Produits structurés et assurance vie : acte III

Dès lors qu’elles sont admises sur un marché reconnu, les obligations satisfont à la condition de négociabilité prévue à l’article R. 332-2 du code des assurances. Ayant constaté que les obligations structurées litigieuses avaient été admises sur un marché reconnu au sens du même texte, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu qu’elles étaient éligibles en tant qu’unités de compte d’un contrat d’assurance sur la vie.

Au sein des assurances sur la vie, certains contrats, en particulier les contrats de capital différé contre-assuré, sont des enveloppes patrimoniales qui permettent la détention d’une épargne et l’attribution de celle-ci au bénéficiaire désigné lors du décès de l’assuré. Cette physionomie, qui rapproche ces contrats d’un produit de placement, a été confortée par la libéralisation des contrats en unités de compte par la loi du 16 juillet 1992 (C. Bastard, La réforme des contrats en unités de compte, RGAT 1999. 241). Il résulte en effet de celle-ci le principe, énoncé à l’article L. 131-1, alinéa 2, du code des assurances, selon lequel « en matière d’assurance sur la vie ou d’opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d’actifs offrant une protection suffisante de l’épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d’État ». Depuis lors, l’éligibilité des supports d’investissement à l’assurance vie n’a cessé de s’étendre et d’être assouplie (en dernier lieu, Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises [PACTE] et loi n° 2023-973 du 23 oct. 2023 relative à l’industrie verte).

Tenter d’échapper aux pertes. Il reste que le choix d’investir les primes sur des unités de compte plutôt que sur un fonds en euros, aussi séduisant soit-il lors de la souscription ou d’un arbitrage, en termes de perspectives de rendement, peut se révéler quelques mois ou années plus tard très décevant. En effet, l’assureur s’engage sur le nombre d’unités de compte, mais non sur leur valeur, ce dont l’assuré est en principe dûment informé (C. assur., art. A. 132-5 et A. 132-8, 2, b ; adde, art. L. 112-2-1, IV ; à cette information générale s’ajoute l’information dédiée à chaque unité de compte, indiquant les risques de pertes en capital et le profil de risque).

De deux choses l’une alors, ou bien l’épargnant, beau joueur, admet la perte, ou bien il tente d’y échapper et de la reporter, en tout ou partie, sur l’assureur ou l’intermédiaire d’assurance. Ici, il décèle une inexécution de l’obligation d’information, l’autorisant à mettre en œuvre la faculté de renonciation prorogée (C. assur., art. L. 132-5-2, étant rappelé que la prorogation bénéficie au seul contractant de bonne foi et lui profite dans la limite de 8 ans à compter de la date où il est informé que le contrat est conclu) ; là, il estime avoir été mal conseillé et engage la responsabilité du distributeur en réparation de la perte de chance qu’il a subie. Ailleurs encore, et de manière plus originale, il interroge la validité de l’opération, non pas que son consentement ou sa capacité soit en cause, mais bien davantage le contenu du contrat.

Contester la validité des unités de comptes. Une question est alors de savoir si les unités de compte qu’il a choisies parmi la liste des supports proposés par l’assureur sont conformes à la réglementation en vigueur. Dans la négative, une irrégularité est établie, dont les conséquences demeurent pour l’heure en suspens. Tout au plus peut-on relever que lorsque l’éligibilité à l’assurance vie de certains supports est contestée, ce sont les responsabilités de l’assureur et/ou de l’intermédiaire qui sont recherchées par les assurés, probablement parce que les effets de la nullité, qu’elle porte sur le contrat, sur le choix initial des unités de compte ou sur un acte d’arbitrage, ne sont ni souhaitables (certaines des unités de compte choisies pouvant avoir généré des plus-values), ni maîtrisables (la nullité de la clause proposant l’unité de compte illicite risquant de se propager à l’ensemble du contrat d’assurance si elle est jugée déterminante du consentement des parties au sens de l’art. 1184 c. civ.).

