Prêts hypothécaires avec taux d’intérêt variable et clauses abusives
Dans un arrêt rendu le 13 juillet 2023, la Cour de justice de l’Union européenne répond à un renvoi préjudiciel concernant les prêts hypothécaires avec taux d’intérêt variable comportant des indices de référence pour déterminer comment interpréter la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives en pareille situation.
 
                            Parmi le nombre important de renvois préjudiciels relatifs aux clauses abusives de ces derniers mois traités par la Cour de justice de l’Union européenne (v. par ex., CJUE 8 juin 2023, aff. C-570/21, Dalloz actualité, 13 juin 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1117  ; CJUE, 9e ch., 20 avr. 2023, aff. C-263/22, Dalloz actualité, 15 mai 2023, obs. D. Bazin-Beust ; D. 2023. 780
 ; CJUE, 9e ch., 20 avr. 2023, aff. C-263/22, Dalloz actualité, 15 mai 2023, obs. D. Bazin-Beust ; D. 2023. 780  ; 2 févr. 2023, aff. C-208/21, Dalloz actualité, 7 févr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 292
 ; 2 févr. 2023, aff. C-208/21, Dalloz actualité, 7 févr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 292  ; D. Bazin-Beust, Le Droit en débats, 15 févr. 2023), il faudra se rappeler de l’affaire C-265/22, ZR PI contre Banco Santander SA. L’affaire a donné lieu, par ailleurs, à un communiqué de presse, ce que la Cour réserve à un nombre assez faible de ses arrêts.
 ; D. Bazin-Beust, Le Droit en débats, 15 févr. 2023), il faudra se rappeler de l’affaire C-265/22, ZR PI contre Banco Santander SA. L’affaire a donné lieu, par ailleurs, à un communiqué de presse, ce que la Cour réserve à un nombre assez faible de ses arrêts.
Les faits ayant donné lieu au renvoi préjudiciel prennent place en Espagne. Le 12 mai 2006, deux personnes concluent avec un établissement bancaire un prêt hypothécaire portant sur une somme de 197 934,54 €. L’article 3 bis du contrat comporte un taux d’intérêt variable. Le nouveau taux doit être déterminé tous les douze mois jusqu’au terme dudit contrat par rapport à un taux de référence (l’IRPH des établissements de crédit, majoré de 0,20 point de pourcentage) ou un taux de substitution (l’IRPH des banques majoré de 0,50 point). Le 13 février 2020, les emprunteurs saisissent le Juzgado de Primera Instancia n. 17 de Palma de Mallorca (le tribunal de première instance n° 17 de Palma de Majorque, en Espagne) afin d’obtenir la nullité de la clause litigieuse en raison de son caractère abusif. Ils estiment que la clause litigieuse est trompeuse puisqu’elle pourrait impliquer une majoration limitée du taux alors que la réalité témoigne d’une majoration importante de celui-ci. Le préjudice subi de l’application de la clause s’élève pour les emprunteurs à une somme de 39 799,25 € selon leurs conclusions. L’établissement bancaire considère la clause parfaitement légale et accessible pour le consommateur raisonnable. Le tribunal de Majorque précise rencontrer des difficultés à trancher ce litige sans l’interprétation de la Cour de justice, notamment au sujet de la directive 93/13/CEE mais également de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales. L’un des points complexes réside dans une circulaire 5/1994 du droit espagnol qui exige, sans toutefois avoir de force normative, dans ce genre de situations où un prêt à taux variable comporte comme taux de référence un IRPH de prévoir l’application d’un différentiel négatif et non d’un différentiel positif. Or, les consommateurs arguaient de l’absence d’information donnée quant au contenu du préambule de cette circulaire. La juridiction espagnole décide, par conséquent, de surseoir à statuer pour poser à la Cour de justice cinq questions :
« 1) Eu égard au fait que l’élaboration de [l’IRPH des établissements de crédit] inclut les commissions et les différentiels [appliqués] aux taux nominaux, de telle sorte qu’[il] représent[e] une charge plus lourde pour le consommateur que les autres TAEG sur le marché, et compte tenu du fait que, selon […] la circulaire 5/1994 […] – qui constitue le critère normatif de l’organisme de contrôle –, ces différentiels doivent être négatifs, exigence qui a été omise et largement ignorée par les entités financières, le fait de s’écarter complètement du critère normatif de l’organisme de contrôle est-il contraire aux articles 5 et 7 de la directive [2005/29] ?
2) S’il est établi que le fait de s’écarter du critère normatif susmentionné est contraire aux articles 5 et 7 de la directive [2005/29], conformément à la jurisprudence de la Cour […] dans l’affaire C‑689/20, cette pratique déloyale constitue‑t‑elle un élément d’appréciation et d’évaluation du caractère abusif de la clause, et est-elle contraire aux articles 3 et 4 de la directive 93/13 […] ?
