Précisions sur le rôle du juge dans l’appréciation de la licéité de l’objet d’un syndicat

La liberté syndicale est consacrée par les articles 2, 3 et 8 de la Convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical du 9 juillet 1948, l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

En cas de contestation de la licéité de l’objet d’un syndicat, il appartient au juge de rechercher si le syndicat poursuit dans son action un objectif illicite.

En cas de contestation de la licéité de l’objet d’un syndicat, il appartient au juge de rechercher si le syndicat poursuit dans son action un objectif illicite (Soc. 12 juill. 2024, n° 24-60.173 FS-B, D. 2024. 1372 ; Dr. soc. 2024. 836, obs. F. Petit ). Cette règle récemment formalisée avec clarté en jurisprudence vient d’être rappelée par la chambre sociale de la Cour de cassation qui livre, par un arrêt du 25 septembre 2024, une lecture supplémentaire du rôle du juge dans le cas d’un syndicat poursuivant des buts politiques.

En l’espèce un salarié avait été désigné en qualité de représentant de section syndicale par l’Union des syndicats gilets jaunes (l’USGJ) au sein d’une société. Cette dernière avait alors saisi le tribunal judiciaire aux fins d’annulation de cette désignation.

Déboutée de sa demande, l’entreprise forma un pourvoi en cassation, que la chambre sociale de la Cour de cassation va rejeter au terme d’un raisonnement verbalisant le rôle du juge dans l’analyse de l’objet d’un syndicat lorsque la licéité de celui-ci est contestée.

Fondements de la liberté syndicale et licéité de l’objet

Il convient en effet de rappeler que la liberté syndicale est consacrée par les articles 2, 3 et 8 de la Convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical du 9 juillet 1948, l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Au-delà de ces textes supralégaux, la Haute juridiction va également viser le code du travail dans son article L. 2131-1, qui dispose que les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts.

Les Hauts magistrats vont en déduire qu’en cas de contestation de la licéité de l’objet d’un syndicat, il appartient au juge de rechercher si le syndicat poursuit dans son action un objectif illicite.

Une vérification in concreto de la licéité de l’objet syndical

Or, en l’espèce, les juges avaient estimé que la référence de l’USGJ au mouvement des gilets jaunes, qui n’est constitué ni sous forme de parti ni sous forme d’association ni sous aucune autre forme juridique, ne constituait qu’un positionnement idéologique et non la preuve que cette organisation poursuivrait des buts essentiellement politiques et ne serait que l’émanation d’un parti politique, et que la communauté d’idées avec un mouvement ou la sensibilité politique revendiquée par un syndicat ne saurait le priver de la qualité de syndicat dès lors qu’il agit dans l’intérêt qu’il considère être celui des salariés.

L’éminente juridiction va valider le raisonnement tenu par les juges du fond qui, sur cette base, reconnurent la qualité de syndicat à l’USGJ.

La jurisprudence avait en effet pu considérer qu’un groupement qui est l’instrument d’un parti politique qui est à l’origine de sa création et dont il sert exclusivement les intérêts et les objectifs en prônant des distinctions fondées sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique ne peut revendiquer la qualité de syndicat professionnel (Cass., ch. mixte, 10 avr. 1998 (3e arrêt), n° 97-17.870 P, GADT, 4e éd., n° 123 ; D. 1998. 389 , note A. Jeammaud ; AJFP 1998. 81 ; ibid. 82, note F. Mallol ; Dr. soc. 1998. 565, rapp. J. Merlin ). Ce qui conduit à porter également l’appréciation sur la condition de respect des valeurs républicaines.

Une appréciation circonstanciée du respect des valeurs républicaines

Un grief tenait encore en effet à ce que le syndicat litigieux procédait à l’organisation ou à la participation à des manifestations exprimant des opinions minoritaires ou non-conformistes et l’appel à la destitution du président de la République. Toutefois, ici encore, dans la mesure où ces éléments ne portaient pas atteinte aux valeurs républicaines, les juges en déduit l’absence de preuve d’un défaut de respect des valeurs républicaines par l’USGJ.

Partant, et dès lors que les statuts de l’organisation ne lui interdisaient pas d’intervenir dans une entreprise, il ne pouvait lui être reprochée la désignation du représentant.

Ce faisant, la chambre sociale adopte une appréciation relativement souple du périmètre syndical. En effet, la jurisprudence antérieure avait pu refuser le statut syndical à nombre d’associations, en particulier celles dont pouvait faire partie « tout salarié, quel que soit le type de son travail ou sa branche d’activité » (Soc. 8 oct. 1996, n° 95-40.521 P, D. 1996. 234 ; RTD civ. 1997. 507, obs. R. Perrot ). Il avait encore été précisé que si l’article L. 2131-2 excluait de la définition des syndicats les activités désintéressées, ne distinguant pas selon que les activités rémunérées concernées sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel (Soc. 13 janv. 2009, n° 07-17.692, Dalloz actualité, 28 janv. 2009, obs. B. Ines ; RJS 2009. 221, n° 256). L’on tempérera l’audace de la solution en ce que, s’il était certain que l’organisation appelait à la destitution du président, il n’était pas question de faire appel à la violence ou à un coup de force, et pouvait très bien s’interpréter à l’aune des mécanismes constitutionnels existants.

Aussi apparaît-il que la défiance à l’égard du pouvoir en place ne semble pas constituer, en soi, un obstacle dirimant à la reconnaissance syndicale, dès lors qu’elle s’opère en ménageant l’ordre public.

La solution s’inscrit par ailleurs dans le droit fil de la ligne esquissée jusqu’alors selon laquelle les syndicats ou associations professionnels regroupent des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou connexes, qui ont pour objet exclusif l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux tant collectifs qu’individuels des personnes mentionnées dans leurs statuts, ont la capacité d’ester en justice, dès lors qu’ils ont satisfait à l’obligation de dépôt de leurs statuts en mairie (Soc. 13 oct. 2010, n° 09-14418, JCP S 2011. 1010, obs. B. Gauriau). La souplesse concédée dans l’interprétation du critère de respect des valeurs républicaines nous semble directement corrélée à la dimension supralégale du droit syndical, qui du fait de ce positionnement ne peut supporter d’atteinte qu’à la marge, pour peu qu’elle soit proportionnée à un autre objectif ou droit de même dimension, au premier chef desquels peut être trouvé l’ordre public.

 

Soc. 25 sept. 2024, F-B, n° 23-16.941

Lefebvre Dalloz