Précisions sur le point de départ des intérêts de la récompense liquidée selon le profit subsistant
Les intérêts d’une récompense calculée d’après le profit subsistant courent à compter de l’aliénation lorsque le bien a été aliéné entre la dissolution du régime et sa liquidation sans qu’un nouveau bien ne lui ait été subrogé.
 
                            Il est rare que les décisions de la Cour de cassation mettent tout le monde d’accord, mais ce revirement de jurisprudence du 12 juin 2025 pourrait bien en être un exemple. Très attendue, la solution est conforme aux préconisations de la doctrine et aux souhaits des praticiens, ce qui justifie une publication au Bulletin et la mise à disposition du rapport du conseiller référendaire et de l’avis de l’avocate générale.
Deux époux étaient mariés en 1999 sous le régime légal de la communauté d’acquêts. Au cours du mariage, l’époux avait puisé dans la communauté pour rembourser une partie du crédit immobilier afférant à un immeuble qu’il détenait en propre, se rendant ainsi débiteur d’une récompense sur le fondement de l’article 1437 du code civil. Le divorce fut prononcé en 2014 et des difficultés apparurent dans le cadre du règlement des intérêts patrimoniaux des parties. L’immeuble propre fut vendu le 6 février 2018 sans que le produit de la vente ne soit remployé. Un jugement rendu en 2021, confirmé par la Cour d’appel de Versailles le 22 avril 2022, fixa la récompense à 81 076 € avec intérêts au taux légal à compter du jour de l’aliénation de l’immeuble, soit le 6 février 2018.
Insatisfait, le débiteur forma un pourvoi en cassation selon le moyen qu’en application de l’alinéa 2 de l’article 1473 du code civil, les intérêts ne devraient courir qu’au jour de la liquidation en 2022 et non de l’aliénation en 2018.
L’occasion fut ainsi offerte à la première chambre civile de la Cour de cassation de clarifier le régime des récompenses évaluées d’après le profit subsistant : en cas d’aliénation du bien entre la dissolution et la liquidation du régime matrimonial, les intérêts courent-ils au jour de l’aliénation ou de la liquidation ?
Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation énonce un attendu de principe que beaucoup d’observateur attendaient : « les intérêts d’une récompense, évaluée selon les règles de l’article 1469, alinéa 3, du code civil, courent, lorsque le bien a été aliéné entre la date de la dissolution de la communauté et celle de la liquidation du régime, sans qu’un nouveau bien lui ait été subrogé, à compter du jour de l’aliénation, qui détermine le profit subsistant ».
Ce positionnement mérite d’être approuvé et expliqué.
Lorsqu’en 1965 la communauté d’acquêts fut instituée régime légal, il fut décidé que le montant des récompenses ne pourrait être moindre que le profit subsistant pour les dépenses d’acquisition, d’amélioration et de conservation (C. civ., art. 1469, al. 3). Dans le même temps, le nouvel article 1473 du code civil prévoyait que les « récompenses dues par la communauté ou à la communauté emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution ». L’application combinée de ces deux dispositions était très défavorable au débiteur de la récompense : non seulement le montant du capital augmentait à due proportion de la valeur du bien, mais il générait des intérêts depuis la dissolution du régime matrimonial. L’assiette des intérêts reposant sur une base variable, leur calcul s’avérait extrêmement complexe.
La Cour de cassation avait donc décidé d’amender la règle en prévoyant que lorsque la récompense est déterminée en fonction du profit subsistant, les intérêts ne courent « qu’à partir du jour où le profit qui l’a fait naître est constaté par l’évaluation qui en est faite » (Civ. 1re, 17 juill. 1984 P, D. 1984. 477, note G. Morin ; JCP N 1985. II. 25, note P. Rémy). La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 intégra cette règle au sein d’un nouvel alinéa de l’article 1473 du code civil : « Toutefois, lorsque la récompense est égale au profit subsistant, les intérêts courent du jour de la liquidation ». L’idée est assez simple : les intérêts ne sont dus qu’à compter du moment où la récompense devient liquide, c’est-à-dire chiffrée.
