Précisions utiles sur le régime de l’isolement en soins psychiatriques sans consentement
Dans un arrêt rendu le 26 juin 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation opère plusieurs éclairages intéressants concernant les règles spécifiques de l’isolement des personnes placées en soins psychiatriques sans consentement.
L’actualité des soins psychiatriques sans consentement se poursuit pour cette année 2024. Après une décision procédurale importante concernant la déclaration d’appel motivée (Civ. 1re, 15 mai 2024, n° 22-22.893 F-B, Dalloz actualité, 28 mai 2024, obs. M. Barba) et deux arrêts intéressant les avis du ministère public (Civ. 1re, 24 avr. 2024, n° 23-16.266 et n° 23-18.590 FS-B, Dalloz actualité, 15 mai 2024, obs. C. Hélaine ; AJ fam. 2024. 327, obs. F. Eudier
), c’est au tour du corps de règles spécifiques concernant l’isolement et la contention de se retrouver sous le feu des projecteurs avec un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 juin 2024 lequel est destiné au Bulletin.
Le régime de ces mesures est dorénavant prévu par la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 et par un décret d’application pris quelques semaines plus tard (Décr. n° 2022-419 du 23 mars 2022, JO 25 mars, Dalloz actualité, 29 mars 2022, obs. C. Hélaine). Ces textes sont une accalmie après une période de très forte instabilité (Civ. 1re, QPC, 5 mars 2020, n° 19-40.039, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; Cons. const. 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC, Dalloz actualité, 16 juill. 2020, obs. D. Goetz ; AJDA 2020. 1265
; D. 2020. 1559, et les obs.
, note K. Sferlazzo-Boubli
; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot
; RTD civ. 2020. 853, obs. A.-M. Leroyer
; sur les décis. de 2021, Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2021. 380, obs. A.-M. Leroyer
; Cons. const. 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC, AJDA 2021. 1176
; D. 2021. 1324, et les obs.
, note K. Sferlazzo-Boubli
). Dans une décision M. Sami G. et autres rendue l’année dernière, le Conseil constitutionnel a jugé que les deux premières phrases du paragraphe I de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique sont conformes à la Constitution en répondant à deux questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la Cour de cassation (Cons. const. 31 mars 2023, n° 2023-1040/1041 QPC, Dalloz actualité, 6 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 762
, note L. Bodet et V. Tellier-Cayrol
; Civ. 1re, 26 janv. 2023, nos 22-40.019 et 22-40.021, Dalloz actualité, 31 janv. 2023, obs. C. Hélaine).
L’arrêt rendu le 26 juin 2024 est l’une des premières décisions publiées au Bulletin qui explore le sens et la portée de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, ce qui en fait une décision importante pour les praticiens (v. un avis, égal., que nous avons étudié dans ces colonnes, Civ. 1re, avis, 6 mars 2024, n° 23-70.017 P-B, Dalloz actualité, 12 mars 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 480
). Cette dernière intéresse non seulement le certificat médical indiquant les motifs médicaux qui peuvent faire obstacle à l’audition du patient par le juge mais aussi, et peut-être surtout, elle examine la computation des différents délais de vingt-quatre, quarante-huit et soixante-douze heures pour l’information et la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD).
Les faits débutent par l’admission le 20 décembre 2022 d’une personne en soins psychiatriques sans consentement par décision du préfet. Il s’agit d’une hospitalisation complète, la précision étant utile pour la suite de l’étude. La mesure est maintenue le 30 décembre suivant par ordonnance du juge des libertés et de la détention. Le 8 janvier 2023, la patiente est transférée vers une unité hospitalière spécialement aménagée. Le 11 janvier 2023 à 17h58, celle-ci est placée à l’isolement et le 14 janvier suivant à 19h07, le JLD autorise le maintien dudit isolement.
C’est dans ce contexte que le 18 janvier 2023 à 15h39, le directeur de l’établissement qui accueille la personne hospitalisée sans consentement a saisi le juge d’une nouvelle demande de poursuite de l’isolement (ndlr, la décision évoque le 18 janv. 2022 à 15h39 [pt n° 2] mais il ne peut s’agir que d’une coquille rédactionnelle).
En cause d’appel, le premier président maintient cet isolement. La patiente se pourvoit en cassation en reprochant au raisonnement suivi par l’ordonnance une série de critiques plurielles concernant l’application des articles L. 3222-5-1 et R. 3211-33-1, III, 3°, du code de la santé publique. Aucun des moyens présentés ne parviendra à aboutir à une cassation. Nous allons examiner pourquoi ces différentes solutions impliquent une certaine précision de ces textes, lesquels peuvent entretenir effectivement certains doutes sur leur interprétation.
