Présence de tiers en perquisition : pas sur prescription médicale, mais éventuellement par ordonnance

La présence d’un tiers étranger à la procédure lors d’une perquisition constitue une violation du secret de l’enquête portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée. Toutefois, le procureur de la République peut requérir la présence d’une personne sur place afin de garantir le respect du secret professionnel. En l’espèce, la présence d’un représentant du conseil départemental de l’ordre des médecins ne constituait donc pas une irrégularité, même si les conditions d’application de l’article 56-3 du code de procédure pénale n’étaient pas réunies.

Les lieux dans lesquels sont susceptibles de se trouver des documents protégés par le secret sont soumis à des régimes spéciaux de perquisition : les cabinets d’avocats pour le secret professionnel de la défense et du conseil (C. pr. pén., art. 56-1), les locaux d’entreprise de presse et le secret des sources (C. pr. pén., art. 56-2), les juridictions et le secret du délibéré (C. pr. pén., art. 56-5). Certains de ces régimes font l’objet d’une jurisprudence foisonnante (P. Le Monnier de Gouville, Le recours en matière de perquisition chez un avocat consolidé par la Cour de cassation, D. 2024. 1218 ), d’autres sont plus discrets. Le régime spécial des perquisitions en cabinet médical a été institué à l’article 56-3 par la loi du 15 juin 2000, et n’a pas été modifié depuis lors. Les arrêts rendus en la matière sont donc à souligner, surtout quand la solution retenue est susceptible de rejaillir sur d’autres procédures.

À compter du 1er mars 2018, un médecin a été radié par son ordre pour des raisons que l’arrêt n’indique pas. Il a ouvert un nouveau cabinet en se présentant comme naturopathe. Toutefois, derrière cette appellation, il a continué d’accomplir des actes médicaux. Il a donc été poursuivi des chefs d’exercice illégal de la profession de médecin (CSP, art. L. 4161-1 et L. 4161-5) et de tromperie sur une prestation de service entraînant un danger pour la santé (C. consom., art. L. 441-1 et L. 454-3). Devant les juridictions de jugement, le prévenu a contesté la régularité de la perquisition qui avait été effectuée à son cabinet. Celle-ci avait été réalisée en présence d’un membre du conseil départemental de l’ordre des médecins, qui, pour le prévenu, avait la qualité de tiers à la procédure. Or, la présence d’un tiers lors d’une perquisition constitue une violation du secret de l’enquête pouvant entraîner l’annulation de l’acte (Crim. 9 janv. 2019, n° 17-84.026, Dalloz actualité, 18 janv. 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 74 ; AJ pénal 2019. 144, note A. Dejean de la Bâtie ; D. 2019. 74 ; AJ pénal 2019. 144, note A. Dejean de la Bâtie ; Légipresse 2019. 90, obs. E. Derieux ). Toutefois, pour la Cour d’appel de Paris, la présence du représentant de l’ordre n’était pas irrégulière, mais conforme à l’article 56-3 du code de procédure pénale et destinée à garantir le respect du secret médical des patients ou anciens patients du prévenu. En outre, elle a relevé que ce dernier ne justifiait pas d’un grief. L’ancien médecin a formé un pourvoi en cassation, qui a été rejeté par la Cour de cassation, au prix d’une substitution de motifs.

Nullité de la perquisition réalisée en présence de tiers

Il est de jurisprudence constante que la présence de tiers lors d’une perquisition est une cause de nullité de l’acte (Crim. 9 janv. 2019, n° 17-84.026, préc. ; 9 mars 2021, n° 20-83.304, Dalloz actualité, 2 avr. 2021, obs. S. Goudjil ; D. 2021. 528 ; ibid. 2022. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ pénal 2021. 325, obs. J.-B. Thierry ; Légipresse 2021. 135 et les obs. ; ibid. 222, étude E. Dreyer ; RSC 2021. 441, obs. J.-P. Valat ; ibid. 2022. 65, obs. C. Ambroise-Castérot ). La violation du secret de l’enquête est caractérisée dès lors que le tiers rentre à l’intérieur des locaux (v. a contrario, Crim. 11 févr. 2025, n° 24-83.214, AJ pénal 2025. 205, obs. J.-B. Thierry ; Légipresse 2025. 206 et les obs. ). Il est également de jurisprudence constante que cette irrégularité est une cause de nullité à grief présumé (Crim. 9 janv. 2019, n° 17-84.026, préc.). La Cour de cassation a l’occasion de le confirmer dans la présente affaire, en reprochant à la cour d’appel d’avoir relevé l’absence de grief démontré par le prévenu.

Seules la loi et les normes de rang supérieur permettent de déroger au secret de l’enquête. La présence d’un tiers lors d’une perquisition ne peut donc être admise que dans des hypothèses où la loi le prévoit. C’est dans ce cadre que la cour d’appel s’est référée à l’article 56-3 du code de procédure pénale. Ce texte prévoit que les perquisitions réalisées dans les cabinets médicaux doivent être réalisées par un magistrat en présence d’un représentant de l’ordre des médecins. La Cour de cassation veille strictement au respect du domaine d’application de cette disposition. Ainsi, elle refuse d’en faire application lorsqu’un officier de police judiciaire se rend dans un cabinet médical pour simplement constater un maintien d’activité (Crim. 4 avr. 2007, n° 07-80.253). Elle fait aussi obstacle à son extension aux cabinets des infirmiers libéraux (Crim. 12 mars 2024, n° 23-84.743) et aux établissements hospitaliers (Crim. 13 févr. 2024, n° 23-90.021, RSC 2024. 397, obs. P. Mistretta ). À l’évidence, un naturopathe, qui exerce une profession non réglementée, ne relève pas du domaine d’application de l’article 56-3 du code de procédure pénale. Toutefois, ce n’est pas au titre de la nouvelle activité du prévenu que la cour d’appel a retenu l’application de ce texte, mais en raison de son activité passée de médecin. L’idée peut se justifier : la radiation d’un médecin ne le délivre pas de son obligation de respecter le secret professionnel vis-à-vis de ses anciens patients. Toutefois, la Cour de cassation refuse d’étendre le domaine d’application de cet article pour privilégier une interprétation littérale du texte : le médecin radié n’est plus un médecin au sens de l’article 56-3 du code de procédure pénale. L’arrêt de la cour d’appel n’a toutefois pas été cassé.