La loi ne prévoyait cependant pas l’hypothèse dans laquelle le bien aurait été aliéné sans subrogation. D’un côté, la Cour de cassation avait décidé en 2007 qu’en pareille hypothèse le cours des intérêts ne débutait qu’à la liquidation du régime au terme d’un arrêt fort critiqué (Civ. 1re, 26 sept. 2007, n° 06-15.954 P, JCP 2007. IV. 2928 ; Gaz. Pal. 2008, n° 327, p. 51, note V. Hazout et J. Casey ; F. Terré et P. Simler, 6e éd°, Les régimes matrimoniaux, Dalloz, coll. « Précis », 2011). D’un autre côté, un arrêt rendu en 2015 avait confirmé une décision de 2004 retenant une solution inverse s’agissant des créances entre époux (Civ. 1re, 13 juill. 2004, n° 02-21.373, inédit ; 23 sept. 2015, n° 14-15.428 P, Dalloz actualité, 7 oct. 2015, obs. V. Da Silva ; D. 2016. 583  , note T. Douville
, note T. Douville  ; ibid. 674, obs. M. Douchy-Oudot
 ; ibid. 674, obs. M. Douchy-Oudot  ; AJ fam. 2015. 621, obs. P. Hilt
 ; AJ fam. 2015. 621, obs. P. Hilt  ; RTD civ. 2015. 923, obs. M. Grimaldi
 ; RTD civ. 2015. 923, obs. M. Grimaldi  ; ibid. 928, obs. B. Vareille
 ; ibid. 928, obs. B. Vareille  ). Les auteurs avaient salué la décision et appelé à une transposition en matière de récompense (M. Grimaldi, RTD civ. 2015. 923
). Les auteurs avaient salué la décision et appelé à une transposition en matière de récompense (M. Grimaldi, RTD civ. 2015. 923  ; B. Vareille, RTD civ. 2015. 928
 ; B. Vareille, RTD civ. 2015. 928  ; G. Yildirim, LPA 29 mai 2017, p. 14 ; A. Denizot, JCP N 2016. 1003 ; T. Douville, D. 2016. 583
 ; G. Yildirim, LPA 29 mai 2017, p. 14 ; A. Denizot, JCP N 2016. 1003 ; T. Douville, D. 2016. 583  ; J. Souhami, Defrénois 2016. 84, n° 6 ; B. Beignier et S. Torricelli-Chrifi, Dr. fam. 2015. Comm. 219 ; B. Ducene, Gaz. Pal. 2016, n° 1, p. 59).
 ; J. Souhami, Defrénois 2016. 84, n° 6 ; B. Beignier et S. Torricelli-Chrifi, Dr. fam. 2015. Comm. 219 ; B. Ducene, Gaz. Pal. 2016, n° 1, p. 59).
C’est désormais chose faite. Il faut s’en réjouir tant il semblait anormal qu’une dette dont le montant est à la fois connu et définitif ne soit point productive d’intérêts.
En clair, il existe deux manières d’indemniser le débiteur de l’érosion monétaire : soit en appliquant un taux d’intérêt sur une valeur nominale, soit retenant la dette de valeur. Les deux systèmes ne se cumulent pas mais peuvent se relayer : le valorisme prévaut tant que le bien reste dans la masse emprunteuse ; le nominalisme avec intérêts a vocation à s’appliquer dès que le bien est aliéné ; le valorisme reprend du service si un nouveau bien subroge le premier, et ainsi de suite.
On pourrait objecter, qu’il n’est pas permis de distinguer là où la loi ne distingue pas : l’article 1473 du code civil ne faisant aucune différence entre un bien aliéné et un bien conservé, une application littérale du texte aboutit à ne faire courir le droit aux intérêts qu’à date de la liquidation quelle que soit la configuration. La loi établit bel et bien une distinction. Elle se trouve à l’alinéa 3 de l’article 1469 selon lequel « si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, sans qu’un nouveau bien ait été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué au jour de l’aliénation ». C’est pourquoi la Cour, prend soin de statuer d’après la combinaison des articles 1469, alinéa 3 et 1473, alinéa 2, et non d’après ce dernier texite uniquement.
