. 1769  ; Dr. soc. 2011. 1205, note C. Roy-Loustaunau ). Ainsi a-t-il été jugé que la convention ou l’accord collectif prévoyant le recours au travail intermittent doit désigner de façon précise les emplois permanents qui peuvent être conclus par des contrats de travail intermittent (Soc. 27 juin 2007, n° 06-41.818 P, D. 2007. 2241, obs. C. Dechristé  ; Dr. soc. 2008. 496, obs. C. Roy-Loustaunau  ; RDT 2007. 735, obs. M. Véricel  ; 11 mai 2016, n° 15-11.382 P, Dalloz actualité, 30 mai 2016, obs. W. Fraisse ; D. 2016. 1085  ; RJS 7/2016, n° 531). La chambre sociale de la Cour de cassation avait également pu considérer qu’il résulte de l’article L. 2232-33 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qu’un accord de groupe ne peut valablement permettre le recours au contrat de travail intermittent, en sorte que la conclusion d’un tel contrat en application d’un accord de groupe est illicite et que le contrat doit être requalifié en contrat de travail à temps complet (Soc. 3 avr. 2019, n° 17-19.524 P, D. 2019. 766  ; RJS 6/2019, n° 393).

C’est, entre autres apports, ce que vient confirmer l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mars 2024.

En l’espèce, un salarié, engagé en qualité d’agent de sécurité qualifié, au moyen d’un CDI intermittent prévoyant des périodes travaillées et des périodes non travaillées et à raison d’une durée annuelle minimale de 120 heures, s’est vu licencié par la société qui l’employait.

L’existence d’une UES avait par ailleurs été reconnue par jugement du tribunal d’instance.

L’intéressé a saisi la juridiction prud’homale afin de contester le bien-fondé de la rupture de la relation de travail et de solliciter la requalification de son contrat de travail intermittent en un contrat à temps complet ainsi que la condamnation de son employeur à lui verser diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail. Les juges du fond lui donnèrent raison en prononçant la requalification du contrat intermittent en CDI à temps complet, de sorte que l’employeur forma un pourvoi en cassation.

Pour l’entreprise, la prescription devait être constatée concernant la demande en requalification, la cour d’appel ayant considéré quant à elle que l’action s’analysait en une réclamation en paiement de salaire soumise non à la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail mais à la prescription triennale applicable aux créances salariales prévue par l’article L. 3245-1 du code du travail.

Prescription de l’action en requalification

Sur ce terrain, la chambre sociale va rejeter la prétention de la société et valider le raisonnement tenu par les juges du fond en confirmant la jurisprudence antérieure en matière de prescription.

L’éminente juridiction va en effet rappeler que la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée (v. encore réc., Soc. 14 déc. 2022, n° 21-16.623 B, Dalloz actualité, 5 janv. 2023, obs. L. Malfettes ; D. 2023. 12  ; ibid. 408. Chron. S. Ala, M.-P. Lanoue, D. Le Corre et M.-A. Valéry ), l’action en paiement d’un rappel de salaire fondée sur la requalification d’un contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale prévue par l’article L. 3245-1 du code du travail.

En l’espèce, il convenait ainsi de considérer la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps complet comme s’analysant en une réclamation en paiement de salaire, soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail.

La nécessité de justifier d’un accord d’entreprise

Était encore invoqué par l’employeur le fait que les juges du fond avaient à tort considéré que la conclusion du contrat intermittent n’était en l’espèce permise par aucun accord collectif de travail étendu, ni convention ou accord d’entreprise ou d’établissement applicable. Des contrats de travail intermittent peuvent en effet être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et non travaillées (C. trav., art. L. 3123-31, dans sa rédaction ant. à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, aujourd’hui devenu, après léger remaniement, l’art. L. 3123-38).

Le contrat de travail intermittent conclu malgré l’absence d’une telle convention ou d’un tel accord collectif est illicite et doit être requalifié en contrat de travail à temps complet.

Or existait en l’espèce un accord signé par sept sociétés du groupe. La qualification juridique retenue par la Cour d’appel excluait ainsi celle d’accord d’entreprise, considérant qu’il s’agissait d’un accord de groupe. Erreur de raisonnement pour la Cour de cassation, qui va considérer que dans la mesure où l’accord était signé par sept sociétés du groupe, dont l’employeur, et que celles-ci constituaient une unité économique et sociale, l’accord devait s’entendre comme un accord d’entreprise prévoyant la possibilité de recourir à des contrats de travail intermittent.

La suffisante constatation d’un accord d’entreprise conclut à l’échelle d’une UES

Il faut en effet rappeler qu’il est aujourd’hui bien acquis en jurisprudence que les notions de groupe et d’UES sont incompatibles, sauf si leurs périmètres respectifs sont distincts (Soc. 20 oct. 1999, n° 98-60.398 P, D. 2000. 385 , obs. A. Arseguel  ; 30 mai 2001, n° 00-60.111 P ; 25 janv. 2006, n° 04-60.234 P, D. 2006. 393  ; Dr. soc. 2006. 468, obs. J. Savatier ).

Or en l’espèce, une UES avait été reconnue dans le périmètre considéré. L’éminente juridiction va donc en déduire que l’accord collectif conclu dans le périmètre d’une UES est un accord d’entreprise.

Le visa mobilisé – l’article L. 2322-4 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 – qui prévoyait que lorsqu’une UES regroupant cinquante salariés ou plus était reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d’un comité d’entreprise commun était obligatoire, pourrait conduire à s’interroger sur la portée de la solution.

L’article étant désormais abrogé et le comité social et économique devant être mis en place dès le franchissement des onze salariés, la portée de la solution pourrait porter à interrogation. L’interrogation sera assez vite écartée en ce que l’article L. 2313-8 dispose désormais que « lorsqu’une unité économique et sociale regroupant au moins onze salariés est reconnue par accord collectif ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, un comité social et économique commun est mis en place. » La solution nous apparaît donc applicable pour l’avenir, seul le visa textuel ayant vocation à évoluer.

Il conviendra donc, pour l’employeur qui évolue dans un environnement groupe où coexiste une UES, de se montrer particulièrement vigilant du cadre dans lequel l’accord fondant le recours au contrat de travail intermittent est conclu, afin d’éviter tout risque de requalification si aucun accord de branche n’est par ailleurs applicable.

 

Soc. 13 mars 2024, FS-B, n° 22-14.004

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