Précisions sur le bénéfice des avantages collectifs des salariés transférés
L’employeur ne peut refuser aux salariés transférés le bénéfice, dans l’entreprise d’accueil, des avantages collectifs, qu’ils soient instaurés par voie d’accords collectifs, d’usages ou d’un engagement unilatéral de l’employeur, au motif que ces salariés tiennent des droits d’un usage ou d’un engagement unilatéral en vigueur dans leur entreprise d’origine au jour du transfert ou des avantages individuels acquis en cas de mise en cause d’un accord collectif.
Il est aujourd’hui acquis que les salariés dont le contrat de travail est transféré dans le cadre de l’article L. 1224-1 du code du travail peuvent prétendre au maintien par leur nouvel employeur du bénéfice des engagements unilatéraux en vigueur au jour du transfert, sont-ils également en droit de bénéficier immédiatement des engagements unilatéraux en vigueur dans l’entreprise d’accueil dès lors qu’ils remplissent les conditions pour en bénéficier ? Telle était la question posée à l’occasion des affaires ayant donné lieu à deux arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation le 22 mai 2024.
Dans les espèces, des salariés ingénieurs avaient dans chaque cas été informés par leur employeur de ce que leur contrat de travail allait être transféré. Dans un cas, à raison de la qualité de salarié protégé de l’intéressé, l’inspecteur du travail a donné son autorisation à ce transfert (n° 22-14.984). Dans l’autre, le salarié s’est vu licencier dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi qui suivit le transfert (n° 23-10.214).
Les deux salariés saisirent chacun la juridiction prud’homale d’une demande en paiement d’un rappel de bonus « corporate » applicable dans l’entreprise d’accueil et dont ils n’avaient pas été bénéficiaires en 2014, soit l’année qui suivit l’opération de transfert.
Déboutés de leurs demandes, ils formèrent dans les deux affaires un pourvoi en cassation.
La chambre sociale de la Cour de cassation va dans les deux cas, au visa de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de l’article L. 1224-1 du code du travail, censurer la décision d’appel.
Le code civil pose en effet le principe selon lequel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, là où, dans le même temps, le code du travail prévoit que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.
La lecture combinée de ces textes conduit en effet l’éminente juridiction à rappeler le principe selon lequel l’employeur ne peut refuser aux salariés transférés le bénéfice, dans l’entreprise d’accueil, des avantages collectifs, qu’ils soient instaurés par voie d’accords collectifs, d’usages ou d’un engagement unilatéral de l’employeur, au motif que ces salariés tiennent des droits d’un usage ou d’un engagement unilatéral en vigueur dans leur entreprise d’origine au jour du transfert ou des avantages individuels acquis en cas de mise en cause d’un accord collectif.
Le bénéfice des avantages collectifs issus d’engagement unilatéraux de l’entreprise d’accueil
Or, dans chacun des cas, les juges du fond avaient limité le paiement d’une certaine somme au titre d’un rappel de bonus « corporate », rejetant l’application d’un engagement unilatéral applicable dans l’entreprise d’accueil prévoyant un nouveau taux applicable à la catégorie des ingénieurs et cadres dont les demandeurs relevaient.
Démarche censurée par la chambre sociale, qui va constater que la cour d’appel n’avait précisément pas recherché si les conditions dans lesquelles la société avait décidé de verser un bonus calculé selon un mode prédéterminé ne caractérisaient pas de sa part un engagement unilatéral auquel le salarié dont le contrat de travail était transféré pouvait prétendre à titre d’avantage collectif.
La chambre sociale va en outre préciser dans l’une des espèces par une formule sans ambages que si l’employeur est légalement tenu de maintenir les avantages issus d’un engagement unilatéral en vigueur au jour du transfert dont jouissaient les salariés transférés, il « ne peut refuser à ces mêmes salariés le bénéfice des avantages résultant d’engagements unilatéraux en vigueur au sein de l’entreprise d’accueil ».
Cette solution est importante en ce qu’elle n’allait pas de soi. Il est en effet classique que par le simple effet du transfert d’entreprise, la société absorbante est tenue des engagements unilatéraux pris par la société absorbée (Soc. 19 janv. 1999, n° 96-44.688 P, D. 1999. 40
; Dr. soc. 1999. 315, obs. P. Langlois
; RJS 2/1999, n° 411), mais que le nouvel employeur n’est toutefois tenu d’appliquer les usages et les engagements unilatéraux pris par l’ancien employeur qu’à l’égard des salariés dont le contrat de travail était en cours au jour du transfert (Soc. 7 déc. 2005, n° 04-44.594 P, D. 2006. 1867
, note G. Loiseau
; ibid. 410, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, P. Lokiec et E. Peskine
; Dr. soc. 2006. 232, obs. J. Savatier
; RTD civ. 2006. 765, obs. J. Mestre et B. Fages
).
Pour autant, le salarié transféré se voit dans une position où lui est alors possiblement ouvert le bénéfice à la fois du statut collectif antérieur et de celui de l’entreprise d’accueil. La jurisprudence avait en effet déjà eu l’occasion de préciser qu’en cas de transfert d’entreprise, l’employeur entrant ne peut pas subordonner le bénéfice dans l’entreprise d’accueil des avantages collectifs, qu’ils soient instaurés par voie d’accords collectifs, d’usages ou d’un engagement unilatéral de l’employeur, à la condition que les salariés transférés renoncent aux droits qu’ils tiennent d’un usage ou d’un engagement unilatéral en vigueur dans leur entreprise d’origine au jour du transfert ou qu’ils renoncent au maintien des avantages individuels acquis en cas de mise en cause d’un accord collectif (Soc. 13 oct. 2016, n° 14-25.411 P, Dalloz actualité, 16 nov. 2016, obs. J. Siro ; D. 2016. 2220
; Dr. soc. 2017. 552, étude A. Donnette-Boissière, S. Selusi-Subirats et B. Siau
).
Les employeurs devront désormais, lorsqu’ils sont confrontés à l’intégration de salariés à la suite d’une opération de fusion/acquisition, considérer l’applicabilité du régime collectif applicable en leur sein sans pouvoir opposer l’existence d’un statut collectif déjà applicable à la population transférée. Aussi, le principe de faveur devrait avoir vocation à s’appliquer lorsqu’un avantage de même nature est prévu dans les deux statuts collectifs pour déterminer celui qui aura vocation à être appliqué aux salariés transférés. Tel était en l’occurrence le cas s’agissant du bonus litigieux, dont le statut collectif antérieur fixait le taux à 5 %, là où l’engagement unilatéral de l’entreprise d’accueil avait fait le choix de le positionner à 10 %.
Soc. 22 mai 2024, FS-B, n° 22-14.984
Soc. 22 mai 2024, FS-B, n° 23-10.214
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