Procédure orale, comparution et respect du contradictoire : les rappels
En procédure orale, la partie régulièrement convoquée à l’audience mais qui ne se présente pas, ne peut arguer d’une violation du contradictoire, ni reprocher au juge d’écarter des pièces qu’elle s’est contentée de produire. Il en va autrement si elle a été dispensée de comparaître. Reste que dans cette seconde hypothèse, le juge qui souhaite fonder sa décision sur un moyen relevé d’office doit inviter la partie dispensée à formuler ses observations.
La procédure orale a été initialement pensée comme une procédure simple, devant permettre à chaque justiciable, sans connaissance et sans assistance d’un avocat, de saisir son juge. Elle était présentée comme le seul moyen pour un citoyen, « serait-il totalement illettré, de saisir directement son juge, sans formalisme, par simple comparution, sans frais (sauf devant le tribunal de commerce) et de plaider lui-même sa cause » (B. Travier, Procédures orales, Dalloz, coll. « Dalloz Service », 2002, spéc., p. 18, n° 0.24). Mais la conception stricte de l’oralité adoptée par la Cour de cassation (G. Maugain, Procédure orale et accès intellectuel au juge, in L’accès au juge : recherche sur l’effectivité d’un droit, Bruylant, 2013, p. 445 s.) contrebalancée par le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010, autorisant et encadrant le recours à l’écrit et les dispenses de comparution (C. pr. civ., art. 446-1, al. 2) ont brouillé cette simplicité, au point que certains en oublient les règles les plus élémentaires de procédure civile. La Cour de cassation les rappelle comme dans les deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile le 24 octobre 2024. Dans la première espèce (pourvoi n° 22-18.471), il s’agissait d’un litige relatif à des honoraires d’avocat. Le client d’un avocat a saisi le bâtonnier d’une contestation sur les honoraires dus. En l’absence de décision du bâtonnier dans le délai prévu, il a saisi directement le premier président de la cour d’appel. Le client est alors convoqué à une audience par lettre recommandée dont il a signé l’avis de réception. À l’audience, le premier président fait droit au moyen d’irrecevabilité soulevé par l’avocat. Le client se pourvoit en cassation. N’étant pas présent à l’audience du premier président, le moyen retenu n’avait pas pu être débattu contradictoirement. En outre, le premier président aurait méconnu un certain nombre de pièces produites par lui. Dans la seconde espèce (pourvoi n° 22-15.908, D. 2024. 1911
), il s’agissait d’un conflit entre une CPAM et une assurée. La caisse ayant notamment refusé de verser à l’assurée une pension d’invalidé, cette dernière a saisi d’un recours la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification (CNITAAT). La cour déclare la demande irrecevable au motif que l’assurée n’avait pas soumis au préalable à la CPAM sa demande de reconnaissance d’un état d’invalidité. L’assurée se pourvoit en cassation. Le moyen retenu par la CNITAAT avait été soulevé d’office par la Cour. Or, n’étant pas présente à l’audience, l’assurée n’avait pu formuler ses observations sur ce moyen. Dans les deux cas, la Cour de cassation devait rappeler les règles permettant d’assurer le respect le contradictoire lorsqu’une partie est absente au cours d’une audience s’inscrivant dans une procédure orale. Elle le fait au visa de l’article 16 du code de procédure civile et met ainsi l’accent sur les devoirs du juge dans cette hypothèse. Ce dernier doit vérifier que la partie absente a été correctement convoquée et qu’elle ne bénéficie pas d’une dispense de comparution. Puis il doit en tirer les conséquences.
Selon l’article 16 du code de procédure civile, le juge doit en toute circonstance faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire (encore appelé contradiction). Ce principe est défini par l’article 14 du même code comme l’obligation d’entendre ou d’appeler chaque partie devant être jugée. L’alternative est importante. L’idéal est que la partie soit entendue. Mais si elle décide de ne pas se présenter, la justice ne doit pas être paralysée pour autant. Cette idée se retrouve dans différents textes du code de procédure civile. L’article 56 indique que l’assignation doit comporter l’avertissement que, faute pour le défendeur de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire. L’article 468 relatif au jugement contradictoire prévoit que « si, sans motif légitime, le demandeur ne comparaît pas, le défendeur peut requérir un jugement sur le fond qui sera contradictoire ». Une partie ne peut choisir de ne pas se présenter puis dénoncer l’absence de débats contradictoires. Mais encore faut-il qu’elle décide volontairement de ne pas se présenter. Ce ne sera pas le cas si elle n’a pas été correctement convoquée. Et c’est là que le juge doit être vigilant. Il doit vérifier, comme l’indique la Cour de cassation dans la première espèce, que la partie absente a été régulièrement convoquée et mise en mesure de débattre contradictoirement des moyens qui pouvaient être soulevés à l’audience (§ 8). Or cela ne faisait pas de doute, en l’espèce, puisque le client de l’avocat avait été convoqué à l’audience par lettre recommandée dont il avait signé l’avis de réception (§ 4). À partir de là, l’absence de la partie est présumée fautive et le juge ne peut être empêché de statuer en se fondant sur les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits que les parties ont été à même de débattre contradictoirement (C. pr. civ., art. 16, al. 2) et peu importe qu’elles n’en aient pas effectivement débattu. La partie défaillante ne peut se plaindre. Plus encore, elle ne peut reprocher au juge d’écarter les pièces qu’elle a produites, car dans la procédure orale, aucune pièce ne produit d’effet si elle n’a pas été reprise par son auteur à la barre (Soc. 23 avr. 1986 P). On retrouve ici la conception rigide de l’oralité telle que vue par la Cour de cassation. L’arrêt rendu dans la première espèce précise toutefois que cette solution n’est valable que parce que la partie absente lors de l’audience, n’avait pas été dispensé de comparaitre (§ 14).