3) Si la circulaire 5/1994 […], spécifique au secteur financier, mais qui n’est pas connue du grand public, n’a nullement été prise en considération et qu’il est constaté que cette omission est contraire à l’article 7 de la directive [2005/29], ladite omission constitue‑t‑elle un élément d’appréciation du caractère abusif aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, et, le cas échéant, l’indice [IRPH], qui est composé “d’un indice de référence et d’un différentiel”, doit-il faire l’objet d’un contrôle de transparence ?
4) L’article 3, paragraphe 1, et les articles 4 et 5 de la directive [93/13] s’opposent-t-il à une jurisprudence nationale [selon laquelle] l’absence d’application d’un différentiel négatif à l’IRPH [n’est pas] une pratique abusive, malgré l’obligation en ce sens imposée par le préambule de la circulaire [5/1994] et le fait que [les prêts dont le taux variable est déterminé par référence à] l’IRPH, qui est moins avantageux que tous les TAEG existants, ai[en]t été commercialisé[s] comme [des] produit[s] aussi avantageux que [les prêts dont le taux variable est déterminé par référence à] l’[indice] Euribor, sans tenir compte de la nécessité [d’appliquer à l’IRPH] un différentiel négatif, de sorte qu’il serait possible de faire cesser les effets des clauses prévoyant [une telle] application [de l’IRPH] dans le[s] contrat[s concernés], en raison de leur nullité, d’amener les entités bancaires à s’abstenir de l’utiliser à l’avenir, puisque la commercialisation de ce service [auprès de] consommateurs vulnérables peut affecter leur comportement économique, et de déclarer que ces clauses sont exclues des contrats commerciaux en raison de leur caractère déloyal, compte tenu du fait qu’elles ont été introduites [pour la détermination] des [taux d’intérêt] en violation de la directive [2005/29] ?
5) L’article 6, paragraphe 1, de la directive [93/13] s’oppose-t-il à l’absence de contrôle d’inclusion et du caractère abusif [d’une clause prévoyant que le taux d’intérêt variable d’un contrat de prêt est déterminé par référence à l’IRPH] dans le cas d’un différentiel imposé de manière dissimulée, alors qu’un différentiel négatif doit être appliqué dans l’offre soumise par une entité bancaire et que le consommateur ne parvient pas à connaître le fonctionnement économique des intérêts appliqués à son contrat de prêt lors de la phase d’information précontractuelle, ce qui est contraire à la directive [2005/29] ? »
La Cour de justice ne répondra finalement qu’à la quatrième question, jugeant les trois premières et la cinquième irrecevables. Nous allons examiner ces points successivement.
Sur l’irrecevabilité de certaines questions
Il est assez rare, au moins dans le contexte des renvois préjudiciels concernant les clauses abusives, que la Cour de justice de l’Union européenne considère des questions irrecevables. Il faut rappeler, en effet, que les questions arrivent devant la Cour avec une présomption de pertinence par ailleurs rappelée au point n° 34 de l’arrêt commenté. Mais il arrive que la législation nationale considérée ne soit pas adaptée aux questions posées dans le renvoi préjudiciel. La difficulté pouvait utilement être relevée, en l’espèce, quant aux trois premières questions et à la cinquième question qui intéressent la directive 2005/29/CE. Cette directive devait être adoptée en droit interne au plus tard le 12 juin 2007. Or, en Espagne, la directive a été transposée par une loi 29/2009 prise le 30 décembre 2009 (ley 29/2009, por la que se modifica el régimen legal de la competencia desleal y de la publicidad para la mejora de la protección de los consumidores y usuarios). Par conséquent, le contrat litigieux ayant été conclu le 12 mai 2006, la directive considérée ne pouvait pas être applicable au contrat en cause. La Cour déclare purement et simplement irrecevables les questions se rattachant à la directive 2005/29/CE. C’est une situation assez rare qui aurait dû, en tout état de cause, être directement relevée par la juridiction nationale de renvoi. Très peu de décisions intéressant les clauses abusives comportent une telle motivation. C’est donc une nouvelle occasion manquée pour les pratiques commerciales déloyales (v. déjà, CJUE 2 févr. 2023, aff. C-208/21, préc. ; pour une autre occasion manquée, CJUE 22 sept. 2022, aff. C-335/21, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud  ).
).
Moins original mais tout aussi remarquable, la même juridiction de renvoi n’avait pas expliqué à la Cour de justice de l’Union européenne les éléments de droit interne permettant d’expliciter la cinquième question portant sur la directive 93/13/CEE qui était, quant à elle, parfaitement applicable au litige. La cinquième question est donc, elle aussi, intégralement irrecevable (pt n° 44 de l’arrêt). Ce sera une occasion manquée de s’assurer que le droit espagnol est en harmonie avec les dispositions concernées. Tout ceci sonne comme un rappel en forme de vade mecum pour les juridictions internes. Non seulement les dispositions dont l’interprétation est demandée doivent être applicables au litige mais leur confrontation avec les dispositions de droit interne implique les « éléments requis (…) destinés à permettre à la Cour de répondre utilement » (§ n° 43 de l’arrêt).
