QPC : composition de la chambre de l’instruction à la suite d’un référé-liberté
L’exercice des pouvoirs conférés par l’article 187-1 du code de procédure pénale n’interdit pas au magistrat ayant connu du référé-liberté de participer à la décision collégiale de la chambre de l’instruction à laquelle l’affaire a été renvoyée, sauf s’il a, ce faisant, pris position sur le bien-fondé de l’appel.
Dans le cadre d’une information ouverte des chefs, notamment d’importation en bande organisée de produits stupéfiants, blanchiment et association de malfaiteurs, la chambre criminelle de la Cour de cassation a transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur les dispositions de l’article 187-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-1354 du 30 décembre 2000 (Crim. 24 juin 2025, n° 25-82.874, inédit), ainsi formulée :
« Les dispositions de l’article 187-1 du code de procédure pénale, en ce qu’elles n’interdisent pas au magistrat qui, saisi d’une demande de référé-liberté, n’a pas estimé que les conditions prévues par l’article 144 n’étaient pas remplies et a renvoyé l’examen de l’affaire à la chambre de l’instruction, de faire partie de la composition de cette juridiction chargée d’examiner l’appel au fond, méconnaissent-elles le principe d’impartialité posé par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ? ».
Non sans susciter une certaine perplexité, le texte est déclaré conforme à la Constitution, sous cette réserve que le magistrat ayant eu à connaître du référé-liberté ne saurait ensuite participer à la décision de la chambre de l’instruction, lorsque, excédant son office, il a pris position sur le bien-fondé de l’appel.
Quelques repères historiques
Pour mémoire, le mécanisme du « référé-liberté » a été introduit à une époque où le pouvoir d’incarcérer était encore placé entre les mains du magistrat instructeur. Après plusieurs tentatives de réformes infructueuses, il s’agissait d’instituer une garantie contre les détentions abusives en demandant au président de la chambre d’accusation de déclarer suspensif l’appel interjeté contre une ordonnance de placement en détention provisoire (Loi n° 93-1013 du 24 août 1993, art. 12).
Déjà à l’époque, certains parlementaires s’étaient émus de ce que la chambre d’accusation puisse se prononcer sur l’appel peu après que son président a connu du référé-liberté. Pour valider le dispositif, le Conseil constitutionnel avait toutefois retenu que les deux procédures avaient des objets distincts, dès lors « qu’il ne [revenait] au président de la chambre d’accusation que de déterminer si la détention [n’était] manifestement pas nécessaire alors qu’il [incombait] à la chambre d’accusation d’apprécier la légalité des conditions d’application de l’article 144 du code de procédure pénale » (Cons. const. 11 août 1993, n° 93-326 DC).
Puis, à l’occasion d’une loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996, l’objet du recours a été modifié en une forme « d’examen immédiat de l’appel », le magistrat se voyant alors « confier le même pouvoir que la chambre de l’instruction puisqu’il peut décider la mise en liberté si les conditions prévues par ce texte ne sont plus réunies » (F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 4e éd., Economica, n° 2792).
Créé par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence et aux droits des victimes, le juge des libertés et de la détention (JLD) s’est ensuite vu confier une mission de contrôle de la détention provisoire. Si les débats parlementaires laissent entendre qu’à cette occasion une refonte du référé-liberté (en un système d’appel à très bref délai devant la chambre d’accusation) avait été envisagée, force est de constater que le législateur a choisi de maintenir le dispositif et de le compléter par la possibilité de demander qu’il soit examiné par une formation collégiale (C. pr. pén., art. 187-2).
Le cadre actuel du « référé-liberté »
Dans sa version applicable au litige, l’article 187-1 est donc un mécanisme facultatif, autorisant la personne mise en examen, lorsqu’elle forme appel d’une ordonnance de placement en détention provisoire, à demander, sous certaines conditions, au président de la chambre de l’instruction ou, en cas d’empêchement, au magistrat qui le remplace, d’examiner immédiatement son appel, sans attendre l’audience de la chambre de l’instruction.
