Prêts libellés en devises étrangères : entre confirmation et précision
L’arrêt rendu le 17 septembre 2025 confirme la position de la Cour de cassation en matière de prescription et de clauses abusives s’agissant des contrats de prêt libellés en devises étrangères. Elle vient, en parallèle, préciser les règles applicables au préjudice réparable.
Le prêt libellé en devises étrangères présente le très grand avantage de pouvoir bénéficier de d’une évolution favorable des taux de change… tout comme le risque d’une évolution moins favorable (v. dern., Civ. 1re, 9 juill. 2025, n° 24-19.647 et n° 24-18.018 FS-B, Dalloz actualité, 9 sept. 2025, obs. F. Hilaire ; D. 2025. 1253
). C’est pourquoi la conclusion d’un tel type de contrat nécessite impérativement d’être efficacement informé sur l’existence d’un risque de change.
Cette difficulté est parfaitement illustrée par l’arrêt rendu le 17 septembre 2025, où la simplicité des faits de l’espèce dissimule en réalité la richesse du litige, qui mêle une question de prescription sur fond de clauses abusives et d’indemnisation du préjudice subi en raison d’un manquement à une obligation d’information.
En l’espèce, un emprunteur a souscrit auprès d’une banque un contrat de prêt affecté à l’achat d’un studio remboursable en une échéance unique. Estimant que la plupart des clauses ont un caractère abusif, principalement car la banque avait manqué à son obligation d’information concernant le risque de change des contrats de prêt libellés en devises étrangères (en l’occurrence en francs suisses), l’emprunteur assigna celle-ci en restitution des sommes perçues et en réparation des préjudices subis.
La Cour d’appel de Douai fit droit à l’intégralité des demandes de l’emprunteur. Les juges du fonds rejetèrent d’abord la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de restitution et admirent que l’action de l’emprunteur était bien recevable. Au soutien de son pourvoi, la banque faisait valoir une récente jurisprudence de la Cour de cassation du 12 juillet 2023, en vertu de laquelle le point de départ de la prescription quinquennale de l’action en restitution de sommes indûment versées devait s’apprécier à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif de la clause. La banque ajoute en outre, qu’une telle règle ne pouvait s’appliquer qu’aux actions restitutoires introduites postérieurement à la date à laquelle cette jurisprudence fut posée, à savoir le 12 juillet 2023 (Civ. 1re, 12 juill. 2023, n° 22-17.030, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2173
, note N. Kilgus et T. de Ravel d’Esclapon
; ibid. 1869, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; ibid. 1963, chron. S. Robin-Raschel, A. Daniel, I. Kloda, E. Buat-Ménard, L. Duval et V. Champ
; ibid. 2024. 650, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; RTD civ. 2023. 889, obs. H. Barbier
; RTD com. 2023. 705, obs. D. Legeais
).
La cour d’appel reconnut ensuite comme abusives les clauses litigieuses du contrat de prêt. Pour s’en défendre, la banque soutenait que le simple fait que les clauses litigieuses n’aient pas été rédigées de façon claire et compréhensible ne permettait pas de les qualifier d’abusives. En effet, la banque ajoute qu’encore faut-il que ces clauses litigieuses aient une incidence sur les droits et obligations des parties. Elle ajouta également que le caractère abusif d’une clause devait s’apprécier à la date de la conclusion du contrat qui la contient. Toujours selon la créancière, la cour d’appel n’avait donc pas les moyens, dès la date de conclusion du contrat, d’apprécier le déséquilibre significatif issu d’un manque d’information dans les mécanismes de change dans la mesure où, au jour de la conclusion du contrat litigieux, il existait un aléa dans la parité entre le franc et le franc suisse de façon à créer un équilibre contractuel.
Enfin, dans le troisième et dernier temps, la cour d’appel condamna la banque au versement de dommages et intérêts au titre de la réparation du préjudice financier de l’emprunteur. Pour les juges, la méconnaissance de l’obligation d’information est à l’origine d’une perte de chance d’éviter la réalisation du risque de change. La demanderesse estimait, sur le fondement du principe de réparation intégrale, que la restitution des sommes aurait suffi à replacer la victime dans l’état où elle se trouvait avant le dommage, de sorte qu’elle ne pouvait se prévaloir d’aucun autre préjudice existant.
La Cour de cassation ne se laisse qu’en partie séduire par les arguments de la banque en ne cassant que partiellement l’arrêt d’appel.
S’agissant du délai de prescription, les Hauts magistrats rejettent sèchement le moyen en jugeant que la banque retenait une « interprétation contraire au droit de l’Union européenne ». La première chambre civile applique donc sa récente jurisprudence du 12 juillet 2023, elle-même fondée sur des principes énoncés par la Cour de justice dans des arrêts du 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 2288
, note C. Aubert de Vincelles
; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki
; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; RDI 2021. 650, obs. J. Bruttin
; RTD com. 2021. 641, obs. D. Legeais
) et du 9 juillet 2020 (CJUE 9 juill. 2020, aff. C-698/18 et C-699/18, Dalloz actualité, 3 sept. 2020, obs. J.-D. Pellier). Ainsi, le délai de prescription quinquennale de l’action en restitution de sommes indûment versées des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce est fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses d’un contrat de prêt libellé en devises étrangères. Toutefois, la Cour de cassation précise qu’il en va autrement dans l’hypothèse où l’emprunteur avait ou pouvait avoir raisonnablement connaissance du caractère abusif de la clause concernée avant que n’intervienne la décision (une position de la Cour qui trouve encore son origine dans le droit européen, CJUE 25 avr. 2024, Banco Santander, aff. C-561/21, Dalloz actualité, 3 mai 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 821
; ibid. 1877, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; RCJPP 2024, n° 06, p. 61, chron. K. De La Asuncion Planes
). Selon la Cour de cassation, la banque n’apportait aucunement la preuve d’une telle connaissance de la part de l’emprunteur qui aurait pu justifier le rejet de la fin de non-recevoir.
