Premier arrêt de la Cour d’appel de Paris concernant une opposition à un brevet français
Après quatre ans de la mise en place de la procédure d’opposition en France, la Cour d’appel de Paris a rendu son premier arrêt statuant sur une décision d’opposition du directeur général de l’INPI.
Le 25 janvier 2021, la société BMW avait formé opposition au brevet français FR 3 047 436 de la société Michelin. Le 31 mai 2022, le directeur général de l’INPI a rendu sa décision d’opposition et a maintenu le brevet français FR 3 047 436 de la société Michelin sous forme modifiée.
La société BMW a alors formé recours auprès de la Cour d’appel de Paris contre cette décision.
La Cour d’appel de Paris a, dans son arrêt du 29 mai 2024, confirmé la décision du directeur général de l’INPI.
Cet arrêt traite des sujets suivants :
- recevabilité de la requête déposée le jour de la phase orale ;
- suffisance de description ;
- nouveauté ;
- activité inventive.
Sur la recevabilité de la requête déposée le jour de la phase orale
La Cour d’appel a approuvé la décision de l’INPI d’accepter la nouvelle requête principale déposée le jour de la phase orale en date du 1er février 2022, et sur la base de laquelle le brevet a été maintenu.
L’opposante BMW soutenait que la requête sur la base de laquelle le brevet a été maintenu aurait dû être considérée comme irrecevable par l’INPI, car déposée le jour de la phase orale.
Selon l’opposante l’article R. 613-44-6 du code de la propriété intellectuelle ne prévoit que trois délais successifs au cours desquels le titulaire est admis à soumettre des nouveaux jeux de revendications et l’article R. 613-44-7 du code de la propriété intellectuelle permet seulement au directeur général de l’INPI de prendre en considération des « faits invoqués ou des pièces produites postérieurement » à l’expiration des délais mentionnés à l’article R. 613-44-6 du code de la propriété intellectuelle, et que le mot « pièces » ne couvrait pas de nouveaux jeux de revendications.
La cour d’appel ne partage pas cet avis : le terme « pièces » doit être interprété comme pouvant couvrir un nouveau jeu de revendications modifié du brevet, au regard d’une part de l’article R. 613-44-4 et, d’autre part, de l’article R. 612-36 du code de la propriété intellectuelle.
En l’espèce, la nouvelle requête principale déposée par le titulaire le jour de la phase orale est en tous points identique à la requête principale déposée le 6 septembre 2021 en réponse à l’avis d’instruction de l’INPI, avec pour seules différences la suppression de la lettre « e » dans le mot « inférieure » de la revendication 1 et le remplacement de « angle fi » par « angle β » dans la revendication 3, chaque partie ayant confirmé, le jour de la phase orale, que le contradictoire a bien été respecté.
Sur la suffisance de description
L’opposante BMW soutenait que l’objet de la revendication 1 n’était pas divulgué de façon à permettre son exécution par l’homme du métier sur toute l’étendue que couvre cette revendication.
La cour d’appel rappelle que la condition de suffisance de description est satisfaite dès lors qu’il est indiqué clairement au moins un mode de réalisation permettant à l’homme du métier d’exécuter l’invention et que le fait que certains éléments indispensables au fonctionnement de l’invention ne figurent ni explicitement dans le texte des revendications ou de la description, ni dans les dessins représentant l’invention revendiquée, n’implique pas nécessairement que l’invention n’est pas exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu’une personne du métier puisse l’exécuter, dès lors que ces éléments indispensables appartiennent à ses connaissances générales (Com. 23 janv. 2019, n° 17-14.673, RTD com. 2019. 88, obs. J.-C. Galloux
et n° 16-28.322).
Elle rappelle également que l’absence de démonstration de l’existence d’un effet technique sur toute la portée de la revendication ne suffit pas à justifier d’une insuffisance de description, en qu’en l’espèce, l’opposant n’a pas cherché à démontrer que la personne du métier ne pouvait reproduire l’invention et la mettre en œuvre, selon les critères rappelés ci-dessus.
Le moyen tiré de l’insuffisance de description est rejeté.
Sur le défaut de nouveauté
La cour d’appel rappelle que pour être comprise dans l’état de la technique et être privée de nouveauté, l’invention doit s’y trouver tout entière dans une seule antériorité au caractère certain, avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement en vue du même résultat technique (Com. 17 mai 2023, n° 19-25.509, Dalloz actualité, 7 juin 2023, obs. L. Ferreira ; Dalloz IP/IT 2024. 37, obs. A. Latreille
).
En l’espèce, la cour estime que l’objet de la revendication 1 est nouveau, après avoir relevé que certaines caractéristiques n’étaient pas divulguées par le document D4, ni par le document D5, chacun étant invoqué au titre du défaut de nouveauté. De plus, la cour rappelle que des modes de réalisation distincts d’une même antériorité ne peuvent être combinés dans le cadre de l’analyse de la nouveauté.
Sur le défaut d’activité inventive
L’approche problème-solution est appliquée dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
L’opposante BMW souhaitait scinder le problème technique objectif en deux problèmes techniques partiels : une partie des caractéristiques distinctives de la revendication 1 avec l’art antérieur permettant de répondre au premier problème technique partiel et l’autre partie des caractéristiques distinctives permettant de répondre au deuxième problème technique partiel.
La cour d’appel considère toutefois qu’il existe une synergie entre toutes les caractéristiques techniques distinctives de sorte qu’il n’y a pas lieu de scinder le problème technique objectif en deux.
Un autre point soulevé lors des débats entre les parties sur l’activité inventive était celui de déterminer si des documents brevets pouvaient être utilisés pour illustrer les connaissances générales de la personne du métier.
À cet égard la cour d’appel rappelle que les connaissances générales de la personne du métier à prendre en considération au titre de l’examen de l’activité inventive sont en principe constituées par le contenu des guides et des manuels de base existant sur le sujet, mais n’englobent pas les brevets et articles scientifiques, sauf, à titre exceptionnel, lorsqu’un domaine technique est tout à fait nouveau au point que les connaissances techniques ne sont pas encore disponibles dans les manuels. Il convient alors, dans ce cas d’exception, de s’assurer que l’information trouvée dans un brevet est dépourvue d’ambiguïté et utilisable de manière directe et simple sans hésitation ni travail supplémentaire (OEB, 15 févr. 2017, Valeo Vison, T1540/14).
En l’espèce, il n’est pas contesté que le domaine technique du brevet, à savoir celui du marquage des pneumatiques, n’est pas un domaine technique complètement nouveau au point que les connaissances techniques ne sont pas disponibles dans les manuels.
Les documents brevets cités par la société BMW, en ce qu’ils démontreraient les connaissances générales habituelles de la personne du métier, ne sont donc pas retenus.
Par conséquent la revendication 1 implique une activité inventive, ainsi que les revendications dépendantes 2 à 6.
Paris, 29 mai 2024, pôle 5 - ch. 1, n° 22/12421
© Lefebvre Dalloz