PSE : la régularisation d’un accord majoritaire signé par un dirigeant qui n’en a pas le pouvoir
La signature, pour le compte de l’employeur, d’un accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l’emploi, par un mandant, au-delà du pouvoir qui lui a été donné, peut être régularisée, même lorsque cette ratification intervient postérieurement à la décision de l’autorité administrative. Cette solution s’appuie sur la combinaison des articles 1156 et 1998 du code civil, en l’absence de dispositions particulières dans le code du travail et dans les statuts de la fédération.
Les dispositions de l’article L. 2211-1 du code du travail relatives à la négociation collective s’appliquent aux employeurs de droit privé, y compris aux associations et aux fédérations. Dans ce cadre et en l’absence de dispositions particulières sur la signature de l’accord majoritaire portant plan de sauvegarde de l’emploi, les règles de droit commun de la négociation collective s’appliquent. Il en résulte que la validité de l’accord est subordonnée à sa signature par l’employeur ou son représentant légal conformément au texte de l’article L. 2232-12 du code du travail.
Néanmoins, il reste un écueil, celui de savoir comment transposer la règle susvisée à une fédération ou association. Il est admis qu’en l’absence de précisions dans les statuts ou le règlement intérieur de la fédération attribuant la compétence pour licencier à un organe de la fédération ou de l’association, en particulier, c’est au président de l’organisation que revient ce pouvoir, qui peut lui-même donner une délégation de pouvoir à un tiers (Soc. 23 mars 2022, n° 20-16.781 P, D. 2022. 658
; JA 2022, n° 660, p. 13, obs. D. Castel
; ibid., n° 669, p. 41, étude Lou Morieux
; 29 sept. 2004, n° 02-43.771 P, D. 2004. 2620
; Dr. soc. 2004. 1151, obs. J. Savatier
).
Dans la présente affaire soumise au Conseil d’État, le plan de sauvegarde de l’emploi concernait la Fédération française de football avec une suppression de vingt-deux emplois. L’accord collectif majoritaire a été signé d’une part, par le délégué syndical représentatif et, d’autre part, par la directrice générale de la fédération qui disposait de « tout pouvoir pour licencier ». Toutefois, contestant la capacité de la directrice générale à signer ledit accord, plusieurs salariés ont saisi le juge administratif d’un recours contre la décision de validation de cet accord par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS). Si le tribunal administratif répondait favorablement à la demande des salariés, la Cour administrative d’appel de Paris a quant à elle confirmé le défaut de pouvoir de signature tout en tenant compte la délibération du comité directeur de la fédération de football ratifiant a posteriori cette signature.
Sur le contrôle de la qualité des signataires de l’accord collectif majoritaire par la DREETS
Force est de rappeler que la DREETS ne peut valider un accord collectif majoritaire sans s’être assurée qu’il a été régulièrement signé par des personnes ayant qualité pour engager, d’une part, l’employeur et, d’autre part, une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l’entreprise. Cette obligation découle du rôle de contrôle de la DREETS prévu aux termes de l’article L. 1233-57-2 du code du travail.
Toutefois, le requérant ne peut pas se prévaloir d’un manquement de la DREETS à son obligation de vérification. Ici, le Conseil d’État confirme une solution retenue en 2019 selon laquelle le requérant ne peut pas demander l’annulation de la décision de validation d’un accord collectif majoritaire au motif que l’autorité administrative n’aurait pas assuré les contrôles qui lui incombent (CE 12 juin 2019, n° 420084, Dalloz actualité, 27 juin 2019, obs. L. Malfettes, Lebon
; AJDA 2019. 2157
).
Le Conseil d’État rappelle ainsi utilement que seul le moyen tiré de l’absence de qualité de signataires peut être soulevé devant le juge de l’excès de pouvoir.
Sur la régularisation de la signature de l’accord collectif majoritaire a posteriori
Ce rappel effectué, la présente décision questionne la possibilité par la fédération de régulariser l’acte accompli par la directrice au-delà de ses pouvoirs statutaires.