Ceci posé, la voie consistant à discuter l’éligibilité des supports retenus par l’assureur pour constituer les unités de compte du contrat est devenue très étroite, à la suite de deux décisions rendues en 2017 et 2020 dans la même affaire par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Celle-ci vient de parachever ce mouvement de fermeture par un arrêt du 10 octobre 2024, lequel lève les derniers doutes qui pouvaient subsister, ce qui justifie sa publication au Bulletin.

Chaque fois, le support en cause était un produit structuré, c’est-à-dire un produit d’investissement dont le montant du remboursement et de la rémunération à chaque échéance dépend d’une formule intégrant des paramètres financiers aléatoires (M. Roussille, Les produits structurés, produits à haut risque, JCP E 2018. 1462).

Acte I. Dans le premier arrêt, la Haute juridiction a considéré qu’un EMTN (Euro medium term notes), pouvait être qualifié d’obligation, une telle qualification n’exigeant pas que soit garanti le remboursement du nominal (Civ. 2e, 23 nov. 2017, n° 16-22.620 P, Dalloz actualité, 30 nov. 2017, obs. F. Mélin ; D. 2018. 270 , note M. Storck et T. de Ravel d’Esclapon ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; Rev. sociétés 2018. 392, note J.-M. Moulin ; RTD com. 2018. 389, obs. J. Moury ; RGDA 2018. 52, note L. Mayaux ; LEDA déc. 2017. 5, obs. P.-G. Marly). En effet, les obligations sont, selon l’article L. 213-5 du code monétaire et financier, « des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale ». Il n’est donc pas requis que le remboursement intégral du capital investi soit garanti. Par suite, le produit structuré litigieux pouvait, en tant qu’obligation, servir de sous-jacent à une unité de compte.

Acte II. Dans le deuxième arrêt, la Cour de cassation a estimé, à la lumière des travaux préparatoires de la loi du 16 juillet 1992, que l’article L. 131-1 précité doit être lu comme posant pour seule exigence que les supports des unités de compte figurent sur la liste dressée par décret en Conseil d’État, codifiée à l’article R. 131-1 du code des assurances (Civ. 2e, 16 juill. 2020, n° 19-16.922 P, Dalloz actualité, 1er sept. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 1518 ; RGDA 2020. 44, note L. Mayaux ; LEDA 2020, n° 9, p. 1, note P.-G. Marly ; RCA 2020. Comm. 2013, note Y. Quistrebert). En d’autres termes, la mention par ce texte que ces supports doivent offrir une protection de l’épargne n’est pas une condition autonome et supplémentaire de leur éligibilité ; elle est seulement une invitation à l’adresse du pouvoir réglementaire à n’inscrire sur la liste que des supports présentant de telles qualités. Dit autrement, l’inscription d’un support emporte présomption – irréfragable – que celui-ci protège suffisamment l’épargne, quand bien même ses caractéristiques pourraient conduire à en douter sérieusement (P. Pailler, Assurance-vie : l’obligation est un support qui offre une protection suffisante de l’épargne investie… même quand elle ne garantit pas le remboursement du capital, RD banc. et fin. 2020. Alerte 65). Cette protection relève du pouvoir réglementaire, non du pouvoir judiciaire, ce qui, ici, est sans doute gage d’une certaine sécurité juridique (en ce sens, L. Mayaux, note préc.) à défaut d’être pleinement satisfaisant (qui pour exercer un recours en annulation du décret en CE rendant éligible à l’assurance vie un tel support au motif qu’il ne protègerait pas suffisamment l’épargne ?). Nonobstant ces réserves, la solution adoptée vaut non seulement pour les obligations structurées mais encore pour tous les supports visés par les dispositions du code des assurances, pour lesquels il est donc vain de démontrer qu’ils ne protègent pas suffisamment l’épargne.

Acte III. Le troisième arrêt, objet de ce rapide commentaire et lui aussi rendu à propos d’un EMTN, ajoute un nouvel élément.