Si la convocation est régulière, le juge doit encore s’assurer que la partie absente ne l’est pas en raison d’une dispense. En effet, depuis le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010, l’article 446-1 énonce, dans son alinéa 2, que « lorsqu’une disposition particulière le prévoit, les parties peuvent être autorisées à formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit sans se présenter à l’audience ». Il existe alors différentes sortes de dispense (N. Cayrol, Procédure contentieuse, in Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen 2021/2022, 10e éd., Dalloz Action, 2020, spéc. n° 431.132, p. 1158). Il existe des dispenses légales limitées à une demande en particulier. Ainsi, devant le tribunal judiciaire statuant selon la procédure orale, la partie qui forme par courrier, remis ou adressé au greffe, une demande incidente tendant à l’octroi d’un délai de paiement peut ne pas se présenter à l’audience (C. pr. civ., art. 832, al. 2). Il existe surtout des dispenses judiciaires comme celle prévue à l’article 831 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure orale se déroulant devant le tribunal judiciaire. Le juge peut dispenser une partie qui en fait la demande de se présenter à une audience ultérieure. Dans ce cas, « la communication entre les parties est faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par notification entre avocats et il en est justifié auprès du tribunal dans les délais que le juge impartit ». Dans ce cas, les pièces produites par la partie absente n’ont pas à être écartées et puisqu’il y a eu « communication » entre les parties, le jugement rendu dans ces conditions est réputé contradictoire. Reste que cela ne fonctionne pas quand le juge souhaite fonder sa décision sur moyen relevé d’office car dans cette hypothèse la partie absente n’est pas en mesure d’en débattre. C’était la cas dans la seconde espèce et la Cour de cassation reprend une formule à laquelle elle a déjà eu recours (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-15.985, Dalloz actualité, 17 nov. 2020, obs. C. Caseau-Roche ; D. 2020. 2124
; ibid. 2021. 104, obs. T. Wickers
; ibid. 543, obs. N. Fricero
; 2 juin 2022, n° 21-16.072, D. 2022. 1096
; RDSS 2022. 764, obs. T. Tauran
) : « En procédure orale, il ne peut être présumé qu’un moyen relevé d’office par le juge a été débattu contradictoirement, dès lors qu’une partie n’était pas présente à l’audience » (§ 8). La formule, en apparence limpide, soulève deux questions. Est-elle valable en l’absence de dispense, quand la partie absente a été correctement convoquée mais refuse sciemment de se présenter ? En faveur d’une réponse positive, il peut être avancé que la formule est générale, elle ne distingue pas en fonction des raisons de l’absence. Mais on ne voit pas très bien pourquoi, en présence d’une partie défaillante, le moyen relevé à l’audience par la partie adversaire pourrait être retenu et non pas le moyen relevé d’office. Pas plus l’un que l’autre n’était prévisible, mais tous deux étaient probables. Dans l’arrêt du 2 juin 2022 (n° 21-16.072), c’est bien en présence d’une partie dispensée de comparaître que la formule a été utilisée La convocation régulière pourrait en outre être interprétée comme une invitation à formuler ses observations sur le potentiel moyen qui pourrait être relevé d’office. La seconde question porte sur la manière dont le juge doit inviter la partie dispensée à formuler ses observations sur le moyen relevé d’office. On peut imaginer une notification par le biais du greffe. Mais la meilleure solution semble être celle préconisée par l’article 446-1, alinéa 2, in fine. En cas de dispense, « le juge a toujours la faculté d’ordonner que les parties se présentent devant lui ».
Civ. 2e, 24 oct. 2024, FP-B, n° 22-18.471
Civ. 2e, 24 oct. 2024, FP-B, n° 22-15.908
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