Le juge administratif considérait qu’en l’absence de dispositions spécifiques dans le code du travail, celles du code civil s’appliquaient à la date de signature par l’employeur de l’accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l’emploi.
Or cette lecture est inexacte, puisqu’aux termes de l’article 1156 du code civil « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté. Lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. L’inopposabilité comme la nullité de l’acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représenté l’a ratifié ».
Au surplus, l’article 1998 du code civil dispose que « le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. Il n’est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu’autant qu’il l’a ratifié expressément ou tacitement ».
Au regard de ce qui précède, le Conseil d’État confirme l’analyse de la Cour administrative d’appel de Paris et juge que « la signature, pour le compte de l’employeur, d’un accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l’emploi, par un mandant, au-delà du pouvoir qui lui a été donné, peut faire l’objet d’une régularisation avec effet rétroactif par la voie d’une ratification expresse ou tacite de cet accord par l’organe habilité, y compris lorsque cette ratification intervient postérieurement à la décision de l’autorité administrative validant ce même accord, pour autant que les règles statutaires de la personne morale employeur n’y fassent pas obstacle ».
En d’autres termes, le comité directeur de la Fédération française de football pouvait ratifier la signature de l’accord collectif majoritaire par sa directrice sans entacher la validité de celui-ci dès lors que les statuts le permettaient.
De surcroît, le rapporteur public ajoute que la ratification postérieure à la décision de validation d’un accord majoritaire portant plan de sauvegarde de l’emploi ne méconnait pas le principe selon lequel la légalité d’une décision administrative s’apprécie selon les circonstances de droit et de fait applicable lorsqu’elle a été prise.
Pour parvenir à cette solution, il considère qu’il convient d’apprécier la validité d’un acte de droit privé selon les mêmes modes de raisonnement que ceux qu’appliquerait le juge judiciaire s’il en était saisi à titre préjudiciel. Ainsi, la circonstance que la ratification de la signature soit postérieure à la décision de validation ne fait pas obstacle à ce que le juge puisse en tenir compte pour apprécier la validité de cet acte. Enfin, le rapporteur public souligne qu’en droit civil, la ratification d’un pouvoir est, par construction, rétroactive (Civ. 4 déc. 1979, n° 78-14.493).
Une régularisation admise exclusivement du côté employeur
Toutefois, il convient de préciser que cette rétroactivité est admise exclusivement du côté employeur.
Effectivement, « le défaut de qualité d’un des délégués syndicaux à la date de la signature de l’accord de PSE entache d’illégalité la validation de l’accord, ce qui exclut que le syndicat puisse rétroactivement valider la désignation de son délégué » (CE 22 juill. 2015, nos 385668 et 386496, Dalloz actualité, 24 juill. 2015, obs. D. Poupeau ; Lebon avec les concl.
; AJDA 2015. 1444
; ibid. 1632
, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe
; D. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta
; RDT 2015. 514, concl. G. Dumortier
; ibid. 528, étude F. Géa
).
Le rapporteur soulève la polysémie de la notion de mandat et précise à ce titre « qu’à la différence du mandat de celui qui signe pour le compte de l’employeur, personne morale, le mandat du délégué syndical n’est pas seulement un pouvoir de représentation du syndicat. C’est d’abord une fonction à laquelle le code du travail attache des prérogatives et des protections, et qui, pour cette raison, ne saurait être rétroactivement conférée à son titulaire ». Ainsi, seul l’employeur peut régulariser la signature de l’accord majoritaire portant plan de sauvegarde l’emploi a posteriori.
Cette décision est donc marquante en ce qu’elle offre la possibilité aux employeurs de régulariser la signature de l’accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l’employeur, dont la procédure est lourde, de façon rétroactive.
Cette décision est d’autant plus importante que l’invalidation de l’accord portant plan de sauvegarde de l’emploi peut entraîner de graves conséquences, puisque le salarié peut être réintégré (si les parties sont d’accord) ou, à défaut, bénéficier d’une indemnité.
© Lefebvre Dalloz