Protection de la résidence principale de l’entrepreneur par la loi Macron : le fardeau de la preuve pèse sur le débiteur

Pour bénéficier de la protection offerte par la loi, c’est au débiteur qui se prévaut de l’insaisissabilité de l’immeuble dont la vente est requise par le liquidateur de prouver qu’à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective, le bien constituait sa résidence principale.

Le législateur français a fait le choix, dès 2003 (Loi n° 2003-721 du 1er août 2003, art. 8), de permettre, par déclaration expresse, l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur par les créanciers de l’activité professionnelle. Par la réforme dite « Loi Macron » (Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, art. 206), la protection est devenue de droit. En effet, selon l’article L. 526-1 du code de commerce : « Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d’une personne physique immatriculée au registre national des entreprises sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Il serait possible de discuter de l’opportunité d’un tel choix : alors qu’il apparaît protecteur puisqu’il joue de plein droit, par effet de la loi, il n’est cependant pas absolu puisque l’entrepreneur peut y renoncer (C. com., art. L. 526-3) – introduisant donc inversement une saisissabilité légale – ; en outre, il ne concerne que le seul lieu de résidence principale, sans s’intéresser aux autres immeubles, voire meubles qui pourraient composer un « fonds personnel ».

L’immeuble protégé de la liquidation judiciaire : la résidence principale

Sans entrer dans le débat des choix législatifs, il faut en retenir qu’en cas de procédure collective et, plus particulièrement de liquidation judiciaire, par l’effet de la règle, le liquidateur est privé de vendre l’immeuble constituant la résidence principale du débiteur et le juge-commissaire commettrait un excès de pouvoir en l’y autorisant (sous l’empire du droit antérieur, v. Com. 28 juin 2011, n° 10-15.482 P, Dalloz actualité, 1er juill. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 2485, point de vue V. Legrand  ; ibid. 2012. 1509, obs. A. Leborgne  ; ibid. 1573, obs. P. Crocq  ; ibid. 2196, obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre  ; ibid. 2013. 318, point de vue P. Hoonakker  ; Rev. sociétés 2011. 526, obs. P. Roussel Galle  ; LEDEN juill. 2011, p. 1, n° 119, note F.-X. Lucas ; JCP E 2011. 375, note C. Lebel ; ibid. 1551, note F. Pérochon ; ibid. 1596, n° 4, note P. Pétel ; LPA 23 nov. 2011, p. 8, note F. Reille ; RPC 2011. Étude 30, note V. Legrand et J. Vallansan). L’immeuble résidence principale de l’entrepreneur ne peut être incorporé aux biens de la procédure collective (v. Com. 13 mars 2012, n° 11-27.087 NP, LPA 3 mai 2012, p. 5, note V. Legrand ; RPC 2012. Comm. 111, note C. Lisanti).

En toute hypothèse, la condition sine qua non de la protection légale de l’immeuble est qu’il constitue bien le lieu de « résidence principale » de l’entrepreneur. Toute la difficulté sera d’en apporter la preuve, comme l’illustre l’arrêt de la Cour de cassation du 14 juin 2023 publié au Bulletin (comm. à venir, F. Petit, APC 2023, n° 13).

En l’espèce, une commerçante exploitant son activité aux Antilles est placée en redressement puis en liquidation judiciaire par le tribunal de Pointe-à-Pitre. Sur requête du liquidateur, le juge-commissaire ordonne la vente par adjudication d’un bien immobilier composé de deux appartements situé en région parisienne. La débitrice s’oppose à la vente, soutenant qu’il s’agit de sa résidence principale. La cour d’appel (Basse-Terre, 13 sept. 2021, n° 21/00088) confirme cependant l’ordonnance du juge-commissaire. La débitrice se pourvoit en cassation.

Le grief de la charge de la preuve, du respect du contradictoire et des moyens de preuve

Selon la première branche du moyen de cassation, la commerçante fait grief à la décision d’appel d’avoir retenu qu’en l’absence de déclaration d’insaisissabilité, il lui incombait de rapporter la preuve qu’à la date d’ouverture de la procédure collective, elle occupait l’immeuble à titre de résidence principale, alors que c’est à celui qui poursuit la vente d’un immeuble dont le propriétaire oppose l’insaisissabilité de prouver que le bien ne constitue pas sa résidence principale. Les juges du fond auraient ainsi inversé la charge de la preuve en violation de l’article 1353 du code civil.

Dans une deuxième branche du moyen, la débitrice fait également grief à l’arrêt de s’être fondé sur des pièces qui n’ont pas été versées aux débats, ni soumises à la libre discussion des parties, ce qui ne respecte pas le principe du contradictoire conformément à l’article 16 du code de procédure civile. En effet, la cour d’appel a jugé que la demanderesse ne prouvait pas l’occupation à titre de résidence principale à partir de documents de la Direction des finances publiques confirmant qu’elle n’avait jamais versé de taxes d’habitation à titre personnel pour les deux appartements, les taxes ayant été émises au nom des locataires, or aucune pièce de cette nature n’a été communiquée à la demanderesse.

Une troisième branche du moyen rappelle la règle de l’article 1358 du code civil, soit la possibilité pour la demanderesse de prouver par tous moyens, ce que les juges du fond auraient bafoué en instaurant une hiérarchie entre les preuves, préférant retenir comme preuve la plus probante l’absence de paiement de la taxe d’habitation à d’autres éléments amenés par la débitrice dont un certificat de travail et des remboursements de la Sécurité sociale à l’adresse de l’immeuble, développés en quatrième et cinquième branche du moyen.