À l’appui de sa demande, la défense peut joindre des observations écrites et/ou solliciter d’être entendue au cours d’une audience de cabinet, à laquelle la personne détenue n’assiste pas (C. pr. pén., art. 187-1, al. 1 et 2 ; v. égal., J.-CI. Pr. pén., v° Appel des ordonnances du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention, par J. Dumont, V. Georget et A. Bonnet, fasc. 20, § 106). Le magistrat doit alors statuer sous trois jours ouvrables au vu des éléments du dossier de la procédure, par une ordonnance non motivée qui n’est pas susceptible de recours. Le dépassement de ce délai n’est toutefois accompagné d’aucune sanction (Crim. 16 janv. 2013, n° 12-86.856 P, Dalloz actualité, 6 févr. 2013, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2013. 214
, note P. Belloir
; JCP 2013. 205 ; v. égal., Crim. 14 oct. 2020, n° 20-83.535, inédit, RSC 2020. 971, obs. J.-P. Valat
).
S’il estime que les conditions prévues par l’article 144 ne sont pas remplies, il peut infirmer l’ordonnance du JLD et ordonner la remise en liberté de la personne, auquel cas la chambre de l’instruction se trouve alors dessaisie. Dans le cas contraire, il doit renvoyer l’examen de l’appel à la chambre de l’instruction, sans avoir le pouvoir de confirmer l’ordonnance querellée.
En l’état de la jurisprudence de la chambre criminelle, il a jusqu’ici été considéré que l’exercice des pouvoirs conférés par l’article 187-1 ne saurait interdire au magistrat de participer ultérieurement à la décision rendue par la formation collégiale à laquelle l’affaire a été renvoyée (Crim. 6 juin 2000, n° 00-81.746 P, D. 2001. 517
, obs. J. Pradel
; RSC 2000. 852, obs. D.-N. Commaret
; v. égal., Crim. 9 janv. 2018, n° 17-86.231 P).
Pour ce qui concerne plus largement la question de la légalité de la détention provisoire, rappelons enfin que la Cour de cassation a pu juger, au visa de l’article 5, § 1, c, de la Convention européenne des droits de l’homme, que la chambre de l’instruction doit, à chaque étape de la procédure, vérifier la légalité de la détention provisoire, notamment l’existence d’indices graves ou concordants (Crim. 14 oct. 2020, n° 20-82.961, Dalloz actualité, 23 nov. 2020, obs. D. Goetz ; D. 2020. 2014
; ibid. 2021. 1564, obs. J.-B. Perrier
; AJ pénal 2021. 27, note J. Boudot
; RSC 2020. 967, obs. J.-P. Valat
). Sur le fondement des articles 6 de la Convention et 137-1 du code de procédure pénale, elle en a ensuite déduit qu’un magistrat ayant déjà apprécié ces indices en tant que juge d’instruction ne peut siéger comme JLD dans la suite de la procédure (Crim. 28 juin 2022, n° 22-82.698, Dalloz actualité, 12 juill. 2022, obs. H. Diaz ; D. 2022. 1311
; AJ pénal 2022. 382 et les obs.
; ibid. 442 et les obs.
; RSC 2022. 625, obs. P.-J. Delage
).
Conformité sous une réserve d’interprétation… en cas d’application contra legem
Déjà éconduite à deux reprises pour avoir été présentée dans des conditions irrecevables (Crim. 15 déc. 2015, n° 15-85.772, inédit ; 4 nov. 2021, n° 21-85.021, inédit), la question transmise au Conseil constitutionnel était donc celle de l’impartialité fonctionnelle d’un magistrat ayant à se prononcer consécutivement, à deux reprises et à quelques jours d’intervalles, sur la légalité d’une même détention.
