Procédure pénale et supervision des banques : le principe ne bis in idem détaillé par la Cour européenne

L’application du principe ne bis in idem dans le cadre de procédures mixtes dévoile un raisonnement technique que les juges européens étayent, de manière pédagogique, dans une affaire qui concerne le milieu bancaire. L’arrêt Pinhal – disponible en français – est didactique quant à la transposition des étapes d’analyse à toute autre situation similaire.

Le vice-président du conseil d’administration de l’un des établissements bancaires portugais les plus importants a été visé par plusieurs procédures pénales et administratives. Sa faute ? Avoir mis en place un trading circulaire pour acheter et vendre les actions de la banque, influençant ainsi leur cours sur le marché financier. Loin d’accroître la valeur des actions, ce système a conduit à des pertes substantielles pour la banque qui a ensuite cherché à masquer comptablement la situation.

Un actionnaire a alors averti la Banque du Portugal et la Commission du marché des valeurs mobilières, toutes deux chargées du contrôle bancaire et financier. Une plainte a également été transmise au procureur.

Trois procédures ont alors été engagées, à peu près au même moment, à l’encontre du vice-président. La procédure administrative de la Banque du Portugal pour présentation de fausses informations et faux en écriture comptable s’est soldée, en appel, par la reconnaissance d’une prescription pour l’un des manquements et pour un acquittement pour les autres.

Manipulation du marché

La procédure pénale a conduit à une condamnation de l’accusé pour manipulation de marché à une peine d’emprisonnement de deux ans avec sursis, une interdiction accessoire d’exercer et le paiement de 300 000 € à une institution caritative.

La procédure administrative devant la Commission du marché des valeurs mobilières pour manquement au devoir de fourniture d’information de qualité a conduit à une amende globale de 480 000 €, une interdiction d’exercer la profession et une incapacité d’exercer des fonctions administratives pendant cinq ans.

Le requérant invoquait le principe ne bis in idem garanti à l’article 4 du Protocole n° 7 à la Convention, expliquant qu’il avait été condamné plusieurs fois pour les mêmes faits.

Définition autonome du principe ne bis in idem

Les juges européens ont repris leur raisonnement désormais classique pour l’appliquer au milieu bancaire et répondre aux arguments du gouvernement qui s’accrochait à la distinction faite en droit interne entre procédure pénale et procédure administrative. La Cour européenne a écarté cette réserve et rappelé que la notion de procédure pénale induite par le principe ne bis in idem revêt une définition autonome du droit interne.

Ainsi, pour déterminer si une procédure est de nature pénale au sens européen du terme, la qualification interne ne suffit pas : il faut rechercher la nature de l’infraction et étudier la sévérité de la sanction encourue.

En l’espèce, la Cour européenne relève que les infractions poursuivies par la Banque du Portugal et la Commission du marché des valeurs mobilières sont qualifiées de graves par le droit interne et que les sanctions encourues sont clairement punitives, avec pour objectif de sauvegarder la stabilité du système financier pour éviter tout effet systémique : un tel intérêt général confirme la nature pénale des procédures qualifiées d’administratives par le droit interne.

La conclusion intermédiaire conduit à faire application du principe ne bis in idem à ces trois procédures. Il importe alors de s’assurer de l’existence de décisions définitives, ce qui n’était pas contesté en l’espèce.

Se pose ensuite l’épineuse question de la répétition des poursuites (bis). Il s’agit de déterminer si les procédures sont unies par un lien matériel et temporel suffisamment étroit, constituant ainsi un ensemble cohérent. À ce titre, les juges européens constatent, d’une part, que les trois procédures visaient des buts complémentaires distincts puisqu’en plus de la répression il s’agissait de prévenir un risque systémique pour le marché financier.

D’autre part, ils considèrent que la mixité des procédures était prévisible pour le justiciable puisque la banque est officiellement placée sous la supervision de la Banque du Portugal et de la Commission du marché des valeurs mobilières : il était acquis que ces organes administratifs surveillaient l’établissement bancaire et avaient les moyens de réagir en cas de manquement.

Par ailleurs, la conduite des différentes procédures s’est faite de manière coordonnée avec les autres, tant du point de vue du recueil des éléments de preuves (échanges d’informations entre les différentes autorités) que du prononcé des sanctions (sanctions accessoires prononcées en dernier ont été déclarées éteintes car déjà purgées par la procédure pénale).

Face à un lien matériel suffisamment étroit, la Cour devait encore se prononcer sur le lien temporel entre les procédures : elle a considéré qu’il était démontré en raison du fait qu’elles avaient toutes été ouvertes en même temps et que les différentes audiences avaient eu lieu de manière rapprochée.

Cette analyse technique et précise a amené une conclusion évidente : ces trois procédures ont, en réalité, constitué un tout cohérent et donc aucune répétition (bis) n’a existé : le principe ne bis in idem n’a pas été enfreint, si ce n’est formellement du moins sur dans sa dimension substantielle.

 

CEDH 8 oct. 2024, Pinhal c/ Portugal, nos 48047/15 et 2276/20

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