La portée de l’arrêt du 13 juillet 2023 se réduit alors comme une peau de chagrin avec la réponse apportée seulement à la quatrième question qui présente déjà un intérêt très important.
Sur la clause prenant en compte un indice de référence à taux variable
Là-encore, la juridiction de renvoi n’a pas donné l’intégralité des éléments utiles pour que la Cour de justice de l’Union européenne puisse répondre en fonction de la jurisprudence nationale que la question cite pourtant explicitement. Quoi qu’il en soit, après avoir reformulé la question au paragraphe n° 49, l’arrêt en vient à rappeler l’information fondamentale pour le consommateur des conditions contractuelles et des conséquences que peut avoir le contrat. Ici, nihil novi sub sole puisque la Cour de justice a une habitude bien établie maintenant de ces rappels visant à insister sur la situation d’infériorité du consommateur par rapport au professionnel. Le juge national doit donc nécessairement vérifier que l’établissement bancaire communique au consommateur « l’ensemble des éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la portée de son engagement et qui lui permettent d’évaluer celle-ci, notamment en ce qui concerne le coût total de l’emprunt » (§ n° 53). La méthodologie ressemble donc beaucoup à celle observée dans un grand nombre d’arrêts intéressant la directive 93/13/CEE et les prêts libellés en devises étrangères (v. par ex., pour une motivation comparable, CJUE 8 juin 2023, aff. C-570/21, préc.).
La clause prévoyant une rémunération au moyen d’intérêts calculés sur la base d’un taux variable établi par référence à un indice pose nécessairement difficulté dans cette situation. Le juge national doit vérifier des éléments précis afin de déterminer si l’exigence de transparence est respectée. On notera au paragraphe n° 56 la teneur de l’information fournie dans la négociation du contrat et un accès aisé aux éléments principaux de calcul dudit indice. Ces éléments doivent être particulièrement surveillés par les établissements bancaires pour éviter toute difficulté sur le fondement des clauses abusives dans ce contexte.
Reste donc à appliquer ces critères a u cas de la clause considérée. La circulaire espagnole 5/1994 prévoit en effet la nécessité d’attirer l’attention des banques concernant le niveau IRPH par rapport au taux du marché et d’appliquer un différentiel négatif afin de les aligner sur ce taux. La Cour de justice y voit une possibilité pour la juridiction de renvoi de constater l’absence d’un tel différentiel (au profit d’un différentiel positif, par exemple) pour acter la présence d’une clause abusive. Or, ces éléments informatifs n’ont pas été publiés dans la circulaire qui établissait l’indice de référence contractuel citée par la clause litigieuse. La Cour ajoute donc au paragraphe n° 60 que le tribunal devra vérifier si le consommateur devait alors avoir une démarche active pour trouver les informations qui relève « déjà de la recherche juridique », mention intéressante pour tout lecteur habitué des décisions du droit de la consommation. On connaît, en effet, la sévérité de la Cour de justice pour ces démarches actives. Si le consommateur n’a pas à rester passif, il n’a pas à savoir mener des recherches juridiques pour être bien informé de sa situation avant de conclure un contrat risqué.
Il subsistera un problème épineux pour la banque. Celle-ci arguait que la clause n’était pas standardisée mais qu’elle avait relevé d’une négociation individuelle, ce qui pourrait soustraire l’application de la directive sur les clauses abusives. Selon la jurisprudence constante de la Cour, c’est à l’établissement bancaire de le prouver (chose, bien souvent, purement et simplement impossible pour les établissements bancaires). Si le créancier de l’obligation de remboursement ne parvient pas à établir cette preuve, la recherche du caractère abusif pourra se faire, notamment en comparant la clause avec des modes de calcul « habituellement retenus » (§ n° 65). Tout ceci résulte du fameux arrêt Banco Primus (CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, Banco Primus, D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud  ; AJDI 2017. 525
 ; AJDI 2017. 525  , obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron
, obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron  ). Ces solutions sont connues en matière de prêts libellés en devises étrangères.
). Ces solutions sont connues en matière de prêts libellés en devises étrangères.
Par conséquent, l’arrêt du 13 juillet 2023 ne donne pas de solution pré-faite. Il permet de forger une méthodologie pour l’étude du caractère abusif en se référant à un indice établi par une circulaire faisant état de la nécessité d’appliquer à l’indice considéré un différentiel négatif, même si ladite circulaire n’est pas désigné dans le contrat. Voici donc de quoi donner un peu de lecture aux directions juridiques des banques qui font fleurir ce type de contrats dans de nombreux droits internes.
© Lefebvre Dalloz