Précisions sur l’application dans le temps de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique relatif à la réparation du préjudice de contamination transfusionnelle au virus de l’hépatite C
Créé en 2008 afin de confier à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la réparation du préjudice de contamination transfusionnelle au virus de l’hépatite C, l’article L. 1221-14 du code de la santé publique a été modifié à plusieurs reprises, ce qui peut parfois rendre délicate son application dans le temps, comme en témoigne l’arrêt rendu le 25 septembre dernier par la première chambre civile.
La question de la réparation du préjudice de contamination transfusionnelle au virus de l’hépatite C a donné lieu à de nombreux rebondissements : tout l’enjeu était de déterminer qui devait indemniser les victimes. Initialement, les centres de transfusion sanguine pouvaient être mis en cause par les victimes ou leurs ayants droit. Puis, la responsabilité fut déplacée vers l’Établissement français du sang (EFS), avec la loi du 1er juillet 1998 (Loi n° 98-535 du 1er juill. 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme) et l’ordonnance du 1er septembre 2005 (Ord. n° 2005-1087 du 1er sept. 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine). Finalement, après les lois du 17 décembre 2008 (Loi n° 2008-1330 du 17 déc. 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009) et du 20 décembre 2010 (Loi n° 2010-1594 du 20 déc. 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011), l’ONIAM s’est substitué à l’EFS. Cette compétence de l’Office s’explique par le fait que depuis la loi du 9 août 2004 (Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique), la réparation du préjudice de contamination par le sang du VIH lui incombe. Or, il n’y avait aucune raison de traiter différemment les victimes de l’hépatite C et les victimes du VIH (J.-M. Pontier, mise à jour L. Williatte, Lamy Droit de la santé, n° 564-69, v° Indemnisation par la solidarité nationale). C’est aujourd’hui l’article L. 1221-14 du code de la santé publique qui détermine les modalités d’indemnisation des victimes de contamination transfusionnelle au virus de l’hépatite C. Cet article ayant été modifié, complété, à plusieurs reprises, la question de son application dans le temps est parfois délicate, en particulier lorsqu’une action juridictionnelle est en cours depuis plusieurs dizaines d’années, comme c’est le cas dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 25 septembre 2024.
En 1999, une patiente a appris qu’elle était contaminée par le virus de l’hépatite C. Imputant cette contamination à deux transfusions reçues en 1983 et 1985, pour lesquelles les produits sanguins ont été fournis par plusieurs centres de transfusion, elle a sollicité devant la juridiction administrative le paiement d’une provision par l’EFS. Le versement de cette provision a été mis à la charge de l’ONIAM, substitué à l’EFS depuis la loi du 17 décembre 2008. L’Office a également conclu une transaction avec la victime, qui l’avait saisi d’une demande amiable d’indemnisation complémentaire. En parallèle, l’EFS a assigné en garantie l’assureur de l’un des centres de transfusion sanguine, puis c’est l’ONIAM, substitué à l’EFS, qui a sollicité le remboursement des sommes versées à la victime.