Droit commun et droit spécial de l’hospitalisation sans consentement
Le premier moyen explorait une argumentation intéressante qui semble de plus en plus soutenue devant la première chambre civile de la Cour de cassation. Le demandeur expliquait que la règle de l’article R. 3211-12 du code de la santé publique était d’application générale. Or, d’après cette disposition, doit être communiqué au JLD « le cas échéant : (…) b) l’avis d’un psychiatre ne participant pas à la prise en charge de la personne qui a fait l’objet de soins, indiquant les motifs médicaux qui feraient obstacle à son audition » (nous soulignons). Or, en l’espèce, l’avis médical produit pour faire obstacle à l’audition de la personne placée à isolement était celui d’un médecin ayant « effectivement participé, parmi d’autres, à la mise en œuvre de la mesure d’isolement » (pt n° 4, 1er moyen).
La première chambre civile rappelle que les dispositions de l’article R. 3211-33-1, III, 3°, du code de la santé publique applicable aux patients placés à l’isolement dérogent aux « règles générales applicables à la procédure en matière de soins psychiatriques sans consentement » (pt n° 6, nous soulignons). En d’autres termes, il existe une sorte de droit commun des soins psychiatriques sans consentement (pour lequel l’art. R. 3211-12 s’applique) et de droit spécial (pour l’isolement et la contention dans lesquels d’autres règles sont prévues).
Cette double armature entre les règles générales et les règles spéciales poursuit un but précis. La solution visant à les distinguer est, en effet, heureuse car les délais sont particulièrement restreints en matière d’isolement et de contention. Une contrainte similaire à celle de l’article R. 3211-12 du code de la santé publique, et donc l’impératif de trouver un médecin ne participant pas à la prise en charge de l’intéressé, serait un vecteur de difficulté supplémentaire dans cette optique. Or, l’ossature des règles spéciales de l’isolement est déjà suffisamment délicate à appliquer tant pour le corps médical que pour celui des magistrats et des greffiers.
On ne peut donc qu’accueillir avec bienveillance une telle interprétation qui résulte de la précision même des textes. Si le législateur avait voulu que le certificat en vue de l’empêchement de l’audition soit produit par un médecin ne participant pas à la prise en charge du patient placé à l’isolement, encore fallait-il le préciser explicitement.
De l’art de computer les différents délais
Le deuxième et le quatrième moyens exploraient la question commune du bon écoulement des délais en matière d’isolement. L’interrogation est extrêmement technique car il faut combiner des délais de vingt-quatre, quarante-huit et soixante-douze heures.
L’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique se cantonne à la situation d’un seul cycle sans envisager celle où plusieurs mesures d’isolement se succèdent dans le temps par l’effet de décisions de justice du JLD.
Résumons rapidement :
- le juge doit être informé, sans délai, du maintien de l’isolement au-delà de la durée maximale de quarante-huit heures (al. 2 combiné à l’al. 4) ;
- avant l’expiration de la soixante-douzième heure d’isolement, le JLD est saisi par le directeur d’établissement (al. 5) ;
- le juge rend alors sa décision en vingt-quatre heures à compter de l’expiration du délai de soixante-douze heures (al. 6).
C’est précisément ce délai de vingt-quatre heures, dont dispose le JLD pour statuer, qui pose difficulté dans la rédaction actuelle des textes du code de la santé publique. Faut-il, ou non, le prendre en compte dans la computation du délai concernant l’information du juge et la saisine de celui-ci sur une deuxième période complète d’isolement ? La question pose problème dans la mesure où cette période de vingt-quatre heures peut ne pas avoir été intégralement utilisée par les services du JLD.
Distinguons l’information du JLD de sa saisine.
Information du JLD
Le quatrième moyen estimait que vu que l’intéressée avait été placée à l’isolement depuis le 11 janvier 2023 à 17h58, le JLD devait être informé sans délai du renouvellement au plus tard le 16 janvier 2023 à 17h58 après une première autorisation de maintien par le juge. L’argumentation suivie était très intéressante car, derrière cette question d’apparence technique, se cachait un motif plus général, celui de la durée réelle de l’isolement.
La réponse est donnée dans l’arrêt du 26 juin 2024 en interprétant l’article L. 3222-5-1 dans ses différents alinéas 2, 4 et 5 (et non seulement le 5e comme il est indiqué dans la décision) : « après une première autorisation judiciaire de maintien d’une mesure d’isolement et si celle-ci est renouvelée par le médecin, le juge des libertés et de la détention doit être informé sans délai de ce renouvellement au-delà de quarante-huit heures après l’expiration du délai de vingt-quatre heures dont il disposait pour statuer sur la première requête » (pt n° 9, nous soulignons).
La première chambre civile estime, à juste titre, qu’il faut prendre en compte cette durée de vingt-quatre heures. Loin de vider le sens du texte, une telle précision vient utilement replacer la durée totale dans des considérations acceptables pour les services hospitaliers compétents. On ne saurait expliquer que le délai de vingt-quatre heures ne soit pas pris en compte quand plusieurs périodes complètes se succèdent. En revanche, cette orientation n’a absolument rien d’évident à la seule lecture des dispositions du code de la santé publique. Elle vient, en effet, rallonger factuellement la durée de l’isolement, ce que n’avait sans doute pas suffisamment pris en compte le législateur. Il conviendrait d’inscrire dans le marbre de la loi cette situation pour éviter toute difficulté eu égard aux droits fondamentaux et notamment à la Convention européenne des droits de l’homme.
