Protection de la maternité : délégation du pouvoir de licencier et sanction de nullité

Le licenciement pour faute grave d’une salariée en état de grossesse connu doit être considéré comme nul dès lors que le signataire de la lettre ne dispose pas d’une délégation de pouvoir à cet effet.

Il est notoire que la salariée annonçant à son employeur sa situation de grossesse bénéficie d’une protection contre le licenciement prévue à l’article L. 1225-4 du code du travail. La sanction du non-respect de ce régime protecteur est la nullité, et est particulièrement impactante pour l’employeur puisque l’intéressée peut, si elle demande sa réintégration, solliciter le paiement d’une indemnité égale au montant de la rémunération qu’elle aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier pendant cette période (Soc. 29 janv. 2020, n° 18-21.862 P, Dalloz actualité, 26 févr. 2020, obs. L. de Montvalon ; D. 2020. 287 ; ibid. 1740, chron. A. David, M.-P. Lanoue, A. Prache et T. Silhol ; ibid. 2021. 863, obs. RÉGINE ; Dr. soc. 2020. 376, obs. J. Mouly ; RDT 2020. 185, obs. D. Baugard ; RJS 4/2020, n° 171) La protection n’est toutefois pas absolue et le code prévoit que l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Mais encore faut-il que le signataire du licenciement soit doté du pouvoir ad hoc. C’est précisément ce que vient rappeler la chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt du 12 février 2025.

En l’espèce, une salariée animatrice socioculturelle dans une association avait annoncé sa grossesse à son employeur, avant de se voir licenciée moins de deux mois plus tard, licenciement que l’intéressée contesta en saisissant le conseil de prud’hommes.

Les juges du fond prononcèrent la nullité du licenciement, considérant que le directeur de l’association, signataire de la lettre de licenciement, n’avait reçu aucune délégation du pouvoir de licencier.

La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé par l’employeur va valider le raisonnement de la cour d’appel sur la question de la nullité du licenciement mais prononcer la cassation sur les conclusions tirées par cette dernière quant à la demande de paiement de salaires correspondant à la période entre l’éviction et la fin du congé maternité.

La nullité du licenciement, sanction du défaut de délégation de pouvoir

L’article L. 1225-4 du code du travail prévoit en effet qu’aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes.

La rupture est toutefois possible s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.

La chambre sociale de la Cour de cassation va en profiter pour rappeler la sanction de nullité qui frappe le licenciement d’une salariée prononcé en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1225-4 précité, résultant de la combinaison des articles L. 1225-71 et L. 1235-3-1 du code du travail.

Or, en l’espèce, le licenciement avait bien été prononcé pour faute grave après l’annonce de sa grossesse, mais l’avait été par le directeur de l’association qui n’avait pas reçu délégation à cet effet par le conseil d’administration, lequel exerçait, selon les dispositions statutaires, la fonction d’employeur. La cour d’appel s’étant bornée à le constater pour prononcer la nullité, n’avait pas commis d’erreur aux yeux des Hauts magistrats.

La solution peut surprendre en ce qu’il avait été jugé que l’absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement privait le licenciement de cause réelle et sérieuse (Soc. 17 mars 2016, n° 14-18.415, inédit, JA 2016, n° 539, p. 11, obs. R. Fievet ) sans en emporter la nullité.

Il faut désormais considérer que tel n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de licencier une personne entrant dans le champ d’application de l’article L. 1225-4, l’employeur s’exposant alors aux conséquences d’un licenciement nul.

L’indemnisation de la salariée victime d’un licenciement nul rappelée

La chambre sociale ne va toutefois pas suivre les juges du fond sur l’intégralité de leur raisonnement et prononcer la cassation au visa des articles L. 1225-71 et L. 1235-3-1 du code du travail, dans leur rédaction issue, pour le premier, de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et pour le second, de l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017.

Par une lecture combinée de ces textes, et par une interprétation éclairée par les articles 10 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail et 18 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, l’éminente juridiction va considérer que la salariée, qui n’est pas tenue de demander sa réintégration, a droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.

Or, l’intéressée s’était ici vue déboutée de sa demande de paiement du salaire pour la période de son éviction à la date de fin du congé de maternité, la cour d’appel ayant considéré qu’elle ne précisait pas le fondement juridique de cette demande et ne démontrait pas avoir subi un préjudice distinct de celui qui est réparé par les dommages-intérêts accordés en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail.

Erreur pour les hauts magistrats, qui confirme par cet arrêt l’orientation esquissée récemment (Soc. 6 nov. 2024, n° 23-14.706 B, Dalloz actualité, 21 nov. 2024, obs. L. Malfettes ; D. 2024. 1960 ), qui permet le cumul indemnitaire pour la salariée victime d’un licenciement nul et qui ne demande pas sa réintégration. Il ne sera pas nécessaire, dans ce dernier cas, de faire la démonstration d’un préjudice distinct de celui réparé au titre de l’article L. 1235-3-1.

 

Soc. 12 févr. 2025, FS-B, n° 23-22.310

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