Précisions sur l’étendue de l’obligation de reclassement de l’employeur en cas d’inaptitude du salarié

« L’employeur peut licencier le salarié s’il justifie du refus par celui-ci d’un emploi proposé dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2 du code du travail, conforme aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite ».

En matière d’inaptitude, consécutive à une maladie ou à un accident professionnel ou non, les articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du code du travail énoncent des principes en grande partie communs, à savoir que :

  • lorsque le salarié victime d’une maladie ou d’un accident est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ;
  • cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise ;
  • l’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Les articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12 ajoutent, dans des termes très proches, que :

  • lorsqu’il est impossible à l’employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement ;
  • l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2 ou L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ;
  • l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2 ou L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.

Inaptitude des salariés : un contentieux pléthorique

Cette problématique de l’inaptitude des salariés génère un contentieux important (pour des études récentes, E. Collob-Lefebvre et F. Patriat, Actualité de la procédure d’inaptitude, Cahiers Lamy du DRH, sept. 2023, p. 11 ; M. Abry-Durand, Bref panorama jurisprudentiel du licenciement pour inaptitude, RDT 2024. 104 ), notamment en ce qui concerne la recherche d’un poste de reclassement lorsque le médecin du travail ayant rédigé l’avis d’inaptitude n’a pas exclu la possibilité d’un reclassement. Il faut d’ailleurs relever que le contentieux prend parfois son origine dans une insuffisante clarté ou rigueur dans la rédaction de l’avis d’inaptitude, qui génère des interprétations divergentes par le salarié et l’employeur.

Dans ce cadre, il est certain qu’il appartient à l’employeur de procéder à une recherche loyale et sérieuse d’un poste de reclassement. Il a ainsi été jugé que si l’obligation de reclassement est réputée satisfaite – dans les conditions qui viennent d’être précisées – lorsque l’employeur a proposé un emploi, cette présomption ne joue que si l’employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail (Soc. 26 janv. 2022, n° 20-20.369, D. 2022. 221  ; BJT 2022, n° 3, p. 17, obs. S. Ranc). Précisons que pour éviter toute incertitude, l’employeur peut demander au médecin du travail si le poste de reclassement envisagé est bien compatible avec l’état de santé du salarié (Soc. 21 juin 2023, n° 21-24.279, Dalloz actualité, 11 juill. 2023, obs. S. Demay ; RDT 2023. 710, chron. M. Véricel  ; ibid. 2024. 104, chron. M. Abry-Durand  ; RJS 10/23 n° 343) ou même lui demander de valider le poste qu’il entend proposer au salarié (Soc. 27 mars 2019, n° 17-27.986, RJS 2019, n° 343).

Cependant, il arrive que le salarié refuse le poste de reclassement proposé par l’employeur alors pourtant qu’ont été respectées les préconisations du médecin du travail (v. de manière plus générale, A. Gardin, Le régime de l’inaptitude physique à l’épreuve de la volonté du salarié, RJS 2023. Chron. 1).

Dans une telle hypothèse, quelle est la conséquence d’un tel refus ? Faut-il considérer qu’il incombe à l’employeur de chercher un autre poste de reclassement compatible avec les préconisations de l’avis d’inaptitude ? Ou faut-il à l’opposé retenir que l’employeur a respecté son obligation de rechercher un poste de reclassement et que le refus du salarié d’occuper le poste proposé libère l’employeur de toute nouvelle obligation ?

Apporter une réponse à ces interrogations est délicat car il faut tenir compte des intérêts en présence, qui sont le plus souvent divergents.

C’est ce qui explique l’évolution du droit positif sur ce point.

Evolution du droit positif

La Cour de cassation a, un temps, énoncé une solution rigoureuse pour l’employeur : « le refus par le salarié d’un poste proposé par l’employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n’implique pas à lui seul le respect par celui-ci de cette obligation et (…) il lui appartient d’établir qu’il ne dispose d’aucun autre poste compatible avec l’inaptitude du salarié ainsi que de faire connaître par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement avant de procéder au licenciement » (Soc. 30 nov. 2010, n° 09-66.687, Dr. soc. 2011. 215, obs. F. Favennec-Héry  ; RJS 2011, n° 128 ; v. égal., B. Teyssié [dir.], Guide de la rupture du contrat de travail 24/25, LexisNexis, n° 1021).

Cette solution était à l’évidence protectrice des intérêts des salariés mais a pu être critiquée en ce qu’elle imposait aux employeurs une obligation étendue, même lorsqu’ils étaient de bonne foi ou lorsque la dimension très réduite de l’entreprise rendait vaine une nouvelle recherche d’un reclassement.

Ces critiques sont sans doute à l’origine de l’intervention du législateur. Par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, il a inséré, dans les articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12, le principe, précité, selon lequel l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2 ou L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail (sur ce point, A. Dejean de la Batie, Constat d’inaptitude : retour sur la portée de la réforme de 2016, JS Lamy 2023 n° 562-1).

Par son arrêt du 13 mars 2024, la chambre sociale tire, pour la première fois, les conséquences de cette réforme.

Dans cette affaire relevant des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 (maladie ou accident non professionnel), le médecin du travail avait retenu les conclusions suivantes à propos de la salariée : « inapte au poste et à tout poste à temps complet. Possibilité de reclassement à un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges ».

L’employeur avait alors proposé à la salariée un poste de caissière à mi-temps, en l’absence d’objection du médecin du travail sur la proposition de reclassement.

La salariée avait refusé cette proposition en raison de la baisse de rémunération qui en résultait.

Au regard de ces éléments, les juges du fond avaient retenu que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de recherche d’un reclassement et que le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, aux motifs que la proposition de poste d’une durée de dix-sept heures trente impliquait, malgré le maintien du taux horaire, une diminution substantielle de la rémunération de l’intéressée, engagée à temps complet, et que la salariée pouvait par conséquent légitimement refuser le poste proposé, entraînant, par la baisse de rémunération qu’il générait, une modification de son contrat de travail.

La décision d’appel est toutefois cassée car l’employeur avait proposé à la salariée un poste conforme aux préconisations du médecin du travail et car celle-ci l’avait refusé. Pour la chambre sociale, il résulte en effet des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 que l’employeur peut licencier le salarié s’il justifie du refus par celui-ci d’un emploi proposé dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2 du code du travail, conforme aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite.

Ce principe constitue une évolution nécessaire de la jurisprudence à la suite de l’intervention du législateur. Il a vocation à être étendu en matière d’inaptitude pour maladie ou accident professionnel (art. L. 1226-10 et L. 1226-12).

 

Soc. 13 mars 2024, FS-B, n° 22-18.758

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