Il faut ici rappeler que le principe d’impartialité s’avère indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles. Sous l’influence du droit européen, ce principe se décline sous deux aspects (pour aller plus loin, P. Collet, La conception de l’impartialité du juge par la chambre criminelle de la Cour de cassation, RSC 2016. 485
) : d’une part, une impartialité personnelle, dite aussi « subjective », qui renvoie à l’attitude intérieure du juge et à l’absence de parti pris ; et, d’autre part, une impartialité fonctionnelle, dite aussi « objective », qui se rapporte aux garanties offertes par la composition et le fonctionnement de la juridiction afin d’écarter tout doute légitime sur sa neutralité ou l’existence d’un éventuel préjugement.
Au soutien de sa QPC, la défense s’est appuyée sur un constat factuellement éloquent : pour refuser de faire droit à sa demande de référé-liberté, le président de la chambre de l’instruction s’était ici prononcé, au travers d’une motivation certes minimaliste mais existante, sur la légalité de sa détention provisoire au regard des critères de l’article 144 du code de procédure pénale, avant finalement de siéger au sein de la composition devant laquelle l’examen de l’affaire avait été renvoyé au fond. Il était ainsi soutenu que le rejet d’un référé-liberté revient nécessairement à admettre que le magistrat considère que les conditions de la détention sont légalement satisfaites.
Par la voix de son représentant, le gouvernement a, lui, affirmé que le magistrat avait ici exprimé une motivation qui n’était pas exigée par le texte, ce qui traduisait une problématique relevant davantage de l’appréciation du juge judiciaire que du juge constitutionnel. En tout état de cause, il était affirmé que le magistrat, par principe, ne préjuge en rien du sort de la procédure lorsqu’il ordonne le renvoi de l’affaire à la chambre de l’instruction, dès lors que :
- d’une part, s’il dispose de la faculté d’ordonner la mise en liberté lorsqu’il estime que les conditions prévues par l’article 144 ne sont pas remplies, le magistrat ne serait pour autant pas tenu de le faire, pouvant y préférer un renvoi en collégialité ;
- d’autre part, l’ordonnance du magistrat n’a pas à être motivée, seule cette motivation pouvant concrétiser une prise de position sur l’affaire qui doit être tranchée – ce qui, on le comprend alors, devrait certainement expliquer la différence de traitement opérée par le législateur avec le « référé-détention », pour lequel le magistrat, qui statue là par ordonnance motivée, ne peut siéger, à peine de nullité, au sein de la chambre de l’instruction qui connaîtra de l’appel du ministère public (C. pr. pén., art. 187-3, al. 6).
S’appuyant sur les travaux parlementaires préparatoires de la loi du 30 décembre 1996, les Sages de la rue Montpensier retiennent effectivement que le législateur, en prévoyant la possibilité d’un renvoi devant la chambre de l’instruction, a entendu permettre, lorsque le magistrat l’estime nécessaire, un examen collégial de la contestation précédé d’un débat contradictoire dans les conditions du droit commun de la procédure d’appel. Partant, le Conseil juge qu’il « ne peut se déduire de la seule décision prise par ce magistrat de renvoyer l’affaire à la chambre de l’instruction qu’il aurait déjà porté une appréciation préjugeant le bien-fondé de la contestation et lui interdisant, de ce fait, de participer à l’examen de l’appel au fond ».
De manière presque symptomatique, les Sages ont pris soin de formuler une réserve d’interprétation s’intéressant à l’hypothèse du magistrat qui outrepasserait sa mission juridictionnelle. Dans le cas où il apparaîtrait, compte tenu notamment des termes de son ordonnance, que « ce magistrat, excédant son office, a pris position sur le bien-fondé de l’appel », il ne saurait participer à la décision ultérieure rendue par la chambre de l’instruction, statuant sur le fond de l’appel.
