Publication de l’évaluation des règles de concurrence de l’UE relatives aux accords de transfert de technologie : pas de changements significatifs, mais une mise à jour à prévoir…
Le 22 novembre 2024, la Commission européenne a publié un document d’évaluation du règlement (UE) n° 316/2014 relatif à l’application de l’article 101, § 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie ainsi que les lignes directrices qui s’y attachent.
Après la publication de la nouvelle communication sur la définition du marché en cause (Comm. UE, 8 févr. 2024, Communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit de la concurrence de l’Union, C/2024/1645), et alors que les orientations relatives aux pratiques d’éviction sont en cours de révision (Comm. UE, 1er août 2024, communiqué de presse, Lignes directrices sur l’application de l’article 102 du TFUE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes), c’est au tour des règles relatives aux accords de transfert de technologie d’être évaluées.
Le 22 novembre 2024, la Commission européenne a publié un document d’évaluation du règlement (UE) n° 316/2014 relatif à l’application de l’article 101, § 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie (ci-après le « règlement d’exemption »), ainsi que les lignes directrices qui s’y attachent.
Le sujet est crucial : depuis l’entrée en vigueur du règlement d’exemption en mai 2014, le marché européen a en effet connu de nombreuses évolutions liées au progrès technique, en particulier concernant l’importance accrue des données et l’émergence récente de l’intelligence artificielle.
Or, les accords de transfert de technologie sont au cœur de l’économie de l’innovation et de l’économie numérique. Ils regroupent en effet, au sens du règlement, « les accords de concessions de licence de droits sur technologie conclus entre deux entreprises aux fin de la production de produits contractuels par le preneur de licence et/ou son ou ses sous-traitants » et « les accords de droits sur technologie entre deux entreprises aux fins de la production de produits contractuels lorsque le cédant continue de supporter une partie du risque lié à l’exploitation de la technologie » (art. 1, 1, sous c, du règlement d’exemption).
Du point de vue du droit de la concurrence, ces accords permettent d’améliorer l’efficience économique en facilitant la diffusion des technologies, en incitant les entreprises à lancer des actions de recherche et développement, en encourageant l’innovation incrémentale et en suscitant la concurrence sur les marchés de produits. Mais ils peuvent également fausser la concurrence dans la mesure où ils risquent de faciliter la collusion et de nuire à la concurrence intertechnologique ou intratechnologique. C’est la raison pour laquelle ils sont soumis à des règles particulières.
Ainsi, et si l’article 101, § 1, du Traité interdit les accords entre entreprises qui restreignent la concurrence, par dérogation, son § 3 permet d’exempter les accords qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique ; réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte ; et n’imposent pas des restrictions qui ne sont pas indispensables ou éliminent la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Par son règlement n° 19/65/CEE, le Conseil avait donc habilité la Commission à appliquer par voie de règlement l’article 101, § 3, du Traité à certaines catégories d’accords de transfert de technologie. C’est sur ce fondement que la Commission a adopté le règlement d’exemption par catégorie, qui est entré en vigueur le 1er mai 2014, en remplacement d’une version antérieure datant de 2004.
Or, le règlement actuellement en vigueur expire le 30 avril 2026. Le 25 novembre 2022, la Commission avait donc lancé un processus afin d’identifier ses lacunes potentielles et d’évaluer s’il fallait le réviser, le renouveler ou le laisser expirer (Comm. UE, 17 avr. 2023, Règles de concurrence de l’Union en matière d’accords de transfert de technologie – évaluation). Malgré une faible participation des entreprises, que l’on peut regretter, le bilan dressé par la Commission est plutôt positif, laissant présager, a minima, le renouvellement du règlement. On notera toutefois que des critiques peuvent être émises, principalement parce que le règlement doit être adapté aux évolutions économiques récentes.
Une évaluation globalement positive
Le règlement fait l’objet d’une évaluation globalement positive. La Commission relève en effet que, de façon générale, et malgré la numérisation de l’économie, les principales caractéristiques des accords de transfert de technologie n’ont pas changé au cours de la période 2014-2024. De ce point de vue, le règlement répond donc aux objectifs qu’il poursuit, à savoir, d’une part, exempter les accords de transfert de technologie dont on peut présumer avec suffisamment de certitude qu’ils satisfont aux conditions de l’article 101, § 3, du Traité, et, d’autre part, garantir la sécurité juridique des entreprises.