Le 1er juillet 2016, la Cour d’appel de Paris a rejeté la demande de l’ONIAM, au motif qu’il n’était pas établi que le produit sanguin fourni par le centre poursuivi en remboursement était contaminé. Un premier pourvoi en cassation a été formé. Le 20 septembre 2017, la première chambre civile a statué une première fois sur cette affaire (Civ. 1re, 20 sept. 2017, n° 16-23.451 FS-P+B, Dalloz actualité, 6 oct. 2017, obs. A. Hacene ; D. 2017. 1976
; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
; RTD civ. 2018. 136, obs. P. Jourdain
). La Haute juridiction a cassé la solution rendue par les juges du fond en ce qu’ils ont rejeté la demande de remboursement de l’ONIAM, et a renvoyé les parties devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée. Le 11 juin 2019, la Cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi après cassation, a condamné l’assureur à rembourser à l’Office l’intégralité des sommes versées à la victime. Un nouveau pourvoi a été formé, à l’initiative de l’assureur. Le 9 décembre 2020, la première chambre civile a de nouveau cassé et annulé la solution des juges du fond, en considérant que ces derniers auraient dû tenir compte du fait que d’autres établissements avaient fourni des produits sanguins dont l’innocuité n’avait pas été établie. Pour la Haute juridiction, lorsque plusieurs produits sont en cause et proviennent de centres de transfusion différents, l’assureur ne doit sa garantie que dans la limite des seuls produits fournis par son assuré et ne peut donc pas être condamné à rembourser à l’ONIAM l’intégralité des sommes (Civ. 1re, 9 déc. 2020, n° 19-20.315 F-D). L’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Versailles. Cette dernière a condamné l’assureur à garantir l’ONIAM de l’intégralité des sommes versées à la victime. Les juges du fond ont ainsi fait application de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, qui prévoit que l’assureur ne peut pas limiter sa garantie au nombre de produits sanguins fournis par son assuré. Autrement dit, les assureurs sont tenus solidairement de garantir l’Office. Un nouveau pourvoi a été formé par l’assureur, à l’occasion duquel ce dernier a demandé à la Haute juridiction de renvoyer au Conseil constitutionnel trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité du huitième alinéa de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique. En substance, l’assureur a argué du fait que la garantie solidaire des assureurs des centres de transfusion ne serait pas conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution. Le 14 novembre 2023, la première chambre civile a considéré que la disposition en cause – l’article L. 1221-14, alinéa 8, du code de la santé publique – n’était pas applicable au litige. Par conséquent, l’une des conditions de transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel n’était pas remplie et les questions ont été déclarées irrecevables (Civ. 1re, 14 nov. 2023, n° 23-14.577 F+B, v. nos obs., Dalloz actualité, 28 nov. 2023 ; D. 2024. 1671
). La transmission de la QPC étant écartée, la première chambre civile statue de nouveau, le 25 septembre 2024. La Haute juridiction casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, et réitère la solution qu’elle avait déjà rendue en décembre 2020 : en l’espèce, l’assureur ne doit sa garantie que dans la limite des seuls produits fournis par son assuré et non pour le tout. Ce faisant, la Cour de cassation rappelle les modalités d’application dans le temps de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique.
Substitution de l’ONIAM à l’EFS : application aux instances en cours au 1er juin 2010
Comme le rappelle la première chambre civile, la compétence de l’ONIAM en matière d’indemnisation du préjudice de contamination transfusionnelle au virus de l’hépatite C s’est réalisée en plusieurs étapes. D’abord, l’article L. 1221-14 du code de la santé publique a été créé par la loi du 17 décembre 2008. Cet article a mis à la charge de l’Office la réparation de ce préjudice, et il est applicable aux actions juridictionnelles engagées à compter du 1er juin 2010. Pour ce qui est des actions en cours au 1er juin 2010, des dispositions transitoires prévoient la possibilité pour le demandeur de solliciter un sursis à statuer, afin de bénéficier de la procédure amiable instaurée. La loi du 17 décembre 2012 est ensuite venue compléter les dispositions de la loi de 2008, en inscrivant dans l’article L. 1221-14 du code de la santé publique la possibilité pour l’ONIAM de solliciter la garantie des assureurs des centres de transfusion. Plus précisément, le texte précise que les assureurs doivent leur garantie à l’Office lorsque l’origine transfusionnelle de la contamination est admise, que l’établissement qu’ils assurent a fourni au moins un produit à la victime et que la preuve que ce produit n’était pas contaminé n’a pas pu être rapportée. À cette triple condition, l’ONIAM bénéficie donc d’un recours subrogatoire contre les établissements de transfusion sanguine. En l’espèce, la contamination au virus de l’hépatite C ayant été découverte en 1999 et la première solution de cour d’appel ayant été rendue en 2016, l’action juridictionnelle était vraisemblablement en cours au 1er juin 2010. Il y avait donc lieu d’appliquer les dispositions transitoires énoncées plus haut : le demandeur pouvait solliciter un sursis à statuer et bénéficier de la procédure instaurée par l’article L. 1221-14 du code de la santé publique, ce qui a visiblement été le cas puisque c’est l’ONIAM qui a indemnisé la victime. Dans un second temps, l’Office peut exercer son recours subrogatoire. Mais la difficulté réside dans le fait que, dans sa rédaction issue des lois de 2008 et 2012, l’article L. 1221-14 du code de la santé publique reste muet sur l’étendue de ce recours dans l’hypothèse, en pratique assez fréquente, où il y aurait plusieurs établissements de transfusion qui auraient fourni des produits sanguins.
