Précisions sur l’indemnisation de la rupture discriminatoire de période d’essai

Le salarié dont la rupture de la période d’essai est nulle pour motif discriminatoire ne peut prétendre à l’indemnité prévue en cas de licenciement nul mais à la réparation du préjudice résultant de la nullité de cette rupture.

L’employeur ou le salarié peut rompre la période d’essai à tout moment, en respectant un délai de prévenance (C. trav., art. L. 1221-25 et L. 1221-26), sans être tenu de préciser le motif (C. trav., art. L. 1231-1 ; Soc. 20 oct. 2010, n° 08-40.822 B, Dalloz actualité, 22 nov. 2010, obs. B. Inès ; Vataire c/ Casino de Plombières-les-Bains (Sté), D. 2010. 2652 ; ibid. 2011. 1246, obs. G. Borenfreund, E. Dockès, O. Leclerc, E. Peskine, J. Porta, L. Camaji, T. Pasquier, I. Odoul-Asorey et M. Sweeney ; RJS 1/2011, n° 1). L’interdiction des discriminations prévue à l’article L. 1132-1 du code du travail est toutefois de longue date reconnue comme applicable pendant la période d’essai, de sorte que si un employeur rompt la période d’essai d’un salarié en raison de ses problèmes de santé, la rupture est nulle (Soc. 16 févr. 2005, n° 02-43.402 P, CS Systèmes d’information (Sté) c/ Raspaud, D. 2005. 668 ; RJS 5/2005, n° 469 ; SSL 2005, n° 1205, p. 10). Cette nullité n’ouvre toutefois pas droit aux conséquences indemnitaires d’un licenciement nul mais seulement à une indemnisation du préjudice subi, sans indemnité de préavis (Soc. 12 sept. 2018, n° 16-26.333 P, Dalloz actualité, 8 oct. 2018, obs. Q. Mlapa ; D. 2018. 1812 ; ibid. 2019. 963, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2018. 1066, obs. J. Mouly ; RJS 11/2018, n° 655). C’est ce que vient nous rappeler un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 25 juin 2025.

En l’espèce, une gestionnaire sinistre engagée le 16 décembre 2013 a été placée en arrêt de travail pour maladie de janvier à août 2014.

Le 22 juillet 2014, l’employeur lui a notifié la fin de sa période d’essai à effet au 18 août 2014. La salariée a saisi la juridiction prud’homale de demandes au titre de la nullité de la rupture de son contrat de travail et de ses droits à la prévoyance.

Les juges du fond considérèrent la rupture comme abusive sans pour autant appliquer les conséquences indemnitaires équivalentes à un licenciement nul, de sorte que l’intéressée forma un pourvoi en cassation. Était également contesté le montant d’indemnisation octroyé en raison du préjudice né de ce que l’employeur n’avait pas déclaré sa maladie auprès de l’organisme de prévoyance de sorte qu’elle n’avait pu percevoir de complément de rémunération pendant la période d’incapacité temporaire, que la cour d’appel avait chiffré sous l’angle d’une perte de chance.

La Cour de cassation, saisie du pourvoi, va valider le raisonnement des juges du fond quant l’indemnisation de la rupture abusive de période d’essai mais censurer celui tenu à propos de l’indemnisation du préjudice né du défaut de déclaration à l’organisme de prévoyance.

L’indemnisation de la rupture discriminatoire de période d’essai

L’éminente juridiction va rappeler que toute rupture du contrat de travail prononcée à l’égard d’un salarié en raison de son état de santé est nulle (C. trav., art. L. 1132-1 et L. 1132-4), sans que pour autant les dispositions du titre III du livre II du code du travail relatif à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée ne soient applicables pendant la période d’essai (C. trav., art. L. 1231-1).

Les Hauts magistrats vont en déduire que le salarié dont la rupture de la période d’essai est nulle pour motif discriminatoire ne peut prétendre à l’indemnité prévue en cas de licenciement nul mais à la réparation du préjudice résultant de la nullité de cette rupture.

Or, en l’espèce, l’employeur n’avait pas démontré que sa décision de rompre la période d’essai était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, légitimant la cour d’appel à octroyer des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de cette rupture dont elle a souverainement fixé le montant sans être tenue par les quantums prévus en cas de licenciement nul.

La solution ne surprend pas, et s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence antérieure, en particulier en matière de protection de la maternité où la chambre sociale avait déjà jugé que la rupture du contrat ouvre droit pour la salariée à des dommages-intérêts mais pas au paiement des salaires prévus à l’article L. 1225-71 du code du travail qui ne sanctionne que la violation des règles protectrices d’une femme enceinte en cas de licenciement (Soc. 15 janv. 1997, n° 94-43.755 P, Dundas (Mme) c/ Banque Saint-Dominique, D. 1997. 35 ; RJS 2/1997, n° 138 ; 2 févr. 1983, n° 79-41754 P).

L’employeur devra donc prêter une attention particulière à pouvoir justifier au besoin la rupture de sa période d’essai, quand bien même les textes ne lui en feraient pas immédiatement l’obligation, afin d’être en mesure de répondre efficacement à des allégations de discrimination. En tout état de cause et par l’interprétation stricte des textes par la chambre sociale, les conséquences indemnitaires s’en trouveront limitées à l’indemnisation du préjudice subi, sans que le salarié ne puisse profiter des planchers prévus en matière de licenciement nul.

L’indemnisation d’une non-déclaration de l’arrêt de travail à l’organisme de prévoyance par l’employeur

Était enfin en cause l’indemnisation du préjudice résultant d’une non-déclaration de l’arrêt de travail à l’organisme de prévoyance par l’employeur.

Sur ce terrain, les juges du fond avaient, sur un moyen relevé d’office, limité à une certaine somme les dommages-intérêts au titre des garanties de prévoyance, le préjudice subi par la salariée résultant de l’absence de déclaration de son arrêt de travail à l’organisme de prévoyance ne pouvant selon eux s’analyser que comme une perte de chance.

Erreur de raisonnement pour la chambre sociale, qui va censurer l’arrêt d’appel sur ce segment. Les Hauts magistrats ne vont pas pour autant rejeter l’idée d’une indemnisation via la notion de perte de chance, mais plutôt sur l’erreur procédurale réalisée par la cour d’appel qui, relevant d’office le moyen tiré de l’existence d’un tel préjudice, n’a pas invité préalablement les parties à présenter leurs observations.

 

Soc. 25 juin 2025, FS-B, n° 23-17.999

par Loïc Malfettes, Docteur en droit, Responsable RH et juridique

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