On ne doute pas en effet que le règlement d’exemption et les lignes directrices sont utiles aux entreprises, grandes ou petites, en ce qu’ils leur fournissent une sphère de sécurité juridique et des orientations claires sur la manière d’évaluer leurs accords de transfert de technologie au regard du droit de la concurrence. Ces instruments garantissent donc l’uniformité et la fiabilité de l’approche suivie par la Commission pour l’évaluation des accords de licence de technologie au regard du droit de la concurrence.
Des améliorations et des adaptations nécessaires
Toutefois, la Commission note quelques évolutions à prendre en compte.
Premièrement, et de façon générale, certaines règles fournissent une sécurité juridique insuffisante. C’est notamment le cas des seuils de parts de marché en ce qui concerne les marchés de technologies. En pratique, les entreprises rencontrent en effet des difficultés non négligeables dans l’identification des technologies en cause, opération qui implique d’identifier les technologies considérées comme interchangeables du point de vue des preneurs de licence.
Deuxièmement, la consultation révèle que des adaptations sont nécessaires pour tenir compte des évolutions récentes liées à la numérisation de l’économie. D’une part, la Commission relève une augmentation des litiges en matière de brevets essentiels à une norme (les « BEN »), à savoir les brevets qui protègent des technologies qui sont essentielles pour que les entreprises se conforment aux normes techniques et commercialisent des produits basés sur ces normes. Or, cela doit interpeller tant ces brevets et les conditions FRAND qui les accompagnent jouent un rôle crucial dans diverses industries en termes d’innovation et d’intégration du marché, en assurant l’interopérabilité des produits et la contestabilité du marché. D’autre part, la numérisation a eu un impact sur tous les domaines de l’économie et a considérablement accru l’importance stratégique des données pour les entreprises. Par conséquent, la propriété et le partage de celle-ci sont devenus des enjeux concurrentiels primordiaux dont le droit de la concurrence se saisit désormais (V. Giovannini, Données massives et droit de la concurrence, thèse, Bruylant, 2024). Ce constat n’échappe pas au droit des ententes et aux exemptions catégorielles. Bien au contraire, la prise en compte des données dans le contexte des accords de transfert de technologie, en particulier dans des domaines tels que l’internet des objets et l’intelligence artificielle est aujourd’hui un enjeu majeur. Sur ce point, les critiques formulées sont claires : le règlement d’exemption par catégorie ne couvre pas les transferts de données ou d’ensembles de données. Il souffre donc là d’une lacune importante. Les parties prenantes à la consultation ont d’ailleurs invité la Commission à élargir le champ d’application du règlement d’exemption par catégorie pour couvrir la concession de licences de données ou de droits sur les données ou de prévoir des orientations sur cette question dans les lignes directrices.
Troisièmement, des critiques ont été formulées à propos des négociations groupées. On sait en effet que se sont développés des groupes de négociation de licences qui permettent aux utilisateurs de technologies de négocier conjointement avec les titulaires de droits, ce qui accroît considérablement leur pouvoir de négociation. Toutefois, le règlement d’exemption par catégorie ne s’applique qu’aux accords bilatéraux et les lignes directrices concernant les accords de transfert de technologie ne donnent pas d’indications sur les groupes de négociation de licences. Ce type de groupement de négociation mériterait pourtant une évaluation. D’un côté, ils permettent de réduire les coûts de transaction et d’accroître le pouvoir de négociation des entreprises (parfois dépendantes des technologies), et présentent, par là-même, des aspects pro-concurrentiels. Mais ils impliquent également une coordination entre les concurrents, et donc un échange d’informations commercialement sensibles, ce qui peut réduire les incitations à innover et constituer une violation de l’article 101, § 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
La Commission va à présent lancer la phase d’analyse d’impact du réexamen, afin d’étudier les problèmes recensés au cours de l’évaluation, en vue d’une révision des règles d’ici la date à laquelle les règles actuelles expireront. Les parties prenantes auront la possibilité de présenter des observations sur l’appel à contributions et de faire connaître leur point de vue dans le cadre d’une consultation publique, actuellement prévue pour décembre 2024.
© Lefebvre Dalloz