Publicité du droit de propriété et dérogation au régime de l’action en revendication à bref délai dans le cadre d’une procédure collective : extension de la notion de publicité

Le seul fait qu’il existe un registre de titres prévoyant un droit d’accès ouvert à tous permettant de vérifier le droit de propriété sur un bien meuble suffit à déroger à l’obligation d’agir en revendication dans un délai de trois mois à compter de la publication du jugement d’ouverture de la procédure collective.

Sous l’ancien régime, l’action en nullité de titres de propriété industrielle était soumise au régime de la prescription de droit commun (C. civ., art. 2224), ramenée de trente ans à cinq ans dans le cadre de la réforme de la prescription par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

Le délai de prescription devenant inférieur à la durée de validité des titres de propriété industrielle, la prescription a commencé à être discutée dans le cadre d’actions en nullité de titres de propriété industrielle dans le courant des années 2010. La jurisprudence a alors eu à déterminer le point de départ du délai de prescription, dont l’article 2224 du code civil prévoyait qu’il courrait « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Après quelques hésitations, la jurisprudence a convergé vers une application du texte compatible avec les exigences en matière d’intérêt à agir : en substance, la prescription de l’action en nullité ne court qu’à compter du jour où le demandeur à l’action en nullité a un intérêt à agir, c’est-à-dire à partir du moment où il a eu une connaissance effective des titres en cause ou où il aurait dû les connaitre.

Néanmoins, cette appréciation a soulevé des difficultés dans la mesure où elle s’opère in concreto, en fonction de la connaissance effective par le demandeur des titres en cause (par ex., du fait de contentieux entre les parties ou de la structure du marché) ou d’événements impliquant pour le demandeur une surveillance des titres en cause (par ex., un projet d’exploitation supposant une étude de liberté d’exploitation).

Compte tenu des critiques à l’encontre de l’existence même d’une prescription en matière d’action en nullité de titres de propriété industrielle et des difficultés soulevées par la détermination du point de départ de la prescription dans le cadre d’une appréciation in concreto, variable en fonction du demandeur et des circonstances de l’espèce, le législateur a souhaité modifier l’état du droit.

La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 (loi PACTE) a ainsi modifié le code de la propriété intellectuelle afin de prévoir, pour chaque titre de propriété industrielle, que : « l’action ou la demande en nullité […] n’est soumise à aucun délai de prescription » (art. L. 521-3-2 pour les dessins et modèles, L. 615-8-1 pour les brevets, L. 623-29-1 pour les certificats d’obtention végétale et L. 714-3-1 pour les marques, ce dernier ayant ensuite été abrogé par l’ord. n° 2019-1169 du 13 nov. 2019, Dalloz actualité, 27 nov. 2019, obs. N. Maximin ; et remplacé par l’art. L. 716-2-6).

La loi PACTE prévoit que les nouvelles dispositions « s’appliquent aux titres en vigueur au jour de la publication de la présente loi. Ils sont sans effet sur les décisions ayant force de chose jugée ».

Elle laisse une incertitude sur une application potentiellement rétroactive de la loi :

  • Selon une interprétation fondée sur les dispositions du droit commun (not. de l’art. 2222 c. civ. qui prévoit que : « la loi qui allonge la durée d’une prescription ou d’un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise »), les nouvelles dispositions s’appliqueraient seulement si la prescription (applicable sous l’empire de l’ancienne loi) n’était pas déjà acquise au moment de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Cette interprétation conclut à une absence d’application rétroactive des nouvelles dispositions prévoyant une absence de prescription.
  • Selon une interprétation fondée sur les seules dispositions transitoires de la loi PACTE et l’intention affichée du législateur (v. par ex., M. Dhenne, De la rétroactivité de l’imprescriptibilité des actions en annulation des titres nationaux de propriété industrielle, Propr. ind. 2019. Étude 27), les actions en nullité de titres de propriété industrielle n’ayant pas fait l’objet d’une décision passée en force de chose jugée ne seraient désormais plus soumises à prescription, sans avoir à apprécier si la prescription était acquise sous l’empire de l’ancienne loi, au moment du changement de prescription. Cette interprétation peut aboutir à une application potentiellement rétroactive des nouvelles dispositions prévoyant une absence de prescription.