Certains textes spéciaux autorisent la présence d’autres personnes que les enquêteurs lors des perquisitions. Ainsi, en matière parapénale, les inspecteurs de l’action sanitaire et sociale peuvent demander à être accompagnés par un médecin pour qu’il examine les données de nature médicales appréhendées lors d’un contrôle (CSP, art. L. 1421-1). Plutôt que de s’inspirer des régimes de visite dans le cadre des contrôles administratifs qui permettent parfois la présence de tiers assistant les contrôleurs (v. par ex., LPF, art. L. 16 B ; C. com., art. L. 450-3-1), la chambre criminelle a préféré se fonder sur le régime général des perquisitions.

Reconnaissance d’un pouvoir général d’autorisation de la présence de tiers lors d’une perquisition

En l’espèce, la Cour de cassation a estimé que la présence d’un représentant du conseil départemental de l’ordre des médecins n’était pas justifiée par l’article 56-3 du code de procédure pénale, mais plutôt par l’article 56, alinéa 3, du même code, qui dispose que « sans préjudice de l’application des articles 56-1 à 56-5, [l’officier de police judiciaire] a l’obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense ». Elle a estimé que la présence du représentant de l’ordre des médecins requise par le procureur constituait une mesure prise sur le fondement de l’article 56, alinéa 3, destinée à assurer le respect du secret professionnel. Par conséquent, la perquisition avait été réalisée conformément aux règles de droit commun.

Le troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale était jusqu’alors peu mobilisé en jurisprudence. L’arrêt commenté est donc intéressant en ce qu’il donne un exemple concret de mesure qui peut être décidée et qu’il permet d’en apprendre un peu plus sur le régime de cette disposition. D’après la lettre du texte, c’est à l’officier de police judiciaire qu’il revient de prendre ces mesures, alors qu’en l’espèce, elle a été décidée par le procureur de la République. Étant donné que le magistrat du parquet a la direction de l’enquête et qu’à ce titre, il peut ordonner aux officiers de police judiciaire d’accomplir certains actes d’enquête, il peut aussi décider des modalités d’exécution (C. pr. pén., art. 39-2). De la même manière, la portée de l’arrêt peut être étendue à l’information judiciaire : le juge d’instruction, qui dirige les investigations, doit lui aussi pouvoir prendre des mesures pour limiter les atteintes au secret professionnel et les indiquer dans sa commission rogatoire. En enquête préliminaire, en cas de perquisition réalisée en l’absence de l’assentiment de l’occupant des lieux, deux magistrats interviennent, ce qui pose la question de la répartition de leurs attributions. A priori, rien ne justifie de priver le procureur de son pouvoir de prendre des mesures sur le fondement de l’article 56, alinéa 3, du code de procédure pénale. La question est donc de savoir si le juge des libertés et de la détention peut, dans son ordonnance autorisant la perquisition (C. pr. pén., art. 76, al. 4), prévoir la présence d’un tiers pour garantir la protection du secret professionnel. Étant donné que la perquisition a lieu sous le contrôle du juge des libertés, il lui appartient de s’assurer de la légalité de la mesure. En cohérence, il faut qu’il soit en mesure d’assurer le respect des droits de la défense et du secret professionnel. En outre, même si la jurisprudence refusait de lui reconnaître ce pouvoir, il pourrait toujours subordonner la délivrance de son autorisation à la prise de mesures par le procureur.

Le troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale vise les mesures utiles pour garantir le respect du secret professionnel et des droits de la défense, sans plus de précisions. Dès lors, il n’y a pas lieu de limiter la portée du texte aux secrets spécialement protégés par les articles 56-1 et suivants. Ainsi, on pourrait y ajouter le secret professionnel des infirmiers, celui des pharmaciens ou celui des travailleurs sociaux… les exemples sont indénombrables (Rép. pén., Secret professionnel, par B. Py, 2003, nos 16 s.).

Enfin, un dernier élément doit être signalé. L’arrêt décrit implicitement la réquisition de la présence d’un tiers pour la protection du secret professionnel comme une faculté pour le procureur, pour qu’il ne lui soit pas fait grief d’avoir demandé cette présence. Toutefois, l’article 56, alinéa 3, du code de procédure pénale ne prévoit pas une faculté, mais une obligation. Or, pour la Cour de cassation, la méconnaissance de cette obligation pourrait être sanctionnée par la nullité de la perquisition (Crim. 12 mars 2024, n° 23-84.743). Par conséquent, la décision commentée ouvre la voie à l’apparition d’une multitude de régimes spéciaux de perquisition. Il reviendra alors aux officiers de police judiciaire et aux magistrats d’apprécier qui doit être présent à chaque perquisition dans les locaux occupés par les détenteurs de secrets protégés par la loi.

 

Crim. 11 juin 2025, F-B, n° 24-86.313

par Théo Scherer, Maître de conférences, Université de Caen Normandie, Institut caennais de recherche juridique (UR 967)

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