Réitération : la prescription et le caractère abusif
Ainsi, la Cour de cassation poursuit ici son travail d’harmonisation avec le droit européen entrepris en avec l’arrêt du 12 juillet 2023 et confirme donc bien sa position en la matière : le point de départ du délai de prescription de l’action en restitution de sommes indûment versées fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d’un contrat de prêt libellé en devises étrangères doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses.
En parallèle, cet arrêt apporte une précision très importante relative à la règle applicable en matière de prescription de contrat de prêt libellé en devises étrangères en indiquant qu’une règle née d’une interprétation jurisprudentielle peut tout à fait être appliquée à des situations juridiques nées antérieurement à cette interprétation. Ce n’est pas nouveau – sauf exception – la jurisprudence peut être rétroactive. En d’autres termes, le point de départ ici fixé n’a pas vocation à s’appliquer uniquement au contrat de prêt libellé en devises étrangères conclus postérieurement à l’arrêt du 12 juillet 2023.
S’agissant du caractère abusif des clauses du contrat de prêt, la Cour de cassation rejette l’intégralité des moyens. Bien que la banque ait indiqué que les conséquences défavorables du changement de parité entre les différentes devises étaient supportées par l’emprunteur, cela ne suffisait pas à rendre la clause claire et intelligible pour un consommateur moyen. De ce fait, les clauses créent un déséquilibre significatif en raison du manquement de la banque à son obligation d’information. Les magistrats viennent donc rappeler que le droit bancaire est favorable aux consommateurs, les critères de clarté et d’intelligibilité étant appréciés à la faveur de l’emprunteur. À ce titre, la Cour de cassation en profite pour rappeler les fondements communautaires des règles applicables en matière de clauses abusives, précisant qu’un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties peut résulter d’une formulation ne satisfaisant pas à l’exigence d’une rédaction claire et compréhensible (Dir. 93/13/CEE du 5 avr. 1993, art. 5) et que l’interprétation de telles clauses doit être extensive (CJUE 28 juill. 2016, Verein für Konsumenteninformation, aff. C-191/15, pts 67 et 68, D. 2016. 2315
, note F. Jault-Seseke
; ibid. 2141, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny
; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke
; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; Dalloz IP/IT 2017. 50, obs. E. Treppoz
; Rev. crit. DIP 2017. 112, note S. Corneloup
). Cette solution est bienvenue, il apparaît effectivement difficile pour un profane de saisir l’ampleur des conséquences économiques des mécanismes de variations des taux de change, de paiement d’intérêt, de capital payable des prêts libellés en devises étrangères.
Rappelons que la banque estimait que le contrat était bien équilibré car le taux de change des devises choisies aurait pu évoluer dans un sens favorable à l’emprunteur. Un argument qui s’entend, mais encore faut-il être correctement informé de cet aléa ! La Cour de cassation, sur ce dernier point, indique que le contrat de prêt ne faisait aucune mention des éléments fondamentaux tenant au risque de change. Or, ces informations sur une potentielle dévaluation de la monnaie auraient effectivement été susceptibles d’avoir une incidence sur le consentement de l’emprunteur lors de la conclusion du contrat de prêt.
Précision : le préjudice réparable
S’agissant du préjudice réparable, un point de désaccord apparaît entre la cour d’appel et la Cour de cassation. La cour d’appel avait reconnu l’existence d’un préjudice financier consistant en la perte de chance d’éviter la réalisation du risque de change. La Cour de cassation, quant à elle, relève que l’action restitutoire ayant été exécutée, aucun préjudice de perte de chance ne pouvait plus être retenu. En effet, toutes les sommes perçues par la banque en raison de l’exécution du contrat de prêt ont été restituées, en euros, en prenant en compte le taux de change applicable au moment de chacun des paiements et avec compensation. Ce faisant, pour la Cour de cassation, l’emprunteur à travers l’action restitutoire, a été replacé dans la situation dans laquelle il se trouvait avant la conclusion du contrat.
On ne peut que souscrire à cette position. S’il ne fait aucun doute que la banque ait commis une faute contractuelle consistant en un manquement à son obligation d’information, encore faut-il, pour obtenir réparation, que cette faute soit en lien de causalité avec un préjudice certain. Or, en l’espèce, l’action restitutoire a eu exactement pour effet de replacer la victime dans la situation où elle se trouvait avant la survenance du dommage, puisque l’emprunteur a obtenu la restitution de l’intégralité des sommes versées à la banque, en prenant en compte le taux de change de chaque versement. Pour cette raison, l’emprunteur ne pouvait logiquement plus se prévaloir de l’existence d’un quelconque préjudice financier.
En définitive, cet arrêt précise donc la position de la Cour de cassation sur les contrats de prêt libellé en devises étrangères. Si la Cour confirme sa position s’agissant des règles applicables en matière de prescription et de clauses abusives, elle précise cependant, que dans l’éventualité où une action en restitution des sommes indûment versées est exercée, aucun préjudice financier distinct n’est à réparer.
Civ. 1re, 17 sept. 2025, F-B, n° 23-23.629
par Amor Ben Saïd, Docteur en droit privé
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