L’arrêt du 15 mars 2024 de la Cour d’appel de Paris prend position en faveur d’une application non-rétroactive du nouveau régime de prescription.

L’absence de rétroactivité des nouvelles dispositions sur l’imprescriptibilité des actions en nullité de titres de propriété industrielle

Après avoir rappelé les dispositions de droit commun en matière d’application dans le temps d’une loi modifiant la durée de la prescription, la Cour d’appel de Paris considère que « les nouvelles dispositions relatives à la prescription de l’action en nullité d’une marque doivent être considérées comme allongeant la durée de la prescription, puisqu’elles rendent celle-ci imprescriptible. Or, dans la mesure où aucune mention expresse dans le texte en cause ne permet de caractériser une volonté contraire sur ce point du législateur, le nouvel article L. 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle [applicable à la prescription des actions en nullité de marques] n’est pas applicable aux actions en nullité de marque dont la prescription était déjà acquise lors de l’entrée en vigueur de la loi PACTE le 24 mai 2019 ».

En substance, le raisonnement est le suivant :

  • le nouveau texte, rendant imprescriptible l’action en nullité de titres de propriété industrielle, allonge le délai de prescription ;
  • en application des dispositions de droit commun (C. civ., art. 2222), un allongement du délai de prescription ne peut pas affecter les actions prescrites au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ;
  • il faut donc déterminer si l’action en nullité, engagée au cas d’espèce le 3 mai 2017, était prescrite au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le 24 mai 2019.

La Cour d’appel de Paris relève que seule une intention expresse du législateur pourrait aboutir à une application rétroactive de la loi et que, en l’espèce, « aucune mention expresse dans le texte en cause [la loi PACTE] ne permet de caractériser une volonté contraire [au principe de non-rétroactivité] du législateur ».

Ainsi, la Cour considère qu’une appréciation de la prescription reste nécessaire pour vérifier que cette dernière n’était pas acquise au moment de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.

Cette interprétation confirme le jugement du tribunal et s’inscrit dans la lignée de plusieurs décisions, notamment des Cours d’appel de Paris (Paris, 19 avr. 2023, n° 21/12725) et Bordeaux (Bordeaux, 25 oct. 2022, n° 21/04291, Légipresse 2023. 635, obs. Y. Basire, M.-S. Bergazov, C. de Marassé-Enouf, C. Piedoie et M. Sengel ) ou encore du Tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, JME, 24 févr. 2022, n° 20/10473), qui ont statué dans des termes proches pour se livrer à une analyse de la prescription de l’action avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions sur la prescription.

Compte tenu de la similarité de la rédaction des textes en cause, la solution retenue apparaît transposable à l’ensemble des titres de propriété industrielle.

L’indifférence de la mauvaise foi dans l’appréciation de la prescription des actions en nullité de titres de propriété industrielle

S’inspirant des dispositions applicables à la prescription des actions en revendication de propriété, les demandeurs à la nullité des marques soutenaient que la prescription ne s’appliquait pas en cas de dépôt de mauvaise foi des marques contestées.

La cour rejette l’argument, considérant qu’« il est indifférent que l’action en revendication […] se prescrive par cinq ans à l’égard du seul déposant de bonne foi, cette action qui vise au transfert du titre de propriété industrielle ayant un objet différent. En outre, dans ces cas précis, l’absence de prescription à l’égard du titulaire de mauvaise foi est expressément prévue par la loi ».

La cour en déduit que « le vice de mauvaise foi dont le dépôt de marque est susceptible d’être entaché, n’est pas de nature à rendre imprescriptible l’action formée à titre principal en nullité de la marque fondée sur ce vice et n’a pas pour effet de suspendre le délai de prescription ».

La cour semble ainsi se distinguer de l’appréciation faite par le Tribunal judiciaire de Paris dans une autre affaire récente (TJ Paris, 12 janv. 2023, n° 19/13203), où la mauvaise foi du titulaire de la marque contestée avait été prise en compte pour apprécier la prescription des demandes en nullité.

