PSE : étendue de l’obligation individuelle de reclassement à l’étranger

Par deux décisions remarquées, la Cour de cassation répond sur l’étendue de l’obligation de reclassement individuelle à l’étranger. Les juges considèrent que l’employeur qui adresse, aux salariés menacés d’un licenciement économique, un questionnaire imprécis sur les implantations géographiques des postes disponibles à l’étranger sans apporter la preuve d’une absence de poste sur celles-ci ne peut se prévaloir du silence des salariés pour prononcer leur licenciement.

L’obligation individuelle de reclassement trouve son origine au cœur du principe de bonne foi contractuelle consacrée par l’ancien article 1134, alinéa 3, du code civil. La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 avril 1992 (Soc. 8 avr. 1992, n° 89-41.548 P, D. 1992. 147 ), prononçait à ce titre que « dans le cadre de son obligation de reclassement dans l’entreprise, l’employeur doit, en cas de suppression ou transformation d’emplois, proposer aux salariés concernés, des emplois disponibles de même catégorie, ou, à défaut, de catégorie inférieure, fût-ce par voie de modification substantielle des contrats de travail ». La légalisation de cette obligation de reclassement se fera par la promulgation de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale.

Il résulte de l’article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur du 20 mai 2010 au 8 août 2015, qu’il appartient à l’employeur, même lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi a été mis en place, de rechercher s’il existe des possibilités de reclassement prévues ou non dans ce plan et de faire des offres précises, concrètes et personnalisées à chacun des salariés dont le licenciement est envisagé, de chaque emploi disponible et correspondant à leur qualification. De surcroît, l’article L. 1233-4-1 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur du 20 mai 2010 au 8 août 2015, disposait que « lorsque l’entreprise ou le groupe dont l’entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l’employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L’employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises ». Dans ces conditions, si l’employeur adresse un questionnaire de reclassement aux salariés concernés ne reprenant pas de manière exhaustive les postes disponibles à l’étranger, il ne peut pas ensuite se prévaloir du silence des salariés pour prononcer leur licenciement pour motif économique.

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques est venue modifier le régime de l’obligation de reclassement en limitant les recherches aux seuls emplois disponibles sur le territoire national, sauf dans l’hypothèse selon laquelle le salarié sollicite l’employeur aux fins de recevoir des offres de reclassement à l’étranger. Dans le prolongement du cadre de cette exigence de reclassement, le législateur est finalement venu mettre un terme, par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail, à l’obligation de reclassement à l’étranger.

Cette obligation est désormais strictement encadrée par les dispositions de l’article L. 1233-4 du code du travail qui dispose que « le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce. Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. À défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure. L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ».

Dans la présente affaire, la société proposait à des salariés la modification de leur contrat de travail suite à la fermeture d’un établissement, avec transfert vers d’autres établissements. L’employeur établissait alors un document unilatéral fixant la teneur du plan de sauvegarde de l’emploi, homologué le 17 juillet 2014 par l’autorité administrative. Les salariés refusant les postes de reclassement, l’employeur décidait de les licencier pour motif économique.

Toutefois, les salariés contestaient leur licenciement au motif que l’employeur s’était borné à annexer au questionnaire de mobilité une liste imprécise des postes disponibles en dehors du territoire national comparativement aux nombres de postes disponibles inscrits dans le plan de sauvegarde de l’emploi.

Sur ce, la cour d’appel constatait d’une part, que le questionnaire de reclassement adressé aux salariés ne mentionnait que vingt-cinq postes situés dans certaines implantations du groupe à l’étranger sans viser toutes les implantations de manière exhaustive (88 unités dans 35 pays) et, d’autre part, La cour d’appel estimait que la société ne rapportait pas la preuve qu’elle n’avait visé, selon elle, que des implantations géographiques dans lesquelles des postes étaient disponibles.

Partant, les juges de la cour d’appel répondaient que dans ces conditions, la société ne pouvait se prévaloir du silence des salariés et qu’elle n’avait soumis aux salariés, alors que des postes étaient disponibles, aucune offre de reclassement précise et personnalisée hors du territoire national, caractérisant ainsi un manquement à l’obligation de reclassement individuelle.

La Cour de cassation suit cette logique est rejette le pourvoi.

En d’autres termes, il convient, pour déterminer le respect de l’obligation de reclassement individuelle à l’étranger, de transmettre une liste exhaustive des postes disponibles sur chaque implantation géographique et, à défaut d’une liste complète et précise, d’apporter la preuve que sur les implantations manquantes, aucun poste n’est disponible. Il y a donc désormais un double contrôle qui se met en place. En cas de non-respect de ces règles, le silence des salariés ne peut pas être interprété comme un refus des offres de reclassement.

La Cour de cassation rappelle ici avec force que le licenciement pour motif économique ne doit être prononcé qu’en dernier recours, c’est-à-dire après avoir épuisé toutes les solutions envisageables. Il convient enfin d’insister sur le fait que cette obligation de reclassement individuelle pèse sur l’employeur peu important l’ampleur du projet ou qu’il s’agisse d’une procédure collective. Le respect de cette exigence découlant directement des principes de bonne foi contractuelle et de loyauté.

 

Soc. 15 mai 2024, FS-B, n° 22-12.546

Soc. 15 mai 2024, FS-B, n° 22-20.650

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