Très certainement averti de la jurisprudence de la Cour de cassation, l’assuré, déçu de son investissement (ce que l’on peut comprendre, sa perte en capital représentant plus de 120 000 €, soit 80 % de ses versements) avait cru trouver un ultime levier dans l’article R. 332-2, 2°, du code des assurances. Cette disposition, à laquelle l’article R. 131-1 renvoie, vise en effet « Les valeurs et titres assimilés, autres que celles et ceux mentionnés au 1° et négociés sur un marché reconnu, qui suivent » (parmi lesquels des titres obligataires). Il importe de préciser, que selon le même article, les marchés reconnus sont « les marchés réglementés des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen ou les marchés de pays tiers membres de l’OCDE en fonctionnement régulier ». Pour l’assuré, il convenait d’entendre la formule « négocié sur un marché reconnu » comme exigeant, d’une part, que le support puisse être échangé sur le marché en cause « et », d’autre part, qu’il soit (effectivement) négociable, ce que seul pourrait attester un volume suffisant de transactions.

Au soutien d’une telle analyse, il était possible de mobiliser l’arrêt précité du 16 juillet 2020. La Cour de cassation y avait en effet énoncé : « Ayant retenu que le produit Optimiz Presto 2 s’analysait en une obligation […], puis relevé qu’il avait été officiellement admis à la cote de la Bourse de Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l’article R. 232-2, 2°, du code monétaire et financier [sic] et que sa liquidité effective était établie par cinq mille deux-cent-vingt négociations par les clients de la société Generali vie, intervenues de 2007 à 2013, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il était éligible comme unité de compte dans un contrat d’assurance sur la vie ».

Ce faisant, en reprenant in extenso pour l’approuver la motivation de la cour d’appel, sans mentionner que certains d’entre eux étaient surabondants, la Haute juridiction pouvait laisser penser que la négociabilité effective et vérifiée d’un support d’investissement est une condition de son éligibilité à l’assurance vie.

L’arrêt sous analyse montre qu’il n’en est rien. Le simple fait que le titre soit inscrit à la cote officielle d’un marché reconnu suffit à établir sa négociabilité. La deuxième chambre civile énonce ainsi : « dès lors qu’elles sont admises sur un marché reconnu, les obligations satisfont à la condition de négociabilité prévue [à l’art. R. 332-2] », ce qui, en dépit de la formule « il en résulte que » qui précède cette assertion, relève davantage de la pétition de principe que de la conclusion d’une imparable démonstration. Par suite, ayant constaté que les EMTN en cause « avaient été admis à […] un marché reconnu au sens de l’article R. 332-2 du code des assurances, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu qu’ils étaient éligibles en tant qu’unités de compte d’un contrat d’assurance sur la vie ». La solution ne surprend guère ; la négociabilité est l’aptitude à faire l’objet de transactions.

Sécuriser l’assurance vie. En conséquence, de même que l’inscription d’un support d’investissement sur la liste établie par décret en Conseil d’État implique que ce support offre une protection suffisante de l’épargne – ce qu’avait décidé la Cour de cassation en 2020 – la cotation sur un marché officiel emporte négociabilité suffisante – ce qu’elle vient de décider. Par suite, un produit structuré de nature obligataire admis sur un marché reconnu est éligible à l’assurance vie.

À l’issue de ce troisième acte, il est pour le moins improbable qu’un assuré puisse remettre en cause avec succès les unités de compte de son contrat d’assurance, sauf à ce que, en dépit des obligations et contrôles en tous genres qui pèsent sur les concepteurs de produits d’assurance, un assureur fasse figurer un support d’investissement illicite parmi les unités de compte proposées à ses contractants. L’hypothèse paraît improbable mais, en matière d’assurance vie comme ailleurs, rien n’est jamais sûr (ainsi de l’assureur qui plutôt que mentionner les frais du contrat en montant ou en pourcentage comme le code l’y oblige, en donne une indication en points, Civ. 2e, 21 mai 2015, n° 14-18.742 P, Dalloz actualité, 3 juin 2015, obs. A. Cayol ; D. 2015. 1155 ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; RGDA 2015. 360, note M. Asselain ; bjda.fr, n° 41, note M. Robineau).

 

Civ. 2e, 10 oct. 2024, F-B, n° 22-23.116

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