Préjudice économique du conjoint survivant : modalités de déduction du préjudice économique des enfants

Le préjudice du conjoint survivant lié à la perte de revenus consécutive au décès doit être calculé déduction faite du préjudice économique des enfants, sans tenir compte dans le cadre de cette déduction des sommes que ces derniers auraient reçus de la part d’un tiers payeur.

En raison d’une erreur médicale, une femme décède à l’hôpital le lendemain de son accouchement. Les médecins en charge de l’accouchement et le centre hospitalier ayant été reconnus coupables d’homicide involontaire, le mari de la victime saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infraction, tant en son nom personnel qu’en qualité de représentant légal de ses deux filles mineures.

À la suite d’un désaccord portant sur le montant de l’indemnisation, un litige survint entre les victimes par ricochet et le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI).

Les juges saisis de ce litige se trouvaient confrontés à au moins trois difficultés relatives aux pertes de revenus des proches.

L’évaluation des pertes de revenus

La détermination du préjudice résultant, pour le conjoint survivant, de la perte de revenu liée au décès de l’autre conjoint soulève des difficultés certaines, particulièrement lorsque les deux membres du couple disposent de ressources financières (v. par ex., G. Viney et P. Jourdain, Les effets de la responsabilité, 3e éd., LGDJ, 2011, nos 140 s., spéc. n° 141). Dans ce cas, en effet, le conjoint survivant bénéficiait certes des revenus de son conjoint, mais il participait également à ses dépenses.

La méthode pour déterminer ce préjudice est, dans une large mesure, laissée à l’appréciation des juges du fond (v. néanmoins, sur la jurisprudence de la chambre criminelle, Rép. civ.,  Dommages et intérêts – Évaluation judiciaire des dommages et intérêts, 2017 [actualisation, juin 2023], par P. Casson, n° 26). Deux méthodes principales semblent retenues. La première consiste à déterminer la part des revenus du défunt qui était consacrée à ses proches. La seconde, apparemment retenue en l’espèce (arrêt, § 8), consiste à déterminer les revenus globaux du foyers antérieurement au décès, à déduire d’une part la portion des revenus provenant du conjoint survivant, d’autre part la fraction des revenus du défunt qu’il consommait pour lui-même (autrement dit la part d’autoconsommation de la victime).

Cette seconde méthode n’est pas forcément sans difficulté, notamment lorsque des sources de revenus nouvelles émergent. Elle suppose également de déterminer comment répartir la somme globale calculée entre les différentes victimes par ricochet, spécialement en présence d’enfants.

Les modalités du paiement de l’indemnité

Une première difficulté quant aux modalités de paiement tient au choix d’une rente ou d’un capital. En l’espèce, le choix du capital avait été fait, ce qui supposait de déterminer l’espérance de vie des deux époux (pour arrêter au premier décès probable le calcul) ainsi que le temps restant pour les enfants avant que leur éducation soit achevée et qu’ils soient indépendants financièrement (les juges avaient en l’espèce arrêté l’âge de vingt-cinq ans pour chacun des enfants, arrêt, § 9).

Surtout, après avoir évalué globalement la perte de revenus dont souffrait le foyer, les juges devaient déterminer la part des dommages et intérêts devant revenir aux enfants (sur la possibilité ou non de procéder à une globalisation, G. Viney et P. Jourdain, op. cit., n° 143). Les juges du fond avaient ainsi déterminé le préjudice économique des enfants. Le montant des dommages et intérêts versés au titre de la perte de revenus au conjoint survivant correspondait alors, selon la modalité de calcul retenue, à la perte de revenue globale, déduction faite de la part d’autoconsommation du conjoint prédécédé, capitalisée à titre viager, somme à laquelle il fallait encore retrancher le préjudice économique des enfants.

Le raisonnement de la cour d’appel, qui suivait ces étapes, est implicitement approuvé par la Cour de cassation. C’est une dernière difficulté qui entraîne la cassation.

La déductibilité des sommes versées par les tiers

L’assureur de l’employeur de la mère avait versé diverses sommes aux membres de sa famille au titre de capitaux décès. Au regard de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 et de l’article L. 131-2 du code des assurances, la question du cumul entre ces capitaux décès et les dommages et intérêts aurait pu se poser, dans la mesure où ils correspondent à des sommes versées par un assureur de personnes qui ne font pas l’objet d’une disposition légale autorisant le recours de l’assureur (v. sur cette question, G. Viney et P. Jourdain, op. cit., n° 160-1). Un tel recours subrogatoire de l’assureur conduit en effet nécessairement à considérer que les sommes versées par l’assureur l’ont été à la place d’une part des dommages et intérêts, ce qui interdit au titre du principe de réparation intégrale que la victime puisse cumuler les sommes perçues avec des dommages et intérêts.

La difficulté n’était cependant pas abordée d’une façon frontale dans l’arrêt : la cour d’appel avait admis de déduire les capitaux décès des sommes perçues par l’époux (arrêt, § 7) et des sommes versées aux enfants (arrêt, § 9). Une incohérence apparaissait cependant dans l’arrêt d’appel : tout en admettant la déductibilité des capitaux-décès sur les sommes versées aux victimes, la cour d’appel avait procédé à cette imputation sur les sommes dues aux enfants avant de les déduire des sommes devant être versées au conjoint survivant.

Autrement dit, l’imputation des capitaux décès sur les sommes dues aux enfants, qui devait logiquement libérer d’autant le FGTI, avait en réalité conduit à réduire le montant des sommes imputées sur les dommages et intérêts dus au conjoint survivant, lequel percevait dès lors en réalité une part des sommes déjà versées à ses enfants.

La violation du principe de réparation intégrale qui en résulte, si elle n’est pas évidente au premier regard du fait de la relative complexité de la situation, est dès lors certaine, ce qui justifie pleinement la cassation prononcée.

 

© Lefebvre Dalloz