Toutefois, dans ce dernier cas d’espèce, il n’est pas aisé de savoir :

  • si le tribunal s’est fondé sur l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle, afférent aux actions en revendication de propriété et prévoyant expressément l’absence de prescription en cas de mauvaise foi, auquel cas ce jugement serait compatible avec l’interprétation de la cour d’appel ; ou
  • si le tribunal s’est également fondé sur l’article L. 716-2-6 du code de la propriété intellectuelle, afférent aux actions en nullité de marques, auquel cas ce jugement serait contraire à la solution retenue par la Cour d’appel de Paris.

En conclusion sur ce point, la Cour d’appel de Paris considère que la mauvaise foi du titulaire de la marque contestée n’est pas un élément pertinent susceptible d’influencer l’appréciation de la prescription dans le cadre d’une action en nullité, en dehors d’une action en revendication de propriété par exemple.

L’appréciation in concreto de la prescription

Après avoir conclu à la non-rétroactivité de la nouvelle loi, la Cour se livre logiquement à une appréciation de la prescription avant l’entrée en vigueur de la loi PACTE.

À ce titre, elle relève que :

  • l’enregistrement de l’ensemble des marques en cause a été publié plus de cinq ans (délai de prescription alors applicable) avant l’engagement de l’action ;
  • les parties se connaissent et ont été opposées dans des litiges relatifs à l’usage de leurs signes distinctifs respectifs depuis 2002 ;
  • le demandeur à la nullité des marques pratique une surveillance des agissements du titulaire des marques en cause.

La cour d’appel en déduit que le demandeur connaissait ou aurait dû connaître les marques dont la validité était contestée dès la publication de leur enregistrement et considère en conséquence que l’action en nullité était prescrite au moment de l’introduction de l’action.

Cette appréciation in concreto de la prescription, compatible avec les exigences en matière d’intérêt à agir, semble désormais bien établie.

Des débats qui devraient ne pas perdurer

Malgré la volonté affichée du législateur de mettre un terme aux débats sur la prescription en matière d’action en nullité de titres de propriété industrielle, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris rappelle la nécessité d’apprécier si la prescription n’était pas acquise au moment de l’entrée en vigueur de la loi PACTE.

Cette situation devrait devenir de plus en plus rare dans la mesure où elle n’est susceptible de s’appliquer qu’aux actions en nullité déjà prescrites au 24 mai 2019. En conséquence, seules les actions susceptibles d’avoir été engagées avant le 24 mai 2014 vont continuer à nécessiter une appréciation de la prescription.

Sont ainsi d’ores et déjà exclues :

  • toutes les actions relatives à des titres de propriété intellectuelle dont l’enregistrement ou la délivrance a été publiée avant le 24 mai 2014 (le délai de prescription ne pouvant en tout état de cause pas commencer à courir avant publication du titre en cause) ;
  • toutes les actions engagées par des demandeurs ne pouvant pas justifier d’un intérêt à agir antérieur au 24 mai 2014, c’est-à-dire par des demandeurs auxquels on ne peut pas reprocher d’avoir connu le titre de propriété industrielle en cause au 24 mai 2014, par exemple les demandeurs ne justifiant pas de projets antérieurs à cette date susceptibles d’être gênés par le titre de propriété industrielle en cause.

Les débats sur la prescription des actions en nullité de titre de propriété industrielle devraient ainsi progressivement disparaître.

En conclusion, la Cour d’appel de Paris vient confirmer les premières interprétations jurisprudentielles sur le caractère non-rétroactif des nouvelles dispositions relatives à l’imprescriptibilité des actions en nullité de titres de propriété industrielle.

Cela aboutit paradoxalement à maintenir un examen de la prescription, afin de vérifier que cette dernière n’était pas déjà acquise sous l’empire de l’ancienne loi.

Il sera intéressant de voir si cette solution est pérennisée par la cour d’appel et/ou la Cour de Cassation, dans la mesure où un jugement récent du Tribunal judiciaire de Paris prend une position différente en considérant que « en application des dispositions transitoires précitées, l’article L. 615-8-1 s’applique aux brevets, qui, à la date d’entrée en vigueur du texte, n’ont pas fait l’objet d’une décision d’annulation ayant force de chose jugée, peu important que la prescription eût été acquise sous l’empire du droit antérieur » (TJ Paris, 28 mars 2024, n° 19/14082), concluant ainsi à une application potentiellement rétroactive des nouvelles dispositions sur la prescription des actions en nullité.

 

Com. 27 mars 2024, FS-B, n° 22-14.028

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