La réponse de la Cour de cassation sur la charge de la preuve incombant au débiteur

L’arrêt de la Cour de cassation était attendu (J. Vallansan, La situation du créancier auquel l’insaisissabilité de l’immeuble de l’entrepreneur individuel est inopposable, avec F. Petit, RPC 2023, n° 3, dossier 23). Dans ce contentieux, c’est généralement la question du domaine de l’opposabilité de l’insaisissabilité qui est discutée, notamment, ce qui est considéré ou non comme « résidence principale » (par ex., Com. 18 mai 2022, n° 20-22.768, FB, Dalloz actualité, 1er juin 2022, obs. B. Ferrari ; D. 2022. 990  ; ibid. 1675, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli  ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot  ; ibid. 750, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau  ; AJDI 2022. 770 , obs. F. Cohet  ; AJ fam. 2022. 387, obs. J. Casey  ; Rev. sociétés 2022. 516, obs. P. Roussel Galle  ; Rev. prat. rec. 2022. 19, chron. P. Roussel Galle et F. Reille  ; RTD civ. 2022. 687, obs. I. Dauriac  ; APC 2022. Alerte 172, note J. Leprovaux). Ici, il s’agit de se prononcer en amont de toute discussion relative à la qualité du bien, pour s’intéresser à la charge de la preuve. Il semble que la question n’ait pas encore donné lieu à jurisprudence, ce qui justifie les honneurs de la publication de la présente décision.

La Cour de cassation pose le principe que « la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, soumise à une procédure collective, peut opposer au liquidateur l’insaisissabilité des droits qu’elle détient sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale ». À partir de cet énoncé, elle rejette le pourvoi. En effet, la chambre commerciale soutient, avec insistance, les juges du fond d’avoir « exactement » retenu qu’« il incombe à la débitrice de rapporter la preuve qu’à la date du jugement d’ouverture de la procédure, les biens dont la vente est requise par le liquidateur constituaient sa résidence principale ».

À noter, la Cour de cassation prend également soin d’indiquer le moment auquel se placer et, partant, apporter la preuve, pour l’appréciation du caractère de résidence principale de l’immeuble. Précisément, c’est au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective (v. préc., Com., 29 mai 2019, n° 18-16.097 F-D, Rev. sociétés 2019. 557, obs. L. C. Henry  ; RPC 2020, n° 3, comm. 90, note C. Lisanti ; LEDEN nov. 2019. 15, note P. Rubellin). L’arrêt en l’espèce ne le détaille pas, mais, à s’en tenir à la règle, il faudrait considérer qu’il s’agit ici du jour de l’ouverture du redressement judiciaire, puisque la liquidation judiciaire qui s’ensuit n’est que la conversion du premier jugement et point l’ouverture d’une nouvelle procédure collective. L’entrepreneur devra donc s’efforcer de faire remonter davantage encore dans le temps la preuve d’une telle occupation de l’immeuble pour s’assurer du bénéfice de la protection légale.

Le questionnement sur le fondement juridique de la décision

De prime abord, la solution semble être de pur droit commun, un simple rappel jurisprudentiel des règles en matière probatoire. Toutefois, le doute naît quant à la référence à l’article 1353 du code civil. Selon l’alinéa 1er, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Dans cette optique, la solution ferait considérer qu’en cas de liquidation judiciaire, le demandeur n’est pas le liquidateur qui vend l’immeuble, mais le débiteur qui oppose l’insaisissabilité dudit immeuble. La mise à l’abri de la résidence principale a beau jouer de plein droit, sans besoin d’une déclaration d’insaisissabilité, cela ne dispense pas le débiteur qui se prétend protégé d’apporter la preuve de son droit. Serait-ce alors l’alinéa 2nd qui joue, « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation » ? L’application n’est pas plus sûre, l’entrepreneur cherche davantage à faire valoir l’existence d’un droit plus que la décharge d’une obligation.

La solution peut aussi s’expliquer par des considérations d’ordre pratique dès lors qu’il faut reconnaître que le liquidateur serait bien embarrassé de devoir prouver le caractère de résidence principale ou non d’un logement au bénéfice du débiteur. C’est ce qui pourrait justifier que la Cour de cassation ait tranché sur le seul visa de l’article L. 526-1 du code de commerce, sans même citer les textes civils.

Le pouvoir d’appréciation souverain des juges du fond et l’impact sur l’effort de protection de l’entrepreneur en difficulté

La Cour de cassation achève la solution en renvoyant aux juges du fond l’appréciation souveraine des éléments de fait quant à la caractérisation de la résidence principale. Comme le souligne l’arrêt, l’ordonnance querellée mentionne en l’espèce l’identité des débiteurs de la taxe d’habitation qui n’est manifestement pas celle de la commerçante, mais de locataires qui occupaient les lieux. La chambre commerciale conforte les juges de ne pas avoir procédé aux recherches visées par les deux dernières branches du pourvoi considérant que leurs constatations les rendaient inopérantes et que la décision était ainsi légalement justifiée. Dans le « duel judiciaire » – ou combat de la preuve –, c’est celle de l’absence de démonstration de résidence principale qui fait succomber le débiteur, faute pour lui d’avoir su apporter la preuve d’une telle occupation.

Ainsi, il est acquis que, sans aucune répartition du poids de la preuve, celle-ci pèse sur les seules épaules de l’entrepreneur placé en procédure collective dès lors qu’il entend bénéficier du bouclier législatif érigé à son attention.

De la protection légale de la résidence principale de l’entrepreneur à sa mise en œuvre en cas de procédure collective : Mesdames, Messieurs, prouvez, sinon, il n’y a rien à voir (et tout à vendre) !

 

© Lefebvre Dalloz