Reprenons la chronologie depuis la toute première mesure d’isolement :
- la durée maximale initiale de quarante-huit heures d’isolement s’écoule entièrement (art. L. 3222-5-1, al. 2). En l’espèce, cela implique que la mesure a initialement duré du 11 janvier 2023 à 17h58 au 13 janvier 2023 à 17h58 ;
- le médecin a souhaité poursuivre l’isolement et en a donc informé le JLD sans délai en application de l’article L. 3222-5-1, alinéa 4 ;
- le 14 janvier 2023 avant 17h58, le JLD doit être saisi pour maintenir l’isolement puisque les soixante-douze heures sont atteintes ;
- le JLD dispose jusqu’au 15 janvier 2023 à 17h58 pour rendre sa décision (24 h à partir des 72 h constituant le plancher de saisine) ;
- une fois l’isolement maintenu, comme c’est le cas en l’espèce par décision du 14 janvier à 19h07, il faut reprendre un nouveau cycle entier. Une fois le délai de quarante-huit heures initial écoulé une seconde fois, le JLD doit être de nouveau informé. Ici, la date utile est le 17 janvier 2023 à 17h58 en prenant en compte le délai de vingt-quatre heures, même si celui-ci n’a pas été utilisé intégralement.
L’ordonnance du premier président s’était placée à date du 17 janvier et avait constaté que le délai de prévenance des services de la direction de l’hôpital ayant accueilli la patiente était de deux heures. Ainsi, le premier président avait considéré qu’une telle durée était « convenable » (pt n° 7, 2e moyen) pour respecter la lettre de l’article L. 3222-5-1 qui évoque une information du JLD « sans délai ». Nul doute que ces deux heures répondaient parfaitement à l’information rapide visée par le code de la santé publique.
Quant à la saisine effective du juge, les mêmes idées peuvent être avancées et nous serons donc plus bref.
Saisine du JLD
On retrouve exactement la même problématique autour du délai de vingt-quatre heures dont dispose initialement le JLD pour statuer dans le deuxième moyen. La patiente demanderesse estimait que la première période d’isolement étant venue à expiration le 14 janvier 2023 à 17h58, la seconde saisine du JLD devait intervenir avant le 17 janvier 2023 à la même heure au plus tard. Or, rappelons que le directeur du centre hospitalier a saisi le juge le 18 janvier 2023 à 15h39 (pt n° 2, en corrigeant la coquille déjà mentionnée préc.).
Là-encore, la précision de l’arrêt du 26 juin 2024 est importante : « après une première autorisation judiciaire de maintien d’une mesure d’isolement et si celle-ci est renouvelée par le médecin, le directeur de l’établissement doit saisir le juge des libertés et de la détention avant la soixante-douzième heure d’isolement après l’expiration du délai de vingt-quatre heures dont le juge disposait pour statuer sur la première requête » (pt n° 13, nous soulignons). L’énoncé est calqué par rapport à la situation précédente de l’information du juge, ce qui apparaît tout à fait pertinent eu égard aux réflexions développées dans la partie précédente de notre commentaire. En l’état, le JLD devait donc être saisi une seconde fois avant le 18 janvier 2023 à 17h58, ce qui complète notre chronologie précédente.
Ce délai de vingt-quatre heures, prévu dans l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique doit, par conséquent, être pris en compte et ce même s’il n’est pas entièrement utilisé par le JLD, ce qui était le cas en l’espèce puisque la décision était intervenue en un temps probablement très bref après la saisine.
Complexe et subtil, l’arrêt étudié aujourd’hui permet de replacer des bornes temporelles utiles pour la pratique. La situation précise du renouvellement de l’isolement après un premier maintien judiciaire est, en effet, très courante. Les textes du code de la santé publique en sont donc clarifiés.
Cette décision rappellera utilement un avis du printemps dernier sur la computation du délai de sept jours après deux premières décisions de maintien (Civ. 1re, avis, 6 mars 2024, n° 23-70.017 P-B, préc.). L’articulation de ces différents arrêts montre à quel point les textes sur l’isolement et la contention méritent certainement des précisions supplémentaires afin d’éviter quelques hésitations aux conséquences importantes pour les droits et libertés fondamentaux du patient hospitalisé sans consentement et placé à l’isolement.
Rappelons que le décret n° 2024-570 du 20 juin 2024 pris pour l’application des articles 38, 44 et 60 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 est venu acter les aspects pratiques du transfert de compétences du JLD à un magistrat du siège pour le contrôle des mesures privatives et restrictives de liberté en droit des étrangers et dans le domaine des soins sans consentement (Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023, JO 21 nov., Dalloz actualité, 27 nov. 2023).
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