On pourra également faire remarquer que les récompenses sont des opérations liquidatives s’inscrivant dans un compte global et qu’elles ont vocation à se compenser entre elles à la liquidation, de sorte qu’il est étrange de faire courir les intérêts avant cette date. Néanmoins ce serait oublier que lorsque la récompense se règle d’après la dépense faite, les intérêts courent à compter de la dissolution du régime sans égard à une potentielle compensation résultant de l’entrée en compte (Civ. 1re, 19 nov. 2008, n° 06-19.612, inédit ; LPA 30 nov. 2009, p. 19, obs. A. Chamoulaud-Trapiers, 2e esp. ; 14 mai 1996, n° 94-11.644 P). Ainsi la méthode liquidative en vigueur consiste-t-elle à faire courir les intérêts de chaque récompense puis à les compenser entre eux (Civ. 1re, 15 juill. 1981, n° 80-10.318 P, JCP N 1982. II. 34, note P. Rémy ; 15 mai 2008, n° 07-14.797 et n° 07-15.102 ; LPA 30 nov. 2009, p. 19, obs. A. Chamoulaud-Trapiers, 1re esp. ; sur cette méthode, v. Rép. civ., v° Communauté légale : liquidation et partage, par B. Vareille, n° 513).
Pour autant, il serait faux de croire que le régime des créances et des récompenses est désormais harmonisé sur la question du cours des intérêts. Certes, dans les deux cas la Cour de cassation considère que lorsque la créance se règle d’après le profit subsistant les intérêts courent à compter de l’aliénation s’il n’y a pas eu subrogation. Cependant cette solution ne vaut, en matière de récompense, qu’à la condition que le bien ait été aliéné après la dissolution du régime, limite qui n’existe pas s’agissant des créances conjugales.
Cette différence est expliquée par le professeur Champenois (G. Champenois, Le point de départ des intérêts d’une créance entre époux, Defrénois 2016. 182), cité dans le rapport du conseiller référendaire, lequel s’étonne de la réticence de cet auteur à transposer purement et simplement le régime des intérêts des créances à celui des récompenses. Cette réserve pourtant s’explique très bien. Pour en prendre la mesure, il faut comprendre que les intérêts ne peuvent courir qu’à la double condition que la dette soit liquide et exigible (il en va de même en matière de rapport – C. civ., art. 856, al 2 – et réduction des libéralités – C. civ., art. 924-3, al. 2).
Le caractère liquide s’apprécie de la même manière pour les créances et les récompenses : elles sont liquides au jour de la dépense si elles se règlent d’après la dépense faite et au jour de l’alinéation si elles se déterminent d’après le profit subsistant et qu’aucun bien n’a été subrogé.
En revanche, la date d’exigibilité n’est pas la même en matière de créances et de récompenses. Parce qu’elles sont des opérations de liquidation-partage, les récompenses ne sont exigibles qu’à compter de la dissolution du régime matrimonial. Les créances entre époux sont en revanche indépendantes du partage et leur remboursement peut être sollicité à tout moment : elles ne deviennent exigibles qu’à compter de la sommation. Ainsi, même si le bien a été aliéné sans être remplacé, le cours des intérêts de cette dette devenue liquide est suspendu si elle n’est pas exigible. Il faut alors attendre la sommation pour les créances entre époux (c’est le sens du propos du professeur Champenois) et la dissolution du régime pour les récompenses (ce qui explique la limitation opérée ici par la Cour de cassation).
En somme, les intérêts ne courent qu’à compter du jour où deux conditions cumulatives sont réunies : la dette doit être liquide et exigible (en ce sens, B. Vareille, Rép. civ., préc., n° 381). Cette grille de lecture commune ne gomme pourtant pas toutes les différences.
Civ. 1re, 12 juin 2025, FS-B, n° 24-12.552
par Quentin Guiguet-Schielé, Maître de conférences, Université Toulouse 1 Capitole
© Lefebvre Dalloz