Garantie solidaire des assureurs : application aux actions engagées à partir du 1er juin 2010
L’article L. 1221-14 du code de la santé publique a été modifié une nouvelle fois avec la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020. Désormais, l’alinéa 8 de l’article précise que l’assureur ne peut pas limiter sa garantie au nombre de produits sanguins fournis par son assuré. Autrement dit, les assureurs d’établissements de transfusion sanguine qui ont fourni au moins un produit à la victime, dont l’innocuité n’est pas démontrée, sont tenus solidairement de garantir l’Office. En cas de pluralité d’établissements, et donc de pluralité d’assureurs, l’ONIAM peut ainsi agir contre n’importe lequel des assureurs, qui sera tenu de le rembourser pour la totalité de la somme versée. Mais cette solution n’est applicable qu’aux actions engagées à compter du 1er juin 2010, et il n’existe pas, cette fois, de dispositions transitoires. Pour les actions engagées avant le 1er juin 2010, c’est l’ancienne solution, précisée par la jurisprudence, qui prévaut. La garantie de l’assureur n’est due qu’au titre des seuls produits fournis par l’assuré, et il incombe au juge de tenir compte de la fourniture par d’autres établissements de transfusion sanguine de produits sanguins dont l’innocuité n’a pas pu être établie (Civ. 1re, 22 mai 2019, n° 18-13.934 FS-P+B+I, D. 2019. 1110
). Avant le 1er juin 2010, point de solidarité : l’assureur doit sa garantie dans la limite des produits fournis par son assuré. Si un autre établissement a fourni des produits sanguins dont l’innocuité n’est pas démontrée, alors l’Office qui agit en remboursement doit diviser ses poursuites. Or, en l’espèce, l’ONIAM a sollicité la garantie de l’assureur le 22 février 2010. En l’absence de dispositions transitoires, cette action reste soumise à l’ancienne solution. L’article L. 1221-14, alinéa 8, du code de la santé publique n’est pas applicable et l’assureur ne peut être tenu pour le tout. La solution des juges du fond est donc censurée par la Cour de cassation et l’affaire est renvoyée, une nouvelle fois, devant la Cour d’appel de Versailles autrement composée.
Face aux difficultés que peut soulever la question de l’application dans le temps des dispositions de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique, la première chambre civile fait, dans cet arrêt du 25 septembre 2024, œuvre de pédagogie. La Cour rappelle que, s’agissant de la substitution de l’ONIAM à l’EFS, des dispositions transitoires existent et permettent cette substitution dans les instances en cours, de telle sorte que les victimes puissent bénéficier de cette procédure amiable. Ces dernières sont ainsi doublement préservées. D’abord, elles sont intégralement indemnisées par l’ONIAM et ne pâtissent pas du fait que plusieurs centres de transfusion sanguine soient impliqués. Ensuite, le « casse-tête » que peut être l’application dans le temps de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique ne leur nuit pas. À partir du moment où leur action est en cours au 1er juin 2010, elles peuvent être indemnisées par l’Office, qui exercera ensuite son recours subrogatoire contre les assureurs des centres de transfusion sanguine. En revanche, nulle disposition transitoire pour ce qui est de la garantie solidaire de ces assureurs. Cette garantie ne vaut que pour les actions engagées à compter du 1er juin 2010. Quant à la question de savoir si cette garantie solidaire est constitutionnelle, il faudra encore attendre pour y répondre.
Civ. 1re, 25 sept. 2024, F-B, n° 23-14.577
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