Une telle réserve s’inscrit volontiers dans une ligne jurisprudentielle constante, par laquelle le Conseil constitutionnel encadre certains mécanismes législatifs susceptibles de mettre en tension le principe d’impartialité avec les réalités de la pratique judiciaire (Cons. const. 19 janv. 2023, n° 2022-1031 QPC, Dalloz actualité, 1er févr. 2023, obs. H. Diaz ; D. 2023. 119
; ibid. 2024. 76, obs. T. Wickers
; RSC 2023. 576, obs. S. Detraz
; 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, Dalloz actualité, 4 avr. 2019, obs. Y. Rouquet ; AJDA 2019. 663
; D. 2019. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau
; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot
; AJ fam. 2019. 172, obs. V. Avena-Robardet
; Constitutions 2019. 40, chron. P. Bachschmidt
). D’aucuns y verront néanmoins un correctif de circonstance pour renforcer une impartialité objectivement mise à l’épreuve par l’ambiguïté du positionnement du magistrat saisi du référé-liberté : celui-ci aurait tout à la fois à connaître de la question de la légalité d’une détention, sans pour autant être tenu de se prononcer sur celle-ci (ou, à tout le moins, être tenu de manifester une opinion, qu’elle soit ou non favorable à la défense).
Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable, Paul Valéry
Pour l’institution judiciaire, la solution est certainement « heureuse » lorsqu’il est relevé que l’article 187-2 du même code autorise la personne qui forme un référé-liberté à demander que son recours soit examiné par la chambre de l’instruction, laquelle, dans une telle configuration, doit alors examiner, en collégialité, la demande de référé-liberté sous cinq jours, puis postérieurement l’appel au fond. On mesure alors aisément les tensions organisationnelles qu’aurait pu susciter une éventuelle décision d’inconstitutionnalité.
Nous reproduirons ici le constat formulé par Christian Guéry dans son ouvrage de référence : « La procédure de référé-liberté est fort peu utilisée. On ne lit pas dans les modifications de 1996 le "nouveau souffle" que certains auteurs avaient cru y voir. La création du juge des libertés et de la détention aurait pu justifier son abrogation ; on voit mal, après l’appréciation du juge d’instruction et du JLD, à quoi peut correspondre l’avis d’un troisième juge unique. Est-ce cela qui a conduit le législateur à prévoir une saisine collégiale ? Sans s’apercevoir que la chambre statuerait deux fois sur le même objet… » (P. Chambon et C. Guéry, Droit et pratique de l’instruction préparatoire, Dalloz Action, n° 752.27).
En dernière analyse, les praticiens de la défense resteront probablement quelque peu sceptiques face à un recours dont l’effectivité pourrait se révéler douteuse. Ils engageront donc un « référé » sur lequel le juge ne serait en réalité pas tenu de trancher. Partant, ils lui demanderont une mise en liberté sans que celui-ci n’ait forcément à se forger une première conviction, peu important que le texte l’invite à « statuer » au vu « des éléments du dossier de la procédure ». Ils développeront des observations écrites ou orales qui ne recevront aucune réponse circonstanciée. Ils se persuaderont qu’un magistrat pourra (seul, sur la base d’une décision non motivée échappant à tout recours, hors la présence du détenu, et en lieu et place de la juridiction collégiale d’appel) désavouer des pairs qui, eux, ont eu à argumenter leur position. Le cas échéant, ils pourront demander une collégialité qui impliquerait potentiellement que la même juridiction (ou presque) ait à trancher (ou presque) la même question (ou presque) à quelques jours d’intervalle. En cas d’échec, ils pourront retrouver ce(s) même(s) magistrat(s) devant la chambre de l’instruction : par-delà les apparences, ils auront à cœur de le(s) convaincre plus qu’ils ne l’avaient fait quelques jours plus tôt à peine. Et, en poussant le raisonnement à son terme, ils devront en réalité s’accommoder d’un juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle s’il en est, qui ne serait pas immédiatement tenu de faire cesser une détention, fût-il même enclin à la considérer mal-fondée.
Cons. const. 26 sept. 2025, n° 2025-1165 QPC
par Hugues Diaz, Avocat au barreau de Toulouse
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