Présomption de pouvoir du signataire de l’avis de réception dans le cadre de la notification en la forme ordinaire
L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 2 octobre 2025 s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence établie en matière de présomption simple de pouvoir du signataire de l’avis de réception dans le cadre d’une notification en la forme ordinaire.
Il rappelle que si le destinataire en conteste la validité, c’est à lui de démontrer que le signataire n’avait aucun pouvoir ou mandat, et non à l’expéditeur d’établir l’existence de ce pouvoir ou mandat. Imposer à ce dernier de rapporter cette preuve reviendrait à inverser la charge de la preuve au sens de l’article 670 du code de procédure civile.
La notification joue un rôle essentiel en procédure civile. Elle constitue la formalité par laquelle un acte est porté à la connaissance d’une personne (C. pr. civ., art. 651) et emporte, en principe, le déclenchement de divers délais. Le terme « notification » est générique. Il recouvre plusieurs situations, dont la signification, la notification en la forme ordinaire ou encore la notification simplifiée.
En raison de la sécurité juridique qu’elle procure, la notification effectuée par un commissaire de justice, dite « signification », est obligatoire, notamment pour la notification des jugements (C. pr. civ., art. 675, al. 1er). Chaque fois que la loi le permet expressément, le recours au commissaire de justice peut être évité grâce à des procédés plus simples. Toutefois, « en pratique, ces modes de notification révèlent bien des embûches qui, au final, les rendent plus complexes » (C. Chainais, L. Mayer, S. Guinchard et F. Ferrand, Procédure civile, 37e éd., Dalloz, 2024, spéc. p. 771, n° 1010). Tel est notamment le cas de la notification en la forme ordinaire, laquelle consiste en une notification par voie postale, ou en une remise directe de l’acte à l’intéressé contre émargement ou récépissé (C. pr. civ., art. 667, al. 1er).
Lorsque la voie postale est retenue, le justiciable se tourne naturellement vers la lettre recommandée avec accusé de réception, bien que les textes ne semblent pas l’imposer (une mention est toutefois faite à la lettre recommandée, C. pr. civ., art. 669). Ce choix permet de prouver plus aisément la notification au moyen de l’avis de réception signé. Dans ce cadre, si c’est le destinataire qui le signe, la notification est réputée faite à personne ; en revanche, si la signature émane d’une personne munie d’un pouvoir ou d’un mandat, la notification est réputée faite à domicile (C. pr. civ., art. 670). Si un tiers signe l’avis et que le destinataire cherche à obtenir la nullité de la notification, cette distinction entraîne une conséquence en matière de preuve du pouvoir ou du mandat du tiers. La question de savoir à qui incombe cette charge de la preuve était précisément au cœur de l’arrêt commenté.
L’affaire
Reprenons les faits de l’affaire. Par acte sous seing privé du 17 novembre 2017, une banque a consenti à un particulier l’ouverture d’un compte courant ainsi que de deux crédits renouvelables. Conformément au contrat, qui prévoyait que le prêteur pouvait exiger le remboursement immédiat des sommes dues après l’envoi d’une mise en demeure, la banque a prononcé la déchéance du terme des crédits renouvelables le 28 novembre 2019, après avoir adressé des mises en demeure au débiteur le 5 septembre 2019. Par un jugement rendu le 20 novembre 2020, le juge des contentieux de la protection a condamné le débiteur à rembourser une certaine somme au titre du découvert du compte courant, mais a rejeté les demandes de la banque relatives aux crédits renouvelables. Par voie de conséquence, la banque interjeta appel le 21 décembre 2020.
La Cour d’appel de Dijon, par un arrêt du 1er décembre 2022, a confirmé l’ordonnance rendue par le juge des contentieux de la protection. Toutefois, s’agissant des crédits renouvelables, si elle statue dans le même sens, elle le fait par substitution de motif. Le débiteur soutenait en effet qu’il n’avait pas reçu les mises en demeure, ce qui, selon lui, n’avait pas fait courir les délais et ne permettait donc pas à la banque de prononcer la déchéance du terme. Or, les mises en demeure avaient été réceptionnées par un tiers au domicile du débiteur. En s’appuyant sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la banque faisait valoir que la notification était valable dès lors qu’elle était signée par un « tiers qui entretient avec le redevable des liens suffisants d’ordre personnel ou professionnel, de sorte que l’on puisse attendre qu’il fasse diligence pour transmettre ce pli ». Par ailleurs, elle soulignait que les lettres recommandées avec accusé de réception avaient été suivies d’un envoi par courrier simple. Cependant, il ressortait des attestations du service des postes que si les lettres recommandées avaient été signées par un tiers, il n’était pas précisé que ce dernier disposait d’un pouvoir ou d’un mandat émanant du débiteur pour signer l’avis de réception. En outre, la banque ne justifiait pas de l’existence de liens suffisants d’ordre personnel ou professionnel entre le débiteur et ce tiers. En conséquence, la mise en demeure n’était pas régulière.
La déchéance du terme ne pouvait ainsi être prononcée. La banque a formé un pourvoi en cassation.
Devant les magistrats du quai de l’Horloge, la banque a soutenu que, dans le cadre d’une notification en la forme ordinaire, celle-ci est réputée faite à domicile si l’avis de réception est signé par une personne munie d’un pouvoir à cet effet. De plus, la signature figurant sur l’avis adressé à une personne physique est présumée être celle du destinataire ou de son mandataire, jusqu’à preuve du contraire. La banque a ainsi reproché à la cour d’appel d’avoir méconnu les articles 1315 – devenu 1353 – du code civil et 670 du code de procédure civile en inversant la charge de la preuve. Il n’appartenait donc pas à l’expéditeur de prouver l’existence du mandat ou du pouvoir du signataire de l’avis, mais au contraire au destinataire de lever la présomption simple en établissant que ce tiers ne disposait pas d’un tel mandat ou pouvoir.
Au visa de l’article 670 du code de procédure civile, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la cour d’appel seulement en ce qui concerne les crédits renouvelables. Les juges du quai de l’Horloge rappellent que la charge de la preuve de l’absence de pouvoir ou de mandat incombe au destinataire, en l’espèce le débiteur, et non à l’expéditeur, la banque. En faisant peser cette preuve sur l’expéditeur, les juges du fond avaient inversé la charge de la preuve et violé le texte susvisé. La Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Besançon.
La présomption simple de pouvoir du signataire de l’avis de réception
Antérieurement au décret du 28 décembre 2005, l’article 670 du code de procédure civile ne comportait qu’un seul alinéa, lequel énonçait que la notification en la forme ordinaire était réputée faite à personne lorsque l’avis était signé par son destinataire. Sur ce fondement, la jurisprudence était stricte et refusait, par exemple, une notification faite au conjoint, même s’il disposait d’une procuration (Civ. 2e, 27 mai 1988, n° 87-13.251, RTD civ. 1988. 573, obs. R. Perrot ; Soc. 4 mai 1993, n° 88-45.634 ; Civ. 2e, 21 févr. 2008, n° 07-11.568, D. 2008. 792
; RTD civ. 2008. 351, obs. R. Perrot
). Le décret introduisit un système proche de celui de la signification. Désormais, un second alinéa prévoit que la notification sera réputée faite à domicile lorsque l’avis est signé par une personne munie d’un pouvoir à cet effet. Sur ce fondement, la chambre commerciale a pu valider une notification en la forme ordinaire en raison de liens suffisants d’ordre personnel ou professionnel avec le destinataire (Com. 26 juin 2007, n° 06-13.112, RTD civ. 2007. 809, obs. R. Perrot
). Cet ajout n’a pas été sans conséquence, notamment quant à la charge de la preuve du pouvoir ou du mandat du tiers. Qui devait prouver ? L’expéditeur ou le destinataire de l’acte.
Par une décision inédite rendue en matière d’assurance, la Cour de cassation a instauré une présomption simple en défaveur du destinataire. En effet, dans l’arrêt, les magistrats du quai de l’Horloge ont énoncé « la signature figurant sur l’avis de réception d’une lettre recommandée adressée à une personne physique est présumée être jusqu’à preuve du contraire, celle de son destinataire ou de son mandataire […] qu’il appartient au destinataire, qui conteste le contenu de l’envoi, d’établir l’absence du document l’informant de la modification intervenue » (Civ. 2e, 15 déc. 2011, n° 10-26.618, RTD civ. 2012. 146, obs. R. Perrot
). Au cas d’espèce, il s’agissait d’un avenant à un contrat d’assurance qui avait été envoyé par lettre recommandée avec une demande d’avis de réception et dont l’avis signé avait été précédé de la mention « PO ». S’il est vrai que cette mention ne permettait pas de rapporter la preuve d’un pouvoir reçu par le destinataire, la Cour de cassation estima que ce n’eétait pas à l’expéditeur de démontrer l’existence d’un pouvoir, mais au destinataire d’en prouver l’absence.
Cette solution a d’ailleurs été réaffirmée en matière de notification en la forme ordinaire d’une contrainte (Civ. 2e, 9 juill. 2020, n° 19-13.751) ainsi que d’un jugement (Civ. 2e, 1er oct. 2020, n° 19-15.753, D. 2020. 1959
; Rev. prat. rec. 2020. 9, chron. D. Cholet, M. Draillard, R. Laher et O. Salati
; Gaz. Pal. 2021, n° 4, p. 64, obs. N. Hoffschir). En principe, les jugements doivent être signifiés, sauf si la loi en dispose autrement (C. pr. civ., art. 675, al. 1er), à l’instar d’une ordonnance du juge de l’exécution. Dans l’affaire mentionnée, l’avis de réception avait été signé par une personne présente au domicile, et non par le destinataire de l’acte. Ce dernier a essayé d’annuler la notification en la forme ordinaire – il était forclos pour interjeter appel – mais la Cour de cassation, au terme d’un contrôle approfondi, confirma que c’est au destinataire de l’acte de démontrer que le signataire de l’acte n’avait pas de pouvoir pour signer. La présomption ainsi créée est un gage de sécurité juridique contre les destinataires de mauvaise foi, mais se trouve être un piège pour ceux de bonne foi. En effet, comme l’avait déjà souligné Roger Perrot, rapporter une telle preuve « a quelque chose d’hallucinant qui n’est pas sans danger » (R. Perrot, Notification en la forme ordinaire : preuve de la réception, RTD civ. 2012. 146
). En réalité, la preuve est tout autant difficile à établir pour l’expéditeur que pour le destinataire. Pour le premier, car le service des postes ne collecte aucun document pour établir l’existence d’un pouvoir – d’autant plus que bien souvent le tiers qui réceptionne l’avis au domicile n’a reçu aucun pouvoir ; pour le second, car il s’agit d’une preuve négative – donc d’une probatio diabolica.
L’arrêt ici commenté reprend donc la même solution en matière de mise en demeure. Une solution analogue existe pour la notification en la forme ordinaire aux personnes morales, puisque la signature sur l’avis est réputée avoir été apposée par le représentant légal ou une personne habilitée (Soc. 10 mars 1988, n° 86-42.018, RTD civ. 1988. 573, obs. R. Perrot ; Civ. 3e, 2 févr. 1994, n° 92-70.325, D. 1994. 250
, note T. Bonneau
; RDI 1994. 424, obs. B. du Marais et C. Morel
; Rev. sociétés 1994. 459, note J.-F. Barbièri
; Civ. 2e, 22 janv. 1997, n° 95-11.877, RTD civ. 1997. 505, obs. R. Perrot
). Une telle similarité de solution ne saurait étonner, l’article 670 du code de procédure civile ne distingue pas selon la qualité du destinataire de l’acte, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale, même si des auteurs parlent d’une présomption irréfragable et non simple pour les personnes morales (T. Bonneau, Dès lors que la notification du jugement est adressée au siège social de la société, la signature sur l’avis de réception est réputée avoir été apposée par le représentant légal ou une personne habilitée, D. 1994. 250
).
Le renversement de la présomption simple de pouvoir du signataire de l’avis de réception
Au regard de la difficulté pour le destinataire de l’acte de rapporter la preuve de l’absence de pouvoir ou de mandat du signataire, certains auteurs ont proposé d’abandonner la présomption (N. Hoffschir, Les difficultés liées à la remise à un « mandataire » d’une lettre recommandée avec accusé de réception, Gaz. Pal. 2021, n° 4, p. 64). Si une telle preuve peut s’avérer ardue à rapporter, cela n’est pas impossible. Ainsi, dans l’arrêt relatif à la notification d’une ordonnance du juge de l’exécution (Civ. 2e, 1er oct. 2020, n° 19-15.753, préc.), la Cour de cassation a pu affirmer que le destinataire « ne fournissait aucune autre explication » sur la présence du tiers à son domicile. En conséquence, la présomption peut tomber si le destinataire de l’acte dévoile l’identité du tiers et fournit quelques explications. Par exemple, pour une notification en la forme ordinaire entre les mains d’un tiers dépourvu de pouvoir : au gardien d’un immeuble (Civ. 2e, 17 déc. 2009, n° 09-11.393), au père ou à la mère du destinataire de l’acte (Soc. 5 mai 2011, n° 10-12.153 ; Civ. 3e, 12 oct. 2017, n° 16-22.416, Dalloz actualité, 6 nov. 2017, obs. A. Gailliard ; D. 2017. 2099
; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki
; AJDI 2018. 62
, obs. F. Cohet
; LPA 2018, n° 96, p. 15, note P.-L. Niel et M. Morin ; Defrénois 2017, n° 27, p. 24, note C. Grimaldi ; ibid. 2018, n° 3, p. 37, obs. S. Becqué-Ickowicz ; LEDC 2017, n° 11, p. 1, obs. M. Latina ; Gaz. Pal. 2017, n° 42, p. 76, obs. M. Parmentier ; JCP N 2018. 1001, note M. Mekki ; ibid. 1200, chron. S. Piedelièvre ; Constr.-Urb. 2017. Comm. 170, note C. Sizaire, dans cet arrêt, l’art. L. 271-1 CCH est visé, mais la formulation est proche de celle de l’art. 670 c. pr. civ. ; Civ. 3e, 15 févr. 2023, n° 21-20.631, AJDI 2023. 359
) ou à son associé (Civ. 2e, 17 sept. 2015, n° 14-23.139). Il est intéressant de mentionner que, hormis l’arrêt du 12 octobre 2017 – qui ne mentionnait pas l’article 670 du code de procédure civile –, tous les autres sont des arrêts inédits. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation ne mentionne pas explicitement cette faculté de renversement de la présomption simple, même si sa décision s’inscrit clairement dans la continuité de cette jurisprudence.
En tout état de cause, les jurisprudences incitent à préférer la remise directe – laquelle demeure toujours possible, même lorsque la loi ne prévoit qu’une notification par voie postale (C. pr. civ., art. 667, al. 2) –, ou le recours à la signification.
Civ. 2e, 2 oct. 2025, F-B, n° 23-11.530
par Kévin Castanier, Maître de conférences à l’Université de Rouen (CUREJ UR 4703 – Membre associé de l’IODE